La vie port-au-princienne serait-elle devenue une vie de voyous et d'incivilités ?

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Georges Corvington n'offre pas uniquement une lecture de l'évolution architecturale de la ville de Port-au-Prince. Mais, dans son œuvre "Port-au-Prince au cours des ans" que l'on peut qualifier de monographie urbaine, tout lecteur passionné de l'histoire des mœurs sociales et culturelles peut découvrir une vie port-au-princienne qui reflétait une citadinité marquée des civilités et des convenances sociales. Un tableau des mœurs qui autorisait l'étranger visiteur à parler d'une population urbaine éclairée. Bien que cette éloge ne doit pas occulter dans le discours sur l'histoire de la formation sociale et économique haïtienne l'injustice que constituaient l'exclusion et la marginalisation des paysans qui vivaient dans les sphères géographiques que Gérard Barthélémy avait appelé "Le pays en dehors". Rappelons que le texte de cet auteur  est dans certains de ses chapitres une analyse sociohistorique sur l'absence des politiques publiques qui auraient permis l'intégration de l'ensemble de la majorité de la population rurale dans les droits aux services et aux biens crées par l'État avec les ressources du pays.

Mais cette critique ne doit pas nous priver non plus  de mettre l'emphase sur une métamorphose urbaine de Port-au-Prince qui a fait passer cette capitale du statut d'une ville en voie de modernisation, pour emprunter une terminologie du géographe Georges Eddy Lucien, avec une culture de civilité et de citoyenneté, à une ville en dégradation confortant les faits de voyourisme et de vagabondage; des faits  qu'il ne faut pas confondre aux faits des mouvements sociaux de protestation et du changement social qui sont l'objet de questionnements et d'analyses de la sociologie critique(Alain Touraine, Michel Crozier et Erhard Friedberg, Talcott Parsons).

L'indigénisme Price marsien que trace initialement "Ainsi parla l'oncle", est un procès pour, d'abord l'inclusion des classes sociales qui étaient porteuses des valeurs de l'identité nationale haïtienne, avant son intégration dans la modernité dont les élites auraient être les bannières dans les lieux urbains. Le second moment de l'action des élites étant explicité dans l'oeuvre sociologique "La vocation de l'élite" de Jean Price Mars. Mais, avec l'occupaction americaine, l'injustice continuelle des élites et de l'état que subissaient ces classes s'est renforcée avec les corvées et l'interdiction faite aux masses rurales de circuler dans les villes qui se modernisaient avec les marines. Sans doute, les intellectuels littéraires de ce courant de pensée ont joué une note discondante dans le concert des élites collaboratrices de l'occupant. Une note qui aura son retentissement  dans les années 1950 et 1960 dans les musiques qui se jouaient et qui faisait valser les habitants des beaux quartiers  de Port-au-Prince. Des chansons qui rappellent des noms comme Issa El Saieh, Dordoff Legros, Roger Colas, et qui font partie des personnages de l'histoire musicographique de Ed Rheiner Sainvil ( Tambour frappé, haïtiens lever danser). 

Certes, persistait un mysticisme qui séparait les gens en Moun lavil ak Moun andeyò, et qui les categorisait aussi en moun ak soulye et moun ak boyo. Cependant, le simplisme qui se reflète dans cette subdivision n'est pas contraire à la distinction entre gens cultivés et éclairés et gens non cultivés et non éclairés. Bien qu'il importe de notifier que l'exclusion implique toujours le non accès à la culture qui fait de tout individu un acteur social cultivé et éclairé, précisément dans les société sous-développées.  Une distinction qui a conditionné les formes d'interactions entre les gens dans les villes, dont Port-au-Prince qui a été une capitale de vie mondaine et de culture. Conditionnement aussi au respect, aux bonnes manières et aux règles de la bienséance entre gens des villes et ceux des campagnes, et entre les riches et les pauvres des villes.

Sous la dictature qui s'exerça de 1957 à 1986, outre la peur d'avoir un partisan du pouvoir tyrannique  sur le dos, le respect dans les rapports sociaux dans la capitale Port-au-Prince s'imposait en norme d'interaction entre les citadins. Le personnage Gwomoso de Maurice Sixto est un exemple illustratif qui montre les limites qu'un citoyen ne devait pas franchir dans l'exercice de ses droits dans les espaces publics. Certes, le pouvoir que symbolisait le gendarme n'eclipse pas la marchande de pistache, second personnage principal de l'audience, comme une simple citoyenne qui donne la leçon de morale et de civisme que doit suivre le citoyen de la ville. Ou la leçon morale que voulait donner l'auteur-narrateur. La parole publique et médiatique reposait sur une éthique qui tenait compte de la dignité de la personne humaine. Les textes des chanteurs du compas, dont ceux de Coupé Cloué ne derogaient à la règle morale que par des détournement allusifs ou métaphoriques, pour ne pas porter atteinte à la pudeur publique. Et même les dérives des chansons carnavalesques (polémique entre les groupes Dupuy express et Scorpion) se faisaient avec un art qui occultait l'obscénité et l'indécence, quand les gens ne voulaient pas d'économie morale pour jouir de la liberté du défoulement. Par exemple, les expressions Manman zizi Zaza zozo.....Gad gwosè yon koulèv nan bouch madanmn lan... Ce sont des paroles qui signifiaient les dérives carnavalesques des années 70-80. Mais, qui peut oser blâmer ces deux groupes musicaux de proférer des paroles obscènes sur le parcours carnavalesque?  Aussi, le voyou, le vagabond, qu'il ne faut pas confondre au délinquant pathologique ou  qui peut être le résultat d'une mauvaise socialisation par une cellule familiale dysfonctionnelle, et qui sont des cas a prendre en charge ou à soigner par la psychologie et le travail social, pouvaient être indexés par la société conformiste aux normes de respect et de la bienséance, s'ils n'avaient pas le génie de l'humoriste et du parolier qui peut tout dire sans être condamné en flagrant délit d'impudeur par la morale.

En effet dans les quartiers, où l'enfant grandissait quelques décennies avant, celui-ci était sous le contrôle sociale de n'importe quel adulte qui connaissait ses parents. Son langage et ses comportements étaient surveillés et corrigés par les enseignants, par les parents, et l'entourage social. Les modèles qu'il voyait à la télévision, dans les émission de divertissement ne lui suggérait point des comportents et des valeurs qui rentraient en contradiction avec la pudeur morale.

Certes, les sociétés se sont évoluées et se sont influencées par les effets de la mondialisation que les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Mais, celles qui sont bâties sur des normes qui protègent les valeurs essentielles au respect de la personne et de la dignité humaines, ne font pas de toutes les valeurs morales l'appanage de la bourgeoisie. Bien qu'elles aient été des scènes pour la critique de certaines valeurs bourgeoises qui empechaient l'épanouissement des classes sociales exploitées par les mécanismes mis en place par une éducation moralisante et discriminante et une économie libérale. Donc le droit et le devoir de censurer n'est pas exclu de tous les contextes d'éducation libéralisée et du relativisme morale. C'est pourquoi les réflexions de l'éthique sont toujours nécessaires pour savoir déterminer les limites des libertés que garantit le droit.  Respecter les gens ce n'est jamais devenir bourgeois et trahir la cause des victimes de l'injustice et de l'exclusion sociale. D'autant plus que tout anticonformisme ne peut se justifier par la complaisance, qui n'est pas toujours en rapport avec une philosophie pratique ou spéculative. L'idiot et l'ignorant qui ne respectent ni les gens, ni les valeurs ne sont pas des anticonformistes. Encore moins nihiliste, si le nihilisme est une invention de morale qui  fait grandir celui qui critique la morale traditionnelle de lui même ( Devenir surhumain).

Malheureusement, Port-au-Prince n'a pas connu une évolution dans ce sens. Ce qui a permis à tous les voyous et les vagabonds de faire leurs lois dans tous les lieux publics où le contrôle sociale ne contribue pas à faire respecter et à protéger les citoyens dans leur dignité et leurs droits civils. Ces gens-là  existent dans les médias où ils sont des vedettes du talk show. L'éthique de la pratique journaliste n'est pas la règle qui gouverne leur pratique. Aucune définition de la liberté d'expression ne fonde par leur intervention dans le champ de leur profession où ils ne sont pas moins ursupateurs de la parole comme les tyrans sont ursupateurs du pouvoir en politique. Les institutions confessionnelles comptent aussi leur effectif de ces acteurs étranges, devenus ordinaires pour la société haïtienne. Au mépris des injonctions du ministère des cultes qui garantissent la liberté de religion, ces voyous et ces vagabonds des temples sacrés font leur show d'Hollywood. Le champ politique avec ses pratiques de corruptions et d'incivisme n'en a pas moins de ces gens qui n'eduquent pas à la morale. Le même raisonnement peut être associé au système éducatif qui semble être réduit à un bien de capitalisation privé et un champ d'insertion où l'éthique n'est pas une culture du professionnel. Donc, on peut comprendre que la société définie comme un système d'institutions et de normes pour la pratique de l'action sociale des individus ne saurait être un macro-organisme qui aurait des effets positifs sur ses membres. Vu que ses institutions sont caractérisées par des pathologies de dysfonctionnement. 

C'est pourquoi, par le règne de ces personnages incongrus et qui doivent être rééduqués par la culture remodelée sans cesse dans les institutions scolaires et universitaires  ou les pratiques de communication sensibilisatrice aux valeurs du vivre ensemble, et qui nuisent  à la vie sociale saine et morale, cette ville ne cesse pas de devenir une ville de voyous et d'incivilités. Mais, ce qui demeurerait une utopie, si le mouvement ne se fait par le jeu dialectique d'inter-influence du micro au macro, et du macro au micro. Perspective qui se  signifie avec pertinence dans le systemisme que propose "L'Acteur et le système" de Michel Crozier et Erhard Friedberg, et dans l'inter-actionnime que traduit "La production de la société" de Alain Touraine

 

CHERISCLER EVENS

Sociologue, journaliste et enseignant

Pour le respect de la dignité humaine et le droit de protester contre l'injustice sociale

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