Jalons pour une solution à la crise conjoncturelle haïtienne

Depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, les différents acteurs peinent à trouver une solution à la crise institutionnelle. Les propositions se succèdent et s’annulent sans véritable consensus. Cet état de fait manifeste l’absence de légitimité des différents acteurs. Leur nombre ne pourra pas compenser ce déficit.

Par ailleurs, toute proposition compliquée à mettre en œuvre ne fera que rajouter de la confusion à la confusion. Pour transformer la cacophonie discordante de notre nation en une merveilleuse symphonie, quelques jalons peuvent baliser la route vers la sortie de la crise conjoncturelle. Par contre, la solution de la crise structurelle nécessitera un engagement à long terme des forces organisées de la société.

1.- Revenir à la Constitution de 1987

Depuis l’amendement controversé de 2011, les fondements de l’État de droit ont été ébranlés. La destruction systématique des institutions par M. Jovenel Moïse met Haïti totalement en dehors du cadre constitutionnel. Or, fruit d’un large consensus exprimé par une assemblée constituante représentative de l’ensemble du pays et validé par référendum, la Constitution de 1987 est un fondement sûr, malgré ses lacunes.

Dans l’idéal, il faudrait une nouvelle constitution. Cependant, face à l’incapacité des acteurs à se mettre d’accord sur une sortie de crise, la logique et la préservation de l’État de droit commandent de retourner à la Constitution de 1987 non amendée. Car, juridiquement, cet amendement tel qu’il a été mené est réputé nul et non avenu. Il suffit de publier un décret présidentiel au journal « Le Moniteur » pour rapporter le décret publiant cette forfaiture de 2011 qualifiée d’amendement.

Ce retour à l’ordre constitutionnel est un premier jalon pour répondre à la crise institutionnelle.

2.- Jouer la carte institutionnelle

Les institutions sont faibles, mais elles existent. En situation de crise, le salut de la nation repose sur des institutions organisées et implantées dans la société. Cette tentative de vouloir mettre ensemble le plus grand nombre possible d’organisations politiques et de la société civile n’est pas réaliste. Nous vivons dans une société atomisée, déchirée et il est utopique de penser qu’on peut trouver un accord avec tant de secteurs. Lors même qu’on l’aurait trouvé, la mise en œuvre risque d’être très difficile, pour ne pas dire impossible.

Pour éviter ce piège, retourner à la Constitution de 1987 – même partiellement compte tenu du contexte politique – est le moindre mal. Le plus simple est de choisir un Président de la République issu de la Cour de cassation, comme le prévoit la Constitution en cas de vacance présidentielle. Pour contrôler l’exécutif, vu que le Parlement est inopérant, on peut former une commission de contrôle de la transition composée de représentants d’institutions reconnues par la Constitution elle-même ; par exemple, celles chargées d’envoyer des représentants au sein du Conseil électoral provisoire, en faisant éventuellement quelques adaptations. Cela a du sens que le Sénat soit représenté dans une telle structure pour lui donner un peu de légitimité.

Un accord entre les principales forces politiques déterminera le rôle et la mission du gouvernement de transition et de la commission de contrôle.

3.- Limiter la transition dans le temps

La transition devrait être limitée dans le temps, deux ans au maximum. Une transition trop longue risque de déstabiliser davantage le pays et de mettre en péril les intérêts supérieurs de la nation.

Beaucoup de compatriotes craignent que des « gangsters » politiques et économiques fassent main basse à nouveau sur l’appareil étatique par la voie des urnes. Cette crainte est tout à fait légitime, car ces secteurs mafieux ont les principaux attributs du pouvoir dans un pays pauvre comme Haïti : des armes pour intimider, de l’argent pour corrompre, des moyens de communication importants pour manipuler l’opinion publique.

Cependant, ce n’est pas la longueur de la transition qui peut contrer une telle menace. Même des élections transparentes – aussi nécessaires et indispensables soient-elles – n’immunisent pas la société contre le fléau de la « gangstérisation » de la politique. La neutralisation des gangs armés est une priorité et la mise sur pied d’un appareil électoral crédible est indispensable. Mais ces mesures sont insuffisantes sans un sursaut national.

4.- Rassembler la partie saine de la société

Rassembler la partie saine de la société incombe à une élite patriote, compétente et intègre. Quand les élites sont trop divisées, le peuple est désorienté et la nation est en danger. L’histoire récente d’Haïti a déjà montré que quand une partie de l’élite s’entend pour donner une direction au pays, le peuple suit la voie qui a été tracée : c’était le cas en 1987 quand le Front national de concertation (FNC) avait soutenu la candidature de Me Gérard Gourgue à la Présidence de la République ou en 1990 avec le FNCD et le P. Jean-Bertrand Aristide. On peut tirer des leçons de ces expériences pour faire mieux.

Seule une alliance entre le savoir et l’avoir sous l’égide de l’intégrité pourra aider Haïti à triompher de cette mafia qui l’a prise en otage. Malheureusement, depuis trop longtemps les élites ont abdiqué. Par opportunisme ou par paresse intellectuelle, elles cherchent la voie de la facilité. Au lieu de prendre le leadership, de proposer une vision et d’utiliser les ressorts du marketing moderne pour faire triompher leurs idées, elles préfèrent endosser des candidats médiocres dans l’unique but de défendre à court terme leurs intérêts mesquins.

Il est temps que les nantis du savoir et de l’avoir de ce pays reprennent leur responsabilité afin de défendre le bien commun. Une partie de l’oligarchie avait soutenu Jovenel Moïse avec le résultat catastrophique que l’on connaît. L’élite économique pourrait tirer des leçons de cette triste aventure pour soutenir désormais l’intégrité et la compétence afin de promouvoir la croissance économique et la justice sociale. Il y va de son intérêt à moyen et à long terme. Car, ce système fondé sur la rente, le monopole et la contrebande finira par s’effondrer et nul ne sera épargné.

Alain Mondésir

N.B
Alain Mondésir est détenteur d’un master en droit public, décroché à l’Université Toulouse 1 Capitole.

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