Séisme : Nécessité de contrer les séquelles psychologiques

Contrairement à l’animal pour lequel un coup encaissé engendre uniquement une souffrance physique; pour l’humain, la douleur engendrée par un choc se vit sous un angle psychosomatique, c’est-à-dire physique et psychologique. Telle est en essence la leçon enseignée par les thérapeutes Merline Handfield-Ulysse et Deborah Mathurin qui animaient la table ronde du 12 janvier 2021 pour le compte du FOHPDD.

L’évidence de la douleur physique d’une catastrophe n’est pas à démontrer ; cela fait mal dans la chair et dans les os. Quoique moins perceptible, comprenons aussi qu’un désastre naturel fait des ravages psychologiques, puisque l’être humain est doté d’un système émotionnel contrôlé par l’amygdale et l’hippocampe qui le rend sensible aux chocs externes. Ces zones de la mémoire de court et de long terme sont susceptibles de causer des angoisses, de l’anxiété, des addictions voire des dépressions. Ainsi, à la suite d’un cataclysme, la mise en œuvre de mécanismes cognitivo affectifs et de stratégies d’adaptation/coping pour rétablir l’équilibre du système limbique devient incontournable.

Par exemple, une victime de viol, de cambriolage, d’un drame ou de n’importe quel évènement regrettable remémore l’expérience saumâtre en se questionnant en permanence pourquoi est-ce qu’il a en été l’objet. A la suite d’un choc, la gestion avisée des émotions à partir de techniques éprouvées devient cruciale afin d’éviter des répercussions post-traumatiques plus néfastes.

Les deux psychologues haïtiennes professant respectivement à Londres et à Paris ont largement argumenté la nécessité des politiques de prise en charge en faveur des victimes de la catastrophe du 12 janvier qui a laissé des séquelles post-traumatiques et physiques de taille tant pour les compatriotes au pays que pour ceux de la diaspora.

Selon des statistiques rapportées par la psychologue Deborah Mathurin, la prévalence de la psychopathologie s’accroit de 17% suite à une catastrophe naturelle. Les cataclysmes, dont les séismes, les tsunamis et les cyclones, charrient des traumas et du stress péritraumatique et post-traumatique d’envergure. Lesquelles afflictions peuvent perdurer en des phobies, des sentiments de culpabilité, la colère et des épreuves relationnelles difficiles à surmonter par la victime au cas où des soutiens réguliers ne s’ensuivraient. Par l’ampleur dramatique du séisme du 12 janvier, les rescapés ont été certainement exposés au plat complet des effets négatifs du stress post-traumatique.

Un tueur invisible

Toute victime, particulièrement un enfant, fait les frais des désastres mortels en des souvenirs spontanés et des cauchemars récurrents vécus amèrement à travers la reviviscence. L’évitement, l’altération négative de l’humeur et de la pensée marqués par le désintérêt aux activités sociales couplées de la distorsion cognitive et de l’amnésie sont également provoqués chez le sujet.
Il se manifeste en conséquence des inconforts dus à l’hyperéveil qui est une source d’insomnie, de comportement d’agressivité verbale et physique, de difficulté de concentration, d’hyper vigilance et d’attitude autodestructrice.

Le cataclysme de 2010 a horriblement assené les familles tant en Haïti qu’à l’étranger pour les dominer de toutes ces séquelles psychiques. Malheureusement, l’histoire horrible se réitère dans le Grand-Sud en un coup douloureux en ce matin du 14 août qui fout tout sous les décombres. Sous cette emprise choquante de la bêtise débridée dans un éternel intérimaire intronisé par des gouvernements dégénérés qui fédèrent le banditisme et qui désagrègent les mécanismes de transmission des bonnes mœurs, les coordinations se révèleront une nouvelle fois scandaleuses en des fraudes et des comportements de prédation sur la vulnérabilité des plus faibles.

Une migraine, une grippe et une fièvre se racontent et peuvent dès lors se résoudre plus efficacement via des ressources clés puisées de notre médecine traditionnelle ou de la médecine moderne pour enrayer le malaise. Malheureusement, il n’est pas de nos pratiques culturelles de nous confier et d’être bien accueillis à exprimer nos troubles psychologiques à un proche ou à un ami. Les temps avancent, mais nous sommes très en retard ; les problèmes du sexe ainsi que les déficiences mentales restent chez nous des sujets très tabous. Pourtant, valable pour la maladie, la première étape de la résolution d’un problème consiste à bien l’identifier.

Les thérapeutes Handfield et Mathurin déplorent la mentalité de stigmatisation qui fait rage au sein de notre société et qui empêche au sujet de se libérer de ses vieux démons. Épris de l’approche de la visualisation positive préconisée par le célèbre motivateur John Maxwell, ces deux spécialistes haïtiennes prescrivent des attitudes de solidarité, tolérance, respect mutuel et l’empathie dans nos interactions.

Les psychologues conseillent l’adoption d’une approche holistique centrée sur l’humain tout en y intégrant la sensibilité culturelle et religieuse afin de faciliter la prévention et la guérison.

Les afflictions psychologiques difficilement perceptibles

L’ensemble des expériences amères desquelles Haïti a pris l’habitude guerrière de se relever présage effectivement que notre capacité de résilience s’apparenterait à une faculté greffée à nos chromosomes. Par contre, les conclusions stipulant que l’Haïtien typique serait exempt du microbe et des chocs psychologiques seraient plutôt hâtives et erronées.

Pour vous en convaincre, référez-vous aux taux de mortalité et vous constaterez que les statistiques sont alarmantes pour Haïti. Affichant en moyenne un décès pour 41 nouveau-nés et faisant face à un risque de décès entre la naissance et le cinquième anniversaire de 81 pour 1 000 naissances vivantes , Haïti exhibe les taux de mortalité néonatale, infantile et infanto-juvénile les plus élevés de la région. L’espérance de vie à la naissance de seulement 64 ans - soit la plus faible de la région dont la moyenne se situe autour de 75 ans – dénote également le niveau de précarité sanitaire des habitants de l’Ile avilie en des graffitis funestes.

Détrompez-vous alors en continuant de brandir une carte d’invincibilité des cellules haïtiennes face au microbe ou à certaines maladies. Incontestablement, la guerre contre les germes pathogènes n’est pas toujours un pari gagné dans la Cité. Aurait-on déjà oublié les préjudices macabres du choléra au lendemain du séisme de 2010 ? En tant qu’humains, et donc faits de chair et de sang, nous sommes tous vulnérables quand les infrastructures sanitaires sont précaires et que l’accès aux services de base devient un luxe.

Il est effectivement clair qu’à force de s’acclimater avec les environnements à risque, un bon nombre d’enfants a pu développer au cours du temps des anticorps qui les rendent résistants à des germes pathogènes. Cependant, l’hypothèse soutenant que ce sont des « lougarous » qui emportent nos bébés en enfer n’est pas « toujours » fondée. Fort souvent, c’est en raison de l’opacité due aux carences de suivis médicaux que les parents ne réalisent pas que ce sont des maladies qui coupent l’oxygène vital à leurs enfants.

Cette « forme d’ignorance » ou déni de la réalité se présente similairement pour les cas psychologiques. En fait, un regard ne suffit pas pour déduire qu’une personne jouit d’une bonne santé mentale. Il revient aux spécialistes du métier d’en tirer de telles conclusions après diagnostic et examen minutieux. D’ailleurs, quand tristement nous observons défiler au quotidien des adultes dénudés ambulant en tenue d’Adam à travers nos rues puantes, sous les yeux de notre « État pourianiste », comment pourrait-on émettre conjecturer que les évènements tragiques n’auraient aucun effet dramatique sur la psychè de nos compatriotes.

Les déficiences mentales ne peuvent se déceler dans la naïveté ; il va de soi que les statistiques des déséquilibres psychiques non perceptibles à l’œil seraient sous-estimées en comparaison aux publications officielles. D’un côté, les communautés ne sont pas imprégnées de la culture de s’ouvrir aux autres pour étaler leurs troubles mentaux ; de l’autre, elles ne sont pas outillées des moyens logistiques ni de personnels qualifiés pour déceler sur une base régulière les victimes de potentiels dysfonctionnements psychosomatiques.

Ces barrières d’ordre infrastructurel et culturel empêchent de soigner les cicatrices imperceptibles sur le plan émotionnel. A cet effet, les psychothérapeutes haïtiennes insistent sur l’approche holistique basée sur l’empathie envers nos semblables.

Reconnaissant que le budget alloué à la santé mentale est extrêmement faible sinon inexistant en Haïti, Madame Handfield appelle à la nécessité du devoir civique envers soi-même, envers la population et envers le pays. Des résultats significatifs peuvent se produire à travers la prise en charge communautaire, le soutien social et par le truchement de stratégies d’adaptation, a conseillé la psycho- socio thérapeute Deborah Mathurin.

De surcroit, des études scientifiques ont prouvé l’importance de la prise en compte de la croyance spirituelle du sujet. Ainsi, le vodou, l’église, les temples et les synagogues seraient aussi des espaces de prévention et de guérison de maladies mentales. Madame Handfield plaide pour des exercices physiques et une nutrition équilibrée des individus victimes puisqu’ils peuvent se révéler utiles dans la production des hormones génératrices de bien-être physique et psychologique.

Le Grand-Sud patauge dans une crise aiguë ; on y dénombre plusieurs centaines de cadavres, des familles disparues, des pieds amputés, des bras mutilés et des édifices réduits en cendre ; ce qui interpelle des interventions en d’aides humanitaires célères. Malheureusement, les nombreux coups psychiques qui requièrent aussi des urgences sont imperceptibles. Espérons que des dispositifs de prise en charge seront mis en œuvre pour assurer des suivis psychologiques, jugés urgents pour les victimes.

Carly Dollin, carlydollin@gmail.com
Instructor-PhD Student in Economics
Master Student in Statistics
Washington State University (WSU)
wsu.edu

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