De l’Administration Publique haïtienne, état des lieux, enjeux et perspectives !

  1. - De l’Administration publique haïtienne

Pour comprendre la problématique de la gouvernance haïtienne, l’Administration Publique et les finances publiques se révèlent des champs importants auxquels explorer pour se faire une idée. En effet On retrouve déjà des prémices de l’Administration Publique haïtienne au temps de la structure administrative coloniale. Après l’indépendance, c’est dans un contexte de guerre et d’instabilité politique que vont se jeter les bases réelles de l’administration ou tous les postes de direction seront confiés à des militaires en guise de récompense (Manigat 2003). Cette situation qui s’est étalée sur presque tout le 19ème siècle jusqu’à l’occupation américaine va marquer considérablement la fonction publique mais les pratiques de favoritisme continuent de provoquer des dégâts malgré certaines avancées dont le décret du 19 septembre 1982[1] et substantiellement, la création en 1997 de la Commission Nationale de Réforme Administrative (CNRA)[2] qui diagnostiqua l’Administration Publique Haïtienne comme étant malade de Changement. Mis à part le décret de 1982 qui tenta de donner un peu de sens à la pratique de l’Administration en ces temps-là, on ne dispose pas vraiment de document sur la réalité des années 1997. Toutefois, à la faveur de l’interview[3] du vingt et un (21) juillet 1997 de Jean Dominique de Radio Haïti Inter avec Charles Cadet le Porteur de dossier de la commission nationale de réforme administrative instauré par le gouvernement Alexis, la réalité de la gouvernance est décrite avec tout ce qu’elle charrie de népotisme, de sinécure, de gabegie et surtout de résistance au changement. 

Le décret de septembre 1982 est un premier pas qui marque une nouveauté ou par-delà ses devoirs, quelques droits sont reconnus aux Fonctionnaires mais le spectre de la dictature ne permettra pas un affranchissement véritable. Ce document a été révisé en 2015 puisque ceux de 2005 ne l’ont pas abrogé, il a été mis à jour.

Les travaux amorcés par l’équipe de la (CNRA) ont démarré à partir de la fin des années 98 et bien des décisions dont le départ volontaire a été prises. La stabilité politique menacée par les évènements de 2001 et la velléité totalitaire va contrarier les élans. Il a fallu attendre la transition 2004-2006 pour un nouveau dynamisme duquel vont voir le jour les décrets de 2005 portant révision du statut général de la fonction publique et de l’organisation centrale de l’État[4].  Par manque d’intérêt, ils n’ont jamais été ratifiés par les Parlementaires qui dans la majeure partie du temps, font l’Administration publique leur butin de chantage. Entre 2007 et 2012, l’État Haïtien lança le Programme Cadre de la Réforme (PCRE) qui n’a pas commencé ni n’aboutira pas. Ainsi, prévu pour une durée de cinq ans (octobre 2012-septembre 2017), le PCRE2 a vu le jour en grandes pompes avec les plus hautes autorités administratives du pays dont l’objectif global est de s’assurer que d’ici la fin dudit programme, le pays puisse disposer d’une administration moderne, efficace, honnête, impartiale, au service des citoyens et de l’intérêt général.

Une fois de plus, la conclusion de ce programme s’est révélée infructueuse par rapport aux ambitions qu’il s’est fixé. De 2018 à 2023, une nouvelle initiative baptisée Programme de Modernisation de l’État (PME) est née, elle se veut une continuité par rapport aux PCRE précédents en poursuivant poursuit six (6) objectifs de fond. Avec les apports les apports de l'expérience passée et des réalisations déjà̀ obtenues, cette dernière avait souhaité pourvoir à une amélioration de la qualité́ de services entre les usagers et l’Administration.

En bout de ligne, la réalité est que réforme, après réforme annoncée avec des chapeaux de roue, tout reste dans le discours mais l’Administration Publique n’a bougé d’un pas et n’importe quel porteur de dossier peut tenir encore les mêmes propos que Charles Cadet dans son interview avec Jean Dominique en 1997 autour du népotisme, la gabegie, la résistance au changement mais pire encore aujourd’hui, c’est une fonction publique pléthorique qui n’est imprégné d’aucune velléité de changement.

 

Des solutions identifiées.

2. Des tentatives de solutions.

De la création de la Commission Nationale de la Réforme administrative (CNRA) en 1997 aux décrets de 2005, une volonté claire s’est affirmée pour inscrire l’Administration Publique dans un nouveau paradigme car au fait, il s’agit d’une première tentative qui met l’emphase sur la bureaucratie dans ses fondements avec ce qu’elle comporte en tant que principes dont la hiérarchie, la distinction entre l’administration et la politique, la carrière, la spécialisation, la codification avec l’extérieur etc. (Weber 1947). Ces décrets restituent les droits du Fonctionnaire et fixent ses devoirs. Mieux qu’avant, il n’est plus totalement assujetti à la bonne volonté du Politique et dans tous les cas d’abus, il fait des recours et la Cour Supérieure des Comptes qui dans ses attributions rend des décisions qui changent la donne.

En guise de solutions, des pas significatifs ont été franchis avec le décret de 2005 régissant la fonction publique haïtienne. À ce titre, celui portant organisation de l’administration centrale de l’État fixe une fois pour toutes les attributions et les pouvoirs du Ministre. Ce sont : les pouvoirs règlementaires, de nomination, de discipline, de gestion, d’instruction et de réformation. Toutefois, vingt ans plus tard, il parait opportun d’évaluer ce document pour une meilleure adaptation future. Lorsqu’on analyse et scrute de près le contenu dudit décret, des faiblesses flagrantes ressortent, mettant en évidence la nécessité aujourd’hui de moderniser davantage la fonction publique et de l’adapter par rapport aux expériences vécues ces dernières années en lien avec la surpolitisation des institutions publiques

Il convient de souligner aussi qu’il n’existe aucune balise par rapport aux sanctions liées à la gestion administrative d’un ministre.  La mal gestion administrative devrait être sanctionnée tout comme les décisions de la CSCCA et du Parlement. Somme toutes, le concept d’Administration Publique Nationale, tel qu’il est évoqué au niveau de ce texte de loi se présente donc incomplet puisque le volet d’Administration Publique des Collectivités Territoriales n’est encore régi par aucun texte de loi.  

 

3. Résultats de la mise en œuvre chiffrés des solutions identifiées.

Les résultats sont carrément faibles. En dépit des prescrits légaux (décret 2005), la Fonction Publique grossit en chiffre énormément sans concours véritable au sein des ministères et des directions générales. Les Parlementaires pratiquant le Spoils System[5] dans une logique de pouvoir partagée développée depuis 2006 ont fait main mise sur l’Administration publique. Les chiffres sont les suivant : 52 330 Fonctionnaires en 2007 pour environ 108.000 en 2024 en dépit des facteurs de départ massif des agents publics[6]. Le service public se donne au rabais et les Contribuables font les frais.

 

Des enjeux.

Les enjeux sont de plusieurs ordres : 

Avec la pression de l’Internationale autour de la nécessite d’une bonne gouvernance, les autorités haïtiennes s’embarquent toujours dans le discours et c’est sans doute pour cette raison que l’on compte autant de programmes quasiment sans trop de résultats en l’espace de deux décennies. Concevoir une politique publique est une première démarche mais l’élaboration et la mise en œuvre demande requiert la conjugaison de plusieurs facteurs dont le savoir expert, la collecte des informations, l’infra-cohésion, l’intra-cohésion et un projet pilote (…). Dans le contexte haïtien, la réforme institutionnelle présente des enjeux de taille qu’il faut absolument cerner.

 

Enjeux politiques.

D’une manière générale, faire réforme ne participe pas de la vision des Politiques au pays. Il s’agit de prendre le pouvoir et au pied du mur, on se montre maçon. Au départ, il n’y a pas un plan de développement, c’est à la prise du pouvoir qu’on fait chercher des experts pour produire une politique générale et faire tout autre chose sauf exécuter ce qui est écrit et ratifié par le Parlement.

 

Enjeux économiques

Les enjeux économiques autour des principaux programmes (PCRE1), (PCRE2) et (PME) sont d’une grande délicatesse. Théoriquement, la littérature existe puisque les techniciens produisent les documents de projets qui sont validés par les autorités mais la réalité financière diffère le plus souvent. Généralement, les projets sont sous-financés par l’État haïtien et trop souvent la dépendance par rapport aux Partenaires Techniques et Financier (PTF)[7] rendent la situation délétère. Pour ce qui concerne l’utilisation des ressources humaines et d’autres ressources matérielles essentielles à son implémentation, l’OMRH a reçu moins de 1% du budget de 68 millions de dollars prévu pour l’exécution du PCRE. En outre, le nombre d’experts payés par les PTF à travers des programmes d’assistance technique mis en œuvre par EPTISA[8] et KONEKTE[9] pour l’USAID[10] a, pendant un certain temps, dépassé le nombre de cadres et professionnels rémunérés à partir du trésor public. Par exemple, la Banque Interaméricaine de Développement (BID[11]) a pendant près de trois ans supporté les salaires de certains coordonnateurs et du coordonnateur général adjoint de l’OMRH. 

 

4. Adaptation et application des solutions

Considérations.

La République d’Haïti a subi de lourdes épreuves au cours des dernières décennies. Ses fondements démocratiques ont été trop souvent mis en cause. Il en résulte une politisation à outrance de la fonction publique et une attitude complaisante face à la dilapidation des finances et l’appauvrissement de l’état. L’instabilité politique la rend perméable aux mauvaises pratiques de nos dirigeants qui dans la majeure partie n’ont aucun sens éthique par rapport aux valeurs qui devraient caractériser l’Administration. Diagnostiquée malade de changement en 1997, il n’en demeure pas moins vrai qu’aucune des solutions proposées n’aient jamais été appliquées de sorte que l’administration publique haïtienne charrie encore aujourd’hui ses tares et ses travers.

Au regard d’une pareille situation, les résultats ne peuvent être que médiocres. Le monde va très vite et les transformations se font dans tous les domaines, les pays de l’OCDE et ceux de l’Amérique du Nord ont longtemps modernisé leur Administration au bénéfice de leurs citoyens. De la lourde bureaucratie du 19ème siècle, ils sont aujourd’hui à l’ère de la réingénierie du processus d’affaires. En tenant compte de leur modèle, notre plaidoirie se circonscrit dans une dynamique de sortir l’Administration Publique haïtienne du carcan rétrograde pour la mettre au pas avec le post modernisme qui se veut éthique, avec un management axé sur des résultats.

 

Vers une nouvelle Administration Publique haïtienne.

 

(Jean-Charles 1997) définit l’Administration publique comme étant un outil placé entre les mains de l’exécutif pour assurer la mise en œuvre des Politiques publiques. En s’inscrivant dans une évolution du modèle bureaucratique vers ce qu’il est convenu d’appeler maintenant le NMP (New Management Policy), il faut changer de paradigme. Il faut à l’État une vision pour se définir un agenda clair afin de repenser l’interface politico-administrative car le service public n’étant pas désincarné, ce sont des femmes et des hommes qui le font vivre, c’est un esprit qui l’habite (Gabriel de Broglie 1979). Il faut absolument la complémentarité des deux Univers dont le politique et l’administratif.

 

L’Interface politico-Administratif pour un engagement envers les concitoyens.

L’Administration Publique est un espace de dualité relationnel ou il est impossible de comprendre le processus décisionnel gouvernemental sans prendre en compte ces deux pôles. L’intégration nécessaire de la double perspective du politique et du technique exige la cohabitation et l’équilibre de cette interface essentiel au fonctionnement du système pour un engagement envers leurs concitoyens. D’une part le Politique fixe les orientations, recherche les résultats et d’autre part le Gestionnaire public assure la compétence la neutralité, la loyauté de l’institution.

Le leadership, ce n’est pas de diriger les choses, c’est de développer les gens (Schermerhorn…) [12]. Aujourd’hui, le nouveau management propose un nouveau départ avec de nouvelles pratiques dont la prise de décision, La performance des gestionnaires, La planification, L’organisation du travail, Le contrôle et enfin, le changement. Décider c’est transformer une volonté en acte, c’est l’élément intermédiaire entre la pensée et l’action, c’est le moment du passage à l’acte proprement dit (Actouf 1999). [13] La planification est une tentative d’influencer le futur par la lecture de l’organisation et de son environnement, la détermination d’objectifs et le développement de stratégies afin d’atteindre ces objectifs. (Mintzberg 1994)[14]. Au sein de l’administration haïtienne, le travail à faire est encore important et fait appel à l’engagement et à la participation de tout un chacun, mais c’est encore et surtout aux Gestionnaires qu’il revient d’assurer la cohésion du groupe en permettant à chaque collaborateur de maximiser ses efforts en vue de la réalisation de l’objectif final. LE CHANGEMENT. Pour une Administration Haïtienne éthique et de résultats, il faut la volonté des Politiques et l’urgence de pratiquer la rigueur dans la gestion des services publics.

 

Administration publique Haïtienne. (Modèle actuel)

 

Bibliographie

  1. SCHERMERHORN, J R; (2012); Organisational Behaviour, ERPI Québec, (Edi 12 th)
  2. Aktouf, O; le management entre la tradition et renouvellement; Gaétan Morin, 4eme édition
  3. Gabriel de Broglie (1995) ; L’Etat et le declin de la France, (ed Perrin)
  4. Mintzberg, H ; (1994) The Rise and Fall of Strategic Planning, Harvard Business Review. (ed Reprint)
  5. Décret 2005 Portant révision du statut général de la Fonction Publique.
  6. Décret portant révision du statut général de la Fonction Publique
  7. Jean Charles, E, (2002), Manuel de droit administratif haïtien, Afpec, (éd 2002)
  8. Shafritz, J. M., & Hyde, A. C. (Eds.). (2017). Classics of public administration (8th ed.). Cengage Learning. 
  9. Cooper, T. L. (2012). The responsible administrator: An approach to ethics for the administrative role (6th ed.). Jossey-Bass.

 

Yves Lafortune, MAP, Av

PH D Candidate in Public Policy & Administration


[1] Décret portant sur la fonction publique

[2] Commission Nationale de la Réforme Administrative (CNRA)

[4] Décret 2005 Portant révision du statut général de la Fonction Publique.

[5]  La dépouille va aux vainqueurs après les élections

  Théorie énoncée par Woodrow Wilson Professeur d’Université qui devint ensuite Président des États Unis La dépouille va aux vainqueurs après les élections

[6] Avec la décision du Président américain, une grande quantité d’agent public a émigré aux États-Unis.

[7] Partenaire Technique et Financiers

[8] Compagnie multinationale spécialisée dans la consultation

[9] Projet du Gouvernement américain en Haïti.

[11] Banque Interaméricaine de Développement (BID)

[12] SCHERMERHORN, J R; (2012); Organisational Behaviour, ERPI Québec, (Edi 12 th)

[13] Aktouf, O; le management entre la tradition et renouvellement; Gaétan Morin, 4eme édition

[14] Mintzberg, H; ( 1994) The Rise and Fall of Strategic Planning, Harvard Business Review. (ed Reprint).

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES