« Il faut attaquer le mal par ses racines en faisant la politique et le business autrement en Haïti ! »

soutient le juriste Alain Mondésir

Les Haïtiens sont sur les nerfs. Désespérés. Ils vivent une situation absolument insupportable et sont désarmés face à la misère et l’insécurité qui les submergent. La rareté du carburant ne fait qu'exacerber une situation déjà catastrophique. Mais au lieu de regarder les problèmes en face et de chercher ensemble une solution, les Haïtiens préfèrent se plaindre, s’accuser mutuellement et rejeter la faute sur les autres.

 

Or, le problème d’Haïti est d’abord économique : la croissance est faible alors que le pays fait face à une explosion démographique. Par conséquent, l’assiette fiscale se rétrécit rendant le gouvernement incapable de répondre aux besoins sociaux de base la population : nourriture, santé, logement. Pour répondre à ses défis, l’État devrait créer des emplois en investissant dans des secteurs clés de l’économie, en soutenant les petites et moyennes entreprises et en attirant des investissements directs étrangers.

 

À cet effet, il faut une gestion politique adéquate et une politique économique intelligente et efficace. C’est-à-dire d’un côté un État qui impulse, encourage de mille moyens : sécurité, infrastructures, réforme bancaire, crédits et subventions, etc. Et c'est là que le bât blesse : nous avons un État en panne de réflexion et démissionnaire depuis des décennies. Les rares investisseurs profitent de cette faiblesse de l’État pour établir des monopoles axés davantage sur l’importation imbibée de contrebande, de trafics de toutes sortes au lieu de servir à la production et à la création d’emplois. Les institutions chargées de bloquer les appétits démesurés des uns et des autres sont par terre à cause de la faiblesse de l’État.

 

Pour changer la donne, il faudrait que les deux secteurs-clés - le public (l’État) et le privé (le secteur des affaires) - parviennent à une entente qui soit avantageuse pour eux et pour l’ensemble de la population. Mais la méfiance ancestrale, l'absence du sens de la responsabilité chez l’Haïtien et l'appât du gain les tiennent éloignés de cette perspective patriotique. « Il faut attaquer le mal par ses racines en faisant la politique et le business autrement en Haïti, comme le soutient le juriste Alain Mondésir. C’est-à-dire utiliser la force du droit et non le droit de la force. »

 

Cette incapacité à créer une société normale qui est gérée selon les règles du droit et qui produit des biens et des richesses conduit à l’immobilisme et au maintien de la misère. Mais l’humain, par orgueil, a toujours besoin de justifier ses échecs. C'est pour cela qu'il a tendance à chercher constamment des boucs émissaires pour justifier son impuissance, attribuée toujours à l'autre. Au niveau national, le gouvernement (ou ses supporters) va accuser l’opposition d’avoir fait échouer son projet. L’opposition prétendra l’inverse, capitalisant sur l’échec pour faire son propre lit. L’un ou l’autre désignera les « oligarques ». Ceux-ci accuseront – cela arrive aussi – l’État de corrompu. Ces accusations réciproques traduisent la bataille acharnée que se livrent les différentes élites pour la monopolisation du pouvoir politique et économique.

 

Quand on a fini de faire le tour des fautifs locaux, on se retourne vers l’étranger : ce sont les Américains, les Dominicains, la France, le Core Group, l’ONU, l’OEA – bref les « Blancs » - qui sont responsables de nos multiples calamités. Mais parmi ces « responsables » étrangers, il y a une hiérarchie implacable : les Américains qui « convoiteraient nos richesses du sous-sol » sont en tête de liste.

 

Il arrive aussi qu’on rend coupable notre passé colonial : l’esclavage, la dette de l’indépendance, l’isolement d’Haïti au lendemain de l'indépendance. 

 

Chercher la cause de nos erreurs chez l'autre nous soulage de « savoir » l’origine du mal (satisfaction intellectuelle, on sait enfin où le bât blesse) et de « découvrir » et de mettre un nom sur les « responsables » (satisfaction morale, ouf ce n’est pas nous).

 

Mais toutes ces causes internes (adversaires politiques locaux) ou externes (les « méchants blancs » ennemis héréditaires) ou encore historiques (esclavage, invasions étrangères, occupations étrangères) généralement avancées peuvent être prises en considération. Mais elles n’expliquent pas notre impuissance actuelle. Les marteler sans arrêt relève de l’impuissance, car les principales raisons sont avant tout notre incapacité de réfléchir pour trouver une solution et de nous entendre pour les mettre à exécution. Prendre le taureau par les cornes, agir pour changer la donne. Éteindre le feu d’abord avant de chercher les éventuels pyromanes. Proposer des solutions concrètes et réalisables au lieu d’en rester uniquement au constat. C’est à cette aune que le peuple mesure la valeur et l’efficacité des politiques.

 

On est responsables de nous-mêmes !

On fait le tour des causes de nos malheurs mais on en occulte systématiquement l’artisan principal : (…) nous-mêmes. Arrêtons de rendre les autres responsables de tous nos malheurs. Qui est en charge du pays ? Nous. Uniquement nous, pouvons changer dans un sens ou dans l'autre. Le pays nous appartient et il appartient à nous de trouver des solutions à nos problèmes. Pas aux étrangers. Aucun pays ne s'est développé en comptant sur l’étranger.  On peut recevoir de l'aide intéressée ou désintéressée – voire un plan Marshall pour Haïti - mais la connaissance de nos besoins c'est finalement de notre ressort. Pour ce qui est des « ennemis » extérieurs, les Haïtiens doivent savoir que les grandes puissances sont des monstres froids et défendent avant tout leurs intérêts nationaux. Pourquoi développeraient-elles pour nous notre pays ? Il faudrait arrêter avec les accusations gratuites et la paranoïa. Le temps est à la réflexion et à l’action ; c’est la seule façon de sortir de ce bourbier !

 

L’enfer qu’on s’est créé inconsciemment ou sciemment vient de ce que les Haïtiens ne veulent pas s’entendre pour gérer le pays. Ils refusent de voir que le principal problème est l'incapacité des différentes élites de s'entendre autour d'un projet collectif et national, d'accepter des règles de droit permettant une coexistence pacifiée (à défaut d'être pacifique) et de mettre sur pied des conditions subjectives (la pensée) et objectives (le travail) pour produire des richesses. Ainsi, elles ont montré qu’elles ne sont pas à la hauteur pour gérer le pays ni du point de vue moral, éthique, politique et intellectuel.

 

Les classes dominantes optent pour la facilité au lieu de prendre en main le destin du pays. Par exemple, elles laissent les gangs faire la loi au lieu de donner des moyens à la police pour combattre ce fléau. Elles n'ont aucun plan de relance économique et elles passent la plupart de leur temps à mener des combats politiques souvent vides de sens au lieu d’organiser l’économie. L'absence d'institutions dignes de ce nom, conçues généralement pour freiner les appétits des uns et des autres dans une société, conduit au règne de l'anarchie et la dégradation éthique : la famille, l’école et même le religieux (corruption et affaires de mœurs dans les églises protestantes par exemple) perdent leur autorité morale.

 

Comment s'en sortir ? Cela prendra le temps d'une nouvelle génération si la prochaine rompt avec celle-ci trop corrompue et incompétente. L’absence d'éthique vient d'une angoisse matérielle. Le raisonnement vaut aussi dans l'autre sens : le manque d'éthique nous condamne à ne pas organiser la vie matérielle de manière à ce qu'il y ait du respect pour les plus vulnérables, la production de richesses et le partage équitable. Un cercle vicieux ! Par où commencer ? Par l'éthique pour organiser l'économie ? Ou par l'économie qui créera l’éthique ?

 

Si on passe par l'éthique, il faut des secteurs qui l'encouragent. La société civile, à savoir : l'église, la famille, l'école, la presse, les organisations des droits humains, etc. ont presque toutes failli, comme l’État.

 

À quel saint donc se vouer ? Certains éléments désintéressés de la société civile ? La partie éventuellement saine de la presse ? Les patriotes conséquents au sein de certains partis politiques ? Comment les recruter, les mettre ensemble ? En tout cas, le processus sera certainement long. Très long.

 

Élodie Gerdy et Sergo Alexis

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