Haïti : Un Génocide planifié

Après avoir réalisé le génocide des Amérindiens au début du XVIe siècle et cautionné celui des Tutsis au Rwanda à la fin du siècle dernier, l'Occident , avec en premier chef les États-Unis est le point d'accomplir, par une catastrophe humanitaire le plus grand génocide du XXIe siècle en Haïti. 

Depuis la chute de la dynastie des Duvalier en 1986, le pays est  entré dans une ère d'instabilité politique profonde qui s'est intensifiée ces dix dernières années au point de transformer la Première République nègre en une vraie entité chaotique ingouvernable. 

Selon le politiste haïtien, Sauveur Pierre Etienne, Haïti symbolise l'échec dans tous les sens du terme. Cet échec ne saurait être imputé à la seule incapacité des Haïtiens à définir la meilleure stratégie pour faire face au problème du sous-développement, mais il révèle aussi des efforts conjugués  des grandes puissances particulièrement des États-Unis pour bloquer  la marche de cette nation vers les chemins du progrès économique et de la stabilité politique.

Dès 1804, la Première République noire fait face à l'hostilité internationale. Son indépendance est boycottée par les grandes puissances de peur que celle-ci n'influence le destin des autres colonies européennes de l'Amérique latine et de la Caraïbe. Le pays allait vivre dans l'isolement international malgré sa contribution dans l'effondrement de l'empire colonial espagnol et portugais sur le continent.

En 1825, des navires de guerre de la marine française arrivaient dans la rade de Port-au-Prince pour imposer à l'État haïtien l'Ordonnance de Charles X prévoyant le paiement de 150 millions de francs pour la reconnaissance de l'indépendance nationale obtenue au prix du sang en 1804. Le chef d'État d'alors, Jean Pierre Boyer (1818-1843),  céda à la pression de l'ancienne métropole. Il accepta les termes de cette ordonnance qui inaugure, d'après Benoit Joachim,  '' l'ère du néocolonialisme en Haïti ''. 

Au début du XX e siècle, l'Allemagne présente dans les eaux caribéennes est partie prenante de la guerre civile de 1902. Elle a soutenu le général Nord Alexis face à Anténor Firmin. Ce dernier a été battu grâce à l'intervention du Panther allemand pour neutraliser la Crête-à-Pierrot, le seul navire dont disposait le pays entre les mains des firministes. Et en 1915, le pire s'est produit. Le pays est occupé par la marine américaine et Washington y imposa un protectorat jusqu'en 1934.

La sociologue haïtienne, Myrtha Gilbert, analysant les effets négatifs de cette occupation nord-américaine parle de '' l'infantilisation de l'élite haïtienne '' c'est-à- dire une élite incapable à produire des réponses rationnelles au mal être du pays. Elle ne fait qu'attendre  des solutions occidentales au problème haïtien, celles de Washington, de Paris et d'Ottawa. Elle est dépourvue de toute consistance morale, idéologique et intellectuelle qui pourrait lui rendre apte à guider les actions des masses.

Le départ des Américains n'a pas mis fin à leur politique néocoloniale. Ils continuent à s'immiscer dans les affaires politiques et économiques nationales. Les gouvernements rétrogrades et conservateurs sont soutenus par Washington,  et il participe au renversement de ceux posant les bases du bien être économique et social de la population. En témoignent le soutien du Département d'État au régime sanguinaire et rétrograde des Duvalier (1957-1986) et son hostilité au gouvernement progressiste de Dumarsais Estimé (1946-1950). 

Depuis 1986, l'on assiste à l'effondrement accéléré de l'État haïtien, résultante de l'application de la géopolitique du chaos déjà expérimentée en Somalie par les Américains en 1994.Cette théorie inspirée du machiavélisme consiste à décapiter une société, détruire ses élites, anéantir ses institutions, briser ses structures de sécurité, affaiblir les forces de l'ordre, transformer l'État en un concept vide de sens. 

En ce début du XXIe siècle, Haïti fait l'expérience de ce scenario du diable (Luc Michel) concocté par l'Oncle Sam. La pénurie  de l'essence, à côté de l'affrontement des bandes armées, du kidnapping, de la criminalité organisée,  sera à l'origine d'un génocide lent, mais planifié par les grandes puissances.

Il n'est pas prudent aujourd'hui en Haïti d'être malade ou d'avoir une urgence médicale. Car les hôpitaux, victimes de la crise du carburant,  ferment leur porte un à un. Dans ce pays où l'on a 5,9 médecins pour 10 000 habitants (OMS, 2016), le droit à la maladie est strictement interdit.

Les prix des produits de première nécessité connaissent déjà une augmentation significative, conséquence du stockage du carburant par un secteur au niveau national qui soutient l'acte génocidaire provoquant le marché noir dans l'informel. Si rien n'est fait par cette bande d'incompétents et d'ignares au pouvoir soutenus par la République étoilée, le pays avancera à pas géant vers un désastre humanitaire.

L'économie nationale déjà anémiée en souffre. Des entreprises commerciales fonctionnent au ralenti réduisant leur horaire de travail de 5 à 3 jours. On n'est pas trop loin d'un '' locking économique '' total entrainant le chômage de masse, corolaire de la famine, dans ce PMA de plus de 11 millions d'habitants où 70% de la population vit avec de moins de 2 US par jour (Banque mondiale, 2020).

Certaines universités qui travaillent au ralenti depuis l'explosion des cas de kidnapping, il y a un an,  ferment de nos jours leurs portes et les professeurs sont basculés au chômage et dans la précarité. Les moins précaires au service des classes dites  '' moyennes '' tiennent tête, mais suivent la stratégie du secteur commercial de 3 jours de travail sur 5. Les écoles secondaires emboîtent le pas devant les coûts exagérés des frais de transport qui augmentent parfois jusqu'à 500 % selon le circuit.

Chaque jour une porte se ferme sur Haïti. La communauté internationale, l'OEA, la CARICOM, le Gore Group, les puissances étrangères, etc. croisent leurs bras devant la tragédie haïtienne et assistent en spectateurs cyniques, l'effondrement du peuple qui a tracé la voie de la liberté au monde. 

Les puissances occidentales ont décapité la société haïtienne. Ses élites sont en lambeau. Les '' classes moyennes'' demeurent un souvenir. Ses forces de sécurité nationale sont dépassées devant les actions criminelles des bandes armées. Ses institutions sont démolies. L'État haïtien devient un concept flou, une construction absurde.

L'intelligentsia nationale, si elle existe encore, doit se réveiller pour jouer son rôle d'avant- gardiste et d'éclaireur comme en 1915 avec Catts Pressoir, Jean Price Mars, Horace P Sanon, Rosalvo Bobo, Dantès Bellegarde, etc. sinon le pays marche vers sa disparition sous le poids d'un génocide.

Parlant d'Haïti et de la bravoure de son peuple qui a changé l'ordre mondial en 1804 par sa révolution, le président Franklin Delano Roosevelt disait : ''Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s'entre-déchirer les uns les autres, c'est la seule façon pour nous d'avoir une prédominance continue sur ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les armes. Ce qui est un mauvais exemple pour les 28 millions de noirs d'Amérique."Ce discours inspiré du machiavélisme primaire demeure le fil conducteur  de la politique américaine en Haïti, ce pays stratégique au cœur de la mer des Caraïbes qui est un cauchemar pour l'Occident en particulier la France.

 

Bleck D Desroses, professeur de

Géopolitique/Christopher.bleckedward@gmail.com

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