Changements climatiques: les institutions de droit de l’environnement de la caraïbe se mobilisent

L’Association Haïtienne de Droit de l’Environnement (AHDEN) et l’Instituto de Abogados para la Protección del Medio Ambiente (INSAPROMA) de la République Dominicaine ont signé, avec d’autres institutions sœurs de la Caraïbe, une déclaration conjointe pour la protection de la mer des Caraïbes, à l’occasion de la tenue de la vingt-sixième Conférence des Parties (COP 26) de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. Voici la version française de ladite déclaration.

Les organisations caribéennes et internationales signataires de la présente,

Conscientes de la nécessité de mettre fin à l’exploitation des sources d’énergie fossile dans la mer des Caraïbes et préoccupées par la prolifération des industries pétrolières sur leur territoire,

Ayant à l’esprit que les pays caribéens, en majorité de petits Etats Insulaires, très vulnérables aux changements climatiques auxquels ils ont très peu contribué sont déjà victimes des phénomènes extrêmes (cyclones, inondations, sécheresse) consécutifs au réchauffement planétaire,

Reconnaissant que les Etats caribéens ont lutté pour leur indépendance respective et continuent à le faire pour se libérer de l’exploitation coloniale et impérialiste ont le droit de mener une existence digne dans la diversité de leur culture, fruit d’une histoire commune et partagée,

Réaffirment ce qui suit :

  • L’industrie pétrolière aggravera leur crise socio-économique et contribuera très peu à leur développement et à leur souveraineté.  Les contraintes du marché poussent les compagnies concernées à exploiter des sites de plus en plus complexes et de moindre productivité et rentabilité comme dans le cas des puits très profonds.  La transition énergétique en cours fait douter de la viabilité de l’industrie pétrolière sur le long terme.  Ainsi, l’endettement historique de ces pays et les dégâts causés par la pandémie de Covid 19 apporteront plus de coûts que de bénéfices.
  • L’exploitation des hydrocarbures, à travers notamment de nouveaux gisements, augmentera l’émission des gaz à effet de serre (GES).  Une des principales conséquences de l’offensive actuelle des industries pétrolières dans la région est qu’elle finira par augmenter l’émission de GES dans l’atmosphère, causant ainsi l’impossibilité d’atteindre l’objectif de garder la hausse de température moyenne de la planète autour de 1,5° C à la fin du siècle.
  • Ni l’exploration ni l’exploitation d’énergies fossiles ne pourront réduire les niveaux de pauvreté énergétique dans nos pays.  La haute volatilité des prix des hydrocarbures et l’importance de l’énergie fossile dans le mix énergétique de nos pays aggrave leur vulnérabilité et leur dépendance, de sorte que chaque fluctuation observée dans le système finisse par influencer négativement les comptes publics et l’accès à l’énergie de nos populations. L’exploitation de l’énergie fossile est loin d’être une solution à nos problèmes.
  • Les bénéfices sont pour certains tandis que les risques sont pour tous.  Les contrats d’exploitation actuellement en vigueur fournissent de grandes facilités pour l’exportation des richesses ainsi produites alors que les déversements accidentels d’hydrocarbures et la marée noire qui en résulte affectent inévitablement tout l’ensemble de la région, mettant ainsi en péril le futur de la Caraïbe qui nous unit et supporte notre existence de peuple.
  • Les risques de pollution affectent en priorité les communautés et les écosystèmes côtiers.  Les plateformes d’exploitation localisées en eau profonde fragilisent l’économie régionale en mettant en danger le tourisme et la pêche.  Des accidents comme ceux enregistrés dans le Golfe du Mexique et récemment en Californie sont non seulement des exemples du genre, mais aussi des cas où la dégradation passe souvent inaperçue, malgré qu’elle soit régulière et persistante.
  • Les restrictions imposées au niveau global pour l’exploitation des hydrocarbures ne pourront qu’augmenter face aux besoins de mitigation et de contrôle de la crise climatique.  Il n’y a plus de justification en matière climatique pour l’extraction accrue de pétrole, comme l’a souligné récemment l’Agence Internationale de l’Energie.  Si l’on veut atteindre les objectifs de l’Accord de Paris que les pays de la Caraïbe ont ratifié, plus de 50% des réserves de pétrole et de gaz doivent être conservées indéfiniment dans le sous-sol.

Aussi, lancent-ils un vibrant appel en direction des pays et des organisations multilatérales de la Caraïbe aux fins de :

  • Etablir des mécanismes de protection et de sauvegarde des droits humains.  L’exercice du droit de dire non et de résister à une agression quelconque expose à la violence et aux mesures de représailles les communautés qui s’opposent au développement des industries extractives.  La participation active et solidaire des populations motivées et organisées reste la meilleure garantie pour notre avenir commun.
  • Réparer les dommages sociaux et environnementaux causés par le laisser-faire.  Dans beaucoup de pays, la fermeture des entreprises de production a laissé un vide qui doit être comblé en vue de créer de meilleures conditions de vie pour nos populations dans le futur.
  • Observer un moratoire dans la mise en place de nouveaux puits et infrastructures pétroliers dans nos pays et la région.  En plus des intentions d’interdiction définitive adoptées dans certains pays comme les Bahamas et Costa Rica ou les résultats déjà obtenus au Belize, il convient d’adopter une approche régionale face aux risques collectifs afin de freiner les avancées de l’industrie pétrolière dans nos pays notamment en ce qui concerne l’exploration et l’exploitation des gisements en eau profonde.
  • Formuler et appliquer des politiques de mitigation des dommages causés par l’industrie extractive.  La coordination des politiques interétatiques est une activité prioritaire en lien avec les mécanismes multilatéraux de réponse rapide aux risques et urgences comme un déversement d’hydrocarbure, compte tenu de l’information relative aux gisements en activité.
  • Assurer la promotion du savoir caribéen par et pour nos pays respectifs.  Les meilleures solutions et réponses aux problèmes qui nous rapprochent les uns des autres doivent venir de nous-mêmes.  Le développement de l’information stratégique permettant de faire face et de dépasser les limites de l’industrie pétrolière réclame un support et une coordination de dimension régionale.
  • Réviser et vulgariser les contrats et les systèmes de régulation en vigueur.   Malgré qu’il soit difficile de les publier dans beaucoup de cas, en raison de leur confidentialité, le libre accès aux accords signés entre les Etats et les entreprises mérite une grande attention.  L’accès aux informations nécessaires pour leur évaluation est indispensable pour la prise de décision.  Les mécanismes de régulation des industries pétrolières doivent être renforcés et les peuples doivent coopérer pour développer conjointement des protocoles pour les fermer.
  • Abandonner, de manière échelonnée et progressive, les productions en cours moyennant l’aménagement d’une juste transition énergétique.  Arrêter la consommation des énergies fossiles implique des modifications structurelles à long terme dans nos pays, lesquelles seraient impossibles en l’absence de l’annulation de la dette externe et du renforcement de la coopération internationale.  Il est possible de canaliser le flux de la dette externe vers le financement de meilleurs mécanismes de transfert de technologie dans le domaine énergétique.  La création d’un fonds à partir des crédits de la dette externe pour affronter les désastres et les chocs climatiques sur une base durable répond à une exigence de justice climatique afin de garantir un accès équitable et universel aux sources d’énergie non polluantes dans le respect des droits collectifs de nos populations.

Ainsi, les signataires de la présente élèvent leurs voix par devant les Etats et compatriotes de la Grande Caraïbe pour réaffirmer que la défense de leur culture et de leurs territoires, de leur souveraineté et de leur coopération demeure les meilleurs outils capables de garantir leur dignité respective.  La lutte sera longue et difficile et la marge de manœuvre restreinte, mais la moisson sera belle et beaucoup peuvent être faits déjà par les gouvernements de la région.

Pour une Grande Caraïbe libre de pollution par les hydrocarbures !   Pour une Grande Caraïbe unie, libre et solidaire !

Port-au-Prince, le 4 novembre 2021

Pour authentification

Jean André VICTOR                                                                             Vinet JEAN-PIERRE

Président de l’AHDEN                                                                Secrétaire Général de l’AHDEN

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