Un homme qui, une fois installé dans le vide béant laissé par l’assassinat de Jovenel Moïse, s’est pris pour un menhir inamovible, s’accrochant à son pouvoir comme un naufragé à une épave. Ministre, Premier ministre, Président de la République, ministre de l’Intérieur, Ariel Henry s’est transformé en une entité omnipotente, concentrant entre ses mains un pouvoir qu’aucun homme avant lui n’avait osé revendiquer avec autant d’arrogance.
Aveuglé par l’immensité de son autorité, il révoque tout ce qui bouge, fait et défait les carrières en un claquement de doigts, raye d’un trait de plume les destins qui ne conviennent pas à sa vision, si tant est qu’il en ait une. En un quart d’heure, il destitue, remplace, impose, comme si gouverner un pays en ruine se résumait à jouer aux chaises musicales avec l’administration publique. Le décret est son arme, l’autosatisfaction son moteur, et la surdité aux cris du peuple sa signature.
Ariel Henry s’est voulu le chirurgien d’Haïti, mais au lieu de recoudre les plaies profondes de la nation, il n’a fait qu’amputer ses dernières forces vives. Haïti suffoquait sous son règne, non pas parce qu’il est un tyran, mais parce qu’il est une ombre froide qui plane sur un pays en décomposition. Sa gouvernance est celle d’un homme qui ne gouverne pas, mais qui orchestre sa survie au sein du chaos. Et pourtant, il s’accroche. Inébranlable. Insensible. Comme un homme seul sur un radeau, refusant d’admettre que la mer l’engloutira bientôt. Mais l’histoire est implacable, et les rois sans couronne tombent toujours plus lourdement.
Pourtant, derrière ce naufrage, il n’est pas seul. Son échec est aussi le nôtre, nous qui rêvions de changer Haïti, nous qui avons cru qu’il existait encore, quelque part, une lueur d’intelligence et de volonté au sein de cette génération politique qui s’est autoproclamée progressiste. Ariel Henry était de cette cohorte de ceux qui se disaient de gauche, de ces socialistes roses, formés à Paris, que la dynastie héréditaire du duvaliérisme avait refoulés dans les marges de l’histoire avant qu’ils ne reviennent, non pas en sauveurs, mais en naufragés du pouvoir. Cette génération a fait faillite. Elle s’est noyée dans son propre verbiage révolutionnaire, dans ses compromissions successives, dans son incapacité chronique à incarner autre chose qu’un simulacre d’opposition. Ariel Henry en est le dernier vestige, le dernier des épouvantables, cette caste politique que les États-Unis ont, tour à tour, courtisée et étripée, jusqu’à ce qu’ils n’en reviennent toujours pas de leur propre création.
L’Oncle Sam ne rigole pas quand ses intérêts géopolitiques en Haïti sont menacés. Ceux qui, hier encore, faisaient les yeux doux à l’empire américain, qui s’agenouillaient devant ses ambassadeurs en échange d’une reconnaissance, d’un financement ou d’une place à la table du pouvoir, se retrouvent aujourd’hui dans les poubelles de l’histoire. Henry, avec son art consommé du double jeu, son talent à rouler tout le monde dans la farine – Washington y compris –, incarne à lui seul l’humiliation d’un pays qui ne sait plus comment se tenir debout, et l’embarras d’une puissance étrangère qui ne sait plus comment le contrôler.
Haïti n’a pas seulement été trahie par ses élites. Elle a été abandonnée, dépecée, et livrée à un système de dépendance où ses propres dirigeants ne sont plus que des marionnettes fatiguées, désarticulées, que l’Amérique manipule tantôt avec bienveillance, tantôt avec mépris. Et au centre de ce tableau de décomposition, Ariel Henry n’est qu’un fantôme, un homme sans destin, dont la chute sera aussi insipide que son règne.
Maguet Delva