Vertières, notre symbole de combativité

Les guerres se perdent ou se gagnent, une bataille à la fois. Quand une personne s’avoue vaincue, s’en est fait de sa situation. Si elle s’endort sur ses lauriers, elle risque de perdre les avantages de ses avancées. Tout dépend de la combativité des uns et des autres, de bataille en bataille jusqu’à ce que l’une semble décisive. Alors, on se dit que c’est la dernière qui doit marquer la fin de la guerre.

Il y a de ces batailles dont la victoire augure d’un temps de paix à venir, porteur de rêves de bien-être et de tranquillité dont se nourrit toute vision de grandeur et de prospérité. Fatidique pour les colons et glorieuse pour les révoltés, Vertières témoigne de ces batailles mythiques de l’histoire universelle. Son récit ne finira pas d’étonner l’entendement des autres, mais surtout de galvaniser l’âme haïtienne, maintenant plus que jamais.

A parler de Vertières aujourd’hui, certains diront que c’est un comportement passéiste. D’autres, envahis par le découragement, se laisseront convaincre par ce langage d’impuissance, faute par nous d’avoir maximisé les prouesses de nos Aïeux. Au point où en est notre pays, il est raisonnable de conclure combien nous en avons fait un terrible gaspillage, ayant transformé la suite de notre histoire exceptionnelle en un gâchis inouï.

On a déclaré notre faillite. Refusant de nous prendre en mains, nous l’avons démontrée. Maintenant, nous nous prenons en pitié pour en appeler à la mansuétude d’autrui malgré leur mépris. La jeunesse de notre pays est en droit de tout remettre en question pour demander si la méthode prônée par cet odieux individu de Willie Lynch n’a pas réussi ? Aurions-nous été cassés, malgré Vertières ?

Le symbole de Vertières nous rappelle qu’il n’en tient qu’à nous d’être ou de ne pas avoir été cassés. Il n’en tient qu’à nous comme il en tenait aux guerriers indigènes d’autrefois de choisir de se battre et de traduire en actions leur cri de motivation « Liberté ou la mort ». Il leur revenait personnellement d’accepter les conditions de l’esclavage et de s’avouer vaincus ou alors de se jeter d’emblée dans la bataille avec détermination et sans répit.

Oui, il n’en tient qu’à nous de nous révolter contre l’état inacceptable des choses de notre pays et d’œuvrer pour le changement que l’on croit impossible. Fixons notre avenir et étonnons le monde de nouveau. En cet instant, le choix est à nous, comme il appartenait lors à chacun de nos Aïeux.

À Toussaint Louverture, de tenter l’autonomie coloniale. À Christophe, d’incendier le Cap sans hésiter. A Jean-Jacques Dessalines, de saisir les ruses de Leclerc. À Pétion, de comprendre la traitrise du général français. À Cappoix dit « Cappoix la mort », de trembler de peur et de reculer face à Rochambeau, ou alors de crier « En avant ! ». Comme pour tant d’autres, depuis les caciques jusqu’aux combattants à Vertières et sur les multiples champs de bataille de l’île, il n’en tenait qu’à leur engagement dans le combat.

Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, on n’en tarissait pas de vanter la résilience du peuple haïtien. Généralement, c’est un concept qui relève du domaine de l’ingénierie et renvoie à la notion de résistance des matériaux aux chocs. Alors, était-ce dire qu’il s’agissait là d’un spécimen vivant particulièrement indestructible ? Non à la manière de nos fabuleux héros, à la dimension mystique presque surhumaine, mais à celle de ces insectes insignifiants, lesquels ont survécu à travers les millénaires tandis que d’autres espèces plus développées périrent.

Toutefois, rappelons cette définition avancée par quelques humanistes. La résilience est « la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’évènements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères ». 

Autrement dit, la résilience suppose une dynamique existentielle à deux temps. Il s’agit, certes, de résister aux épreuves de l’existence, de ne pas mourir, mais de survivre quoiqu’il arrive. Puis, il faut absolument se relever, lutter pour s’offrir des conditions qui vaillent la peine d’être vécues. Agir afin d’établir concrètement la différence entre la survivance dans l’existence et la vie dans la dignité. En fait, pas de vraie résilience sans esprit de combativité ; les Pères Fondateurs de la nation haïtienne l’ont prouvé.

Que peut-il y avoir de pire que le Code Noir qui ravissait à un groupe d’humains réifiés, l’essence même de leur être, leur liberté physique et leur libre arbitre ? Pourtant, malgré l’indépendance du pays, sa population n’est pas sortie de l’indigence ni de l’ignorance. Nous n’avons rien fait pour pallier notre vulnérabilité insulaire. Actuellement, quel est donc le défi réel que nous, Haïtiennes et Haïtiens, n’osons pas relevé, car, il n’en tient qu’à notre combativité pour gagner les batailles de l’heure ?  

Nous n’avons pas renoncé à la malfaisance, alors notre être subit les pires sévices infligés par nos propres mains. Aujourd’hui, l’ennemi à vaincre, c’est nous-mêmes. Évoquons donc l’esprit de Vertières et gagnons cette bataille contre nous-mêmes.

Mettons-nous ensemble comme à Vertières et nous réussirons pour notre peuple toutes les gageures : l’alimentation, l’éducation, la santé, l’environnement, l’économie, l’industrie, le développement durable, la bonne gouvernance, la sécurité, l’État de Droit. Mettons-nous ensemble comme à Vertières pour combattre nos fléaux intérieurs : la traitrise, la méfiance, l’indifférence, l’égoïsme, la paresse, la gabegie, la corruption, le banditisme, la cruauté, la haine.

Retrouvons-nous sur tous les fronts : dans les familles, les communautés, la diaspora, l’administration publique, les affaires, la justice. Adoptons les bonnes formules : l’empathie, l’entraide, l’estime de soi, l’éthique, la créativité, la fierté, la paix. Défendons le bon combat, celui de l’intérêt général, et voyons dans les masses populaires, les visages de nos frères et sœurs ; dans la jeunesse, les leaders de demain.

Dégageons ensemble cette vision d’une Haïti libre, fière et prospère. Et sans paraphrase, répétons avec l’autre qui disait : « Je refuse le désespoir ; je combats le cynisme ; je m’oppose au pessimisme ; la destruction ne m’arrête pas ».

Vertières n’est pas qu’un lieu, c’est notre sanctuaire. Hors Vertières, nous n’avons pas d’existence. Il représente le plus grand idéal, celui de la liberté humaine.

Vertières demeure le symbole de la combativité du peuple haïtien. Regardons le paysage, et voyons-y notre Patrie. La seule que nous ayons tous : Haïti.

Honneur et Gloire aux Combattants de Vertières ! Aujourd’hui, toujours et à jamais.

 

Chantal Volcy Céant

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES