Le rôle du ministère public dans l’Exécutif et le Judiciaire

Sous l’insistance des avocats et avocats-stagiaires de la juridiction de la Croix des Bouquets, des parquetiers et des juges de ce ressort, il m’est impérieux de publier ce travail de recherche effectué et présenté à leur intention sous forme de conférences-débats, il y a déjà quelques années écoulées. J’espère que les lecteurs y trouveront également des éléments capables de mieux éclairer leur lanterne à ce sujet, à mon humble avis, si passionnant.

Depuis la nuit des temps, de nombreuses discussions ont surgi au sujet des contacts qui auraient eu lieu entre des ministres de la justice ou les membres de leur cabinet et des magistrats debout et assis. Sans se prononcer sur la pertinence de certaines critiques, voilà l’occasion d’expliquer le rôle du ministère public ou du parquet et son statut, par rapport notamment, au pouvoir judiciaire et au pouvoir exécutif.

En règle générale, le parquet ou ministère public est l’ensemble des magistrats chargés de représenter les intérêts de la société et de veiller au respect de l’ordre public et à l’application de la loi. Le ministère public est hiérarchisé (commissaire du gouvernement en chef et ses substituts) et subordonné au garde des Sceaux ou mieux chez nous en Haïti, le ministère de la Justice.

Au niveau de chaque Tribunal de première instance, on trouve un parquet composé d’un commissaire principal et des substituts. Le parquet est chargé de la représentation du ministère de la Justice, ensemble des services de l’État, administration centrale et services déconcentrés, placés sous la responsabilité d’un ministère public auprès du tribunal correctionnel. Au niveau de la cour d’appel, le parquet est ainsi composé : un commissaire principal et des substituts.

Notons que l’ensemble des magistrats d’un même parquet est indivisible et substituable, ce qui signifie que chacun d’entre eux peut représenter indifféremment  le Ministère public au cours de la procédure. Le parquet est un indivisible. Il serait opportun d’expliquer plus loin, le principe d’indivisibilité du parquet en ce sens.

Le parquet, dont la dénomination doit son origine au petit parc clos dans lequel se tenaient à l’audience les Procureurs du roi sous l’ancien Régime, possède la mission générale de veiller à l’application de la loi au nom du respect des intérêts fondamentaux de la société. Cela prend la forme d’activités diverses :

  • L’exercice de l’action pénale selon le principe de l’opportunité des poursuites en application de la politique pénale du Gouvernement, Organe collégial compose du Premier ministre, des ministres et des secrétaires d’État chargé de l’exécution des lois et de la direction de la politique nationale. ;
  • l’exécution des décisions pénales définitives ;
  • le signalement et la  prévention de l’enfance en danger ;
  • L’intervention dans certaines procédures civiles, quand la loi le prévoit et pour la défense de l’ordre public ;
  • Les auditeurs sont également des magistrats de la cour supérieure des comptes et du contentieux administratifs. Il  y a  un mélange de l’ordre juridictionnel administratif et de l’ordre juridictionnel judiciaire.
  • la participation aux politiques publiques locales en matière de sécurité et de prévention de la délinquance

Souvent méconnue du grand public, une distinction fondamentale doit être faite entre deux sortes de magistrats : ceux qui décident, c’est-à-dire les juges, que l’on appelle des magistrats du siège  ou assis et ceux qui entament des poursuites ou produisent des réquisitoires, que l’on appelle les magistrats du ministère public ou du parquet, désignés encore sous  l’appellation de magistrats debout ;

Les juges sont des organes du pouvoir judiciaire. Ils devraient jouir d’une indépendance absolue à l’égard du gouvernement. Garantie par la constitution, cette indépendance  signifierait, que ni le ministre de la Justice ni aucune autre autorité quelconque, ne devrait passer des ordres ă un juge ou exercer une pression directe ou indirecte pour l’inciter à statuer d’une manière déterminée ou orientée.

Tout autre est le statut des membres du ministère public.  Ceux-ci ne jugent pas. Leur mission est de défendre en justice les intérêts de la collectivité publique et plus particulièrement l’intérêt de la loi qui en est l’expression. En matière pénale, c’est-à-dire lorsqu’une personne est poursuivie, au nom de la vindicte publique, devant une juridiction pénale en raison d’une infraction qui lui est reprochée, ils enclenchent les poursuites et requièrent devant les juridictions répressives les sanctions prévues par la loi. En matière civile, c’est -à-dire  dans les litiges qui, pour l’essentiel, concernent les intérêts des particuliers, ils présentent au juge leurs réquisitoires ou observations sur ce qui leur parait être la  bonne application de la loi.

Dans l’exercice de cette mission d’intérêt général, les membres du ministère public agissent comme des représentants du pouvoir exécutif. Ils sont à ce titre placés sous l’autorité du ministre de la Justice. Au regard de la constitution, celui-ci peut leur adresser des directives contraignantes de la politique criminelle du gouvernement; il peut même leur donner l’ordre d’entamer des poursuites dans des cas individuels très précis. Cette subordination hiérarchique des membres du parquet à l’égard du ministre peut surprendre plus d’un. Elle est du reste, souvent mal comprise. Mais, dans un régime parlementaire, le ministre responsable devant le parlement, la notion de la politique criminelle, doit disposer de moyens lui permettant de concrétiser les orientations de cette politique.

Cette soumission hiérarchique ne peut toutefois conduire à assimiler les membres du ministère public à de simples fonctionnaires. La charte fondamentale de 1987 amendée, consacre en effet tout aussi formellement l’indépendance  du ministère public dans l’exercice  des recherches et des poursuites. Cette indépendance est réelle et vaut aux membres du parquet la qualité de magistrats debout. Ainsi, quelle que soit son autorité, le ministre de la Justice  n’a pas le pouvoir de se substituer en tout ou en partie dans l’exercice des attributions qui reviennent au ministère public. Celui-ci a la maitrise de l’action publique, qu’il  peut ou non décider de mettre en œuvre. Jamais un ministre ne peut intimer l’ordre au ministère public de ne pas poursuivre dans des cas individuels.  Il ne peut pas davantage entraver son action. Ajoutons qu’en toute hypothèse, là même où il agirait sur instruction, il conserve intacte sa liberté de parole, à l’audience, devant le tribunal : pour le ministère public, ‘’la plume est serve, mais la parole est libre’’, dit-on parfois. Le ministère public occupe ainsi dans l’organisation  des pouvoirs une place tout à fait spécifique et originale qui en fait, en quelque sorte, une charnière entre l’Exécutif et le Judiciaire. Ce qui montre que le principe de la séparation des pouvoirs n’est nullement synonyme de cloisonnement, mais tout au contraire s’exprime par la collaboration des pouvoirs. La constitution de 1987 parle de l’indépendance du sujet judiciaire dans le  cadre du principe de la séparation des pouvoirs.

Sur l’organe. Il s’agit d’abord pour les auteurs de réfuter l’argument historique de leurs adversaires et de démontrer que le Ministère Public actuel n’est pas une transposition du Ministère public d’Ancien Régime, mais qu’il a été créé par le législateur napoléonien. Ils insistent sur la qualité de magistrat de l’ordre judiciaire des membres du parquet. L’appartenance à la magistrature est entendue comme appartenance au <<pouvoir judiciaire >> et implique l’absence de subordination au pouvoir politique. Dans le procès pénal italien, cela signifie le rôle du Ministère public ne se réduit pas à celui d’un enquêteur, à l’inverse, en sa qualité de Magistrat, il doit faire respecter la légalité à tout moment de l’enquête.

Sur la fonction. Les membres  du Ministère public représentent la société et sont avant tout les défenseurs nés de la loi. Ils exercent une fonction de  nature judiciaire ou juridictionnelle, définie comme fonction d’application de la loi ou fonction de garantie. Ce type de définition rend  à permettre l’assimilation des fonctions des juges  et du M.P. dans un ensemble unique, ou fonction judiciaire. La fonction de juger doit justifier l’assimilation des garanties. Le M.P. constituerait un filtre de la légalité des investigations, dont l’indépendance garantirait l’impartialité dans l’exercice de l’action pénale et donc de l’Égalité devant la loi. La subordination à un organe politique violerait le principe de la séparation des pouvoirs. L’indépendance du parquet est un contre-pouvoir du côté des citoyens. Les auteurs affirment que la soumission du parquet se rapporte à une certaine vision dépassée de l’État en contradiction avec la conception actuelle d’un État de droit constitutionnel ou État démocratique de droit. Le ministère public n’est pas un pouvoir dans un pouvoir. Il est un maillon dans  la chaine pénale et un trait d’union dans l’application des lois ă l’égard de ses concitoyens.

Au terme de la présentation des controverses, une opposition fondamentale entre deux conceptions de la fonction exercée par le M.P, semble s’imposer. Le premier groupe d’auteurs  estime que la fonction du M.P. est une activité politique (dans le système italien), qui justifie la position spéciale du M.P. dans la magistrature ou la séparation du corps judiciaire. Le second la voit davantage comme une activité liée, d’application de la loi (dans le système français de l’opportunité des poursuites) qui devrait justifier son indépendance organique ou fonctionnelle. Ce clivage repose sur des présupposés distincts. Toutefois, les auteurs qui s’opposent utilisent des arguments communs ; on tentera donc de mettre en évidence certains présupposés qu’ils semblent partager.

 

 

 Indivisibilité du parquet

Une des spécificités du parquet est, qu’il est indivisible: chaque membre représente l’ensemble et les membres du parquet sont donc interchangeables. Si un membre fait ou commet un acte, tout le parquet est engagé. Lors d’un procès, les magistrats du parquet peuvent se remplacer mutuellement sans bloquer la procédure, ce qui est interdit aux magistrats du siège sous peine de nullité du jugement.

Irresponsabilité du parquet

 Une autre spécificité est l’irresponsabilité du parquet ; un magistrat du parquet n’est responsable que de ses fautes personnelles, mais ne peut pas être condamné aux dépens comme un autre demandeur quand il perd son procès. Il ne peut non plus être poursuivi ni pour injure ni pour diffamation pour des propos tenus durant les audiences. Les fautes personnelles se rattachant au service public peuvent, elles, être poursuivies en vertu de l’action récursoire de l’État, mais cela uniquement devant la chambre civile de la Cour de cassation.

 Son rôle

Le rôle du ministère public qui est de défendre les intérêts de la société, l’ordre public et l’application de la loi s’exerce dans trois domaines : l’action publique devant les juridictions pénales, l’intervention devant les juridictions civiles et des attributions administratives.

L’exercice  de l’action publique au pénal

 Il représente les intérêts de la société  et pour cela exerce l’action publique  (c’est- à-dire les poursuites en tant que demandeur, en intervenant durant le procès comme une partie principale) Il s’agit tant pendant la phase  d’instruction que pendant celle du jugement.

Les services de l’Office de la Police judiciaire (OPJ) sont à la disposition du ministère public pour la recherche des infractions, ce qui lui permet ensuite de décider ou non le déclenchement de l’action publique.

Il dispose d’un choix appelé opportunité des poursuites quand il a eu connaissance d’une plainte ou d’une dénonciation ou d’un cas de flagrance.

  • Soit d’engager des poursuites ;
  • Soit de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions du Code pénal y relatives
  • soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient.

S’il choisit de déclencher l’action publique, le ministère public aura la charge de requérir l’application de la  loi. Il disposera des voies de  recours au même titre que le prévenu que les parties civiles.

Le ministère public est aussi chargé de l’exécution des peines une fois que celles-ci sont définitives. Il  assiste également aux commissions d’application des peines, notamment sur l’octroi des libérations conditionnelles.

 

Interventions du ministère public au civil

Devant les juridictions civiles, il  intervient :

  • Comme partie principale, demandeur ou défendeur, par exemple en matière d’état des personnes, soit d’office dans les cas spécifiés par la loi, soit sur la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci.
  • Comme partie jointe, lorsqu’il intervient pour faire connaitre son avis sur l’application de la loi dans une affaire dont il a communication.

Le ministère public est toujours invité à intervenir, devant  le tribunal de commerce, dans les procédures collectives.

Attributions administratives

En plus d’être à sa disposition, les officiers de police judiciaire sont sous la surveillance du Ministère Public et/ou sous le contrôle de la chambre de l’instruction, suivant le cas.

 Le M.P dirige l’activité des officiers et agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal.

Il dirige et coordonne l’application des contrats locaux de sécurité, est membre de droit à des associations de prévention de la délinquance. Il peut également intervenir auprès d’interlocuteurs locaux (maires, conseillers régionaux et généraux) pour coordonner l’action des services des forces de police et de l’armée.

Les magistrats du parquet sont chargés  de vérifier annuellement les registres de l’état civil.

Ils ont également un pouvoir de visite des locaux de garde à vue ainsi que des prisons.

Dans l’administration des tribunaux, le ministère public requiert aussi l’installation et la prestation de serment des magistrats, juges, fondés de pouvoir et autres.

 Devant les juridictions administratives et financières

Un ministère public est institué auprès de trois types de juridictions financières.

 Le ministère public auprès de la Cour des comptes comporte un procureur général, un premier avocat général, des avocats généraux et des substituts généraux. Le procureur général et les avocats généraux  exercent aussi le ministère public auprès de la Cour de discipline budgétaire et financière. C’est  le système juridique français qui est aussi contredit.

Chaque chambre régionale des comptes comporte un ou plusieurs représentants du ministère public, choisi parmi des magistrats membre du corps des chambres régionales des comptes, qui exercent les fonctions du ministère public et sont les correspondants du procureur général près la cour des comptes.

Comme devant les juridictions répressives, le rôle du ministère public est de mettre en mouvement l’action publique et de requérir l’application de la loi. Ce n’est pas du tout la même chose chez nous en Haïti.

Devant les autres juridictions administratives

 Devant les juridictions administratives de droit commun, il existait dans le temps, des représentants du gouvernement qui pouvaient ressembler à un ministère public, mais sans en avoir réellement les fonctions. Leur transformation en rapporteurs publics confirme qu’ils ne relèvent pas du ministère public.  

En guise de conclusion

Si dans la pratique, les membres du parquet s’adonnent à d’autres activités que celles qui leur sont assignées par la loi, mais du point de vue théorique, ils sont astreints à des conditions normatives qui feraient d’eux de véritables citoyens choisis pour représenter dignement le gouvernement tant dans la sphère de l’Exécutif que dans celle du judiciaire. Les membres du Ministère public et du judiciaire, doivent se donner la main en vue de contribuer valablement au relèvement de notre système judiciaire si décrié, tant en Haïti qu’ailleurs, et de projeter un signal clair pour combattre la délinquance, la criminalité croissante et l’impunité, les fléaux de l’heure qui gangrènent notre société et qui représentent un objet d’opprobre et puant aux nez de tous.

Joël J. DENEUS, Av ; Ph.D.-

Professeur d’Universités

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