Donnant suite à la proposition d’allègement de l’avant-projet de constitution de la République d’Haïti,1 ce texte reprend les lignes directrices publiées dans Le Nouvelliste et Le National 2&3 qui proposaient une vision structurante d’une constitution équilibrée et porteuse d’avenir. Il s’agit ici de réfléchir aux principes constitutifs d’un nouvel ordre social, capable de favoriser l’harmonie collective indispensable à l’émergence d’un véritable projet de société. À la croisée de l’éthique et du politique, ce projet repose sur une exigence de coopération lucide et mutuellement avantageuse, dans une logique de donnant-donnant. Il s’inscrit dans la quête du « rêve Ayitien » : réaliser son potentiel dans une société juste, stable et inclusive, où les droits, les devoirs et les responsabilités de chacun s’articulent harmonieusement au service du bien commun.
1) De l’objectif et de l’essence d’une bonne constitution
Repartant de ces fondamentaux, l’élaboration d’une constitution politique comme outil idéal requiert une approche rationnelle de la part des groupes sociaux cherchant à maximiser leurs avantages. Conçue comme un accord de coopération entre individus rationnels, elle vise à faire régner la justice et l’équité au sein de la société. Une bonne constitution doit donc répondre à un besoin fondamental d’harmonie collective. Elle doit adopter une portée conceptuelle générale sur les formes d’organisation sociale envisagées, tout en restant dépourvue de dispositions particularistes. Elle confère à chacun une chance égale d’être affecté positivement ou négativement par ses règles. À ce titre, deux principes cardinaux doivent gouverner cet accord initial et structurer les interactions futures :
a) L’instauration de l’égalité individuelle en matière de droits et de devoirs ;
b) La mise en place d’un système compensatoire apte à atténuer les inégalités économiques et sociales, inévitables dans une société fondée sur la poursuite d’intérêts individuels.
Dans un tel cadre, chacun sait qu’à tout moment du processus du vivre-ensemble, les avantages comme les désavantages peuvent lui revenir. Nul ne peut prévoir avec certitude la position qu’il occupera dans l’évolution future de la société. L’accès aux bénéfices ou l’exposition aux désavantages liés aux décisions collectives se fait alors sur une base égalitaire. Ces caractéristiques assurent la viabilité, la légitimité, l’efficacité et la pérennité de la constitution. En conséquence, les citoyens seront plus enclins à respecter les décisions qui en découlent et à en accepter les résultats. Dans le cas contraire, la constitution devient un instrument transitoire, condamné à une instabilité chronique. Chaque gouvernement pourrait alors, à tour de rôle, chercher à la remodeler à son avantage, au détriment de la stabilité et de la justice. La société resterait ainsi injuste et appauvrie, jusqu’à ce qu’un groupe conscient et rationnel décide de rompre ce cycle, en fondant une constitution véritablement universelle, au service de tous.
2) L’individu dans une bonne constitution
Le comportement du politicien Ayitien, à l’image de tout individu dans une société, est naturellement centré sur lui-même. Cette tendance à l’égocentrisme est inhérente à la nature humaine. Toutefois, si cette inclinaison conduit au non-respect du devoir public envers les concitoyens, elle compromet l’ordre social, lequel repose sur les principes de justice et d’équité. Lorsque les opportunités sociales se font rares et que la sphère politique devient l’unique voie de réalisation personnelle, l’individu en vient à exploiter sa rationalité à des fins purement égoïstes. Un tel comportement, bien qu'en cohérence avec la nature humaine, s’avère préjudiciable à l’ensemble de la société. Il constitue une réduction nocive de la fonction politique, en négligeant la visée collective au profit d’ambitions individuelles.
Même en devenant membre de l’État, institution censée incarner l’intérêt général, le politicien continue souvent de défendre ses propres intérêts ou ceux de son groupe d’appartenance, indépendamment des promesses électorales faites aux citoyens. Cela a été vrai par le passé, l’est encore aujourd’hui, et risque fort de le rester demain. Il convient donc de s’y adapter en tentant de neutraliser les effets pervers de cette réalité par l’instauration d’un système de mesures coercitives et incitatives. Ce dispositif, en équilibrant sanctions et récompenses, pourrait servir de catalyseur de confiance pour les électeurs. Ces derniers croient, à juste titre, que le devoir public d’un politicien est de privilégier le bien-être collectif plutôt que ses intérêts personnels.
Toutefois, l’exercice de cette mission devient particulièrement complexe lorsqu’il s’agit d’harmoniser une multitude de bien-être individuels en un bien commun unifié. Les intérêts particuliers, hétérogènes par nature, ne s’additionnent pas mécaniquement pour former un tout cohérent. L’harmonie ne résulte donc pas d’un collectif abstrait, mais bien de la satisfaction des aspirations individuelles. Penser le contraire relèverait de l’illusion et condamnerait toute politique publique à l’échec.
C’est cette complexité même qui justifie la valeur et la pertinence de la démocratie. Celle-ci permet à l’État de renoncer à son rôle illusoire de faiseur de bien-être collectif pour mieux endosser celui, plus réaliste et efficace, de veilleur de bien-être individuel. Dans cette perspective, chaque citoyen demeure maître de la définition de sa propre fonction de bien-être, et l’État se limite à garantir les conditions nécessaires pour que cette quête puisse s’exercer librement et équitablement.
Il suffit d’une disposition conférant à l’État le rôle fondamental de créer une atmosphère propice à la réalisation individuelle, dans laquelle chacun peut librement mener ses activités en poursuivant ses propres intérêts, sans nécessairement penser au bien commun. Les actions individuelles, bien que non coordonnées a priori, peuvent produire des effets bénéfiques sur la collectivité. De manière indirecte et spontanée, le bien-être collectif émergera d’une telle dynamique, à condition que la structure sociale soit adéquate et ordonnée.
Cette vision invite, dès la refondation de la collectivité, à identifier l’outil de gestion sociale capable de garantir le respect des engagements collectifs. Comme évoqué précédemment, la clé de voûte du pacte social réside dans l’incertitude des positions futures : aucun contractant ne sait à l’avance s’il sera avantagé ou désavantagé par les règles établies. Ce principe incite chacun à rechercher des garanties équitables dans la concurrence sociale, notamment à travers un mécanisme correctif ou compensatoire, destiné à limiter les effets délétères des inégalités économiques et sociales, conséquences inévitables d’une société concurrentielle.
Ce mécanisme pourrait prendre la forme d’un système d’attribution de bénéfices ou de compensations en faveur des individus ou des groupes subissant les externalités négatives produites par les initiatives des autres. Il constitue un pilier fondamental d’un ordre social renouvelé. Dès lors, il convient de réfléchir à la manière de concevoir ce système sans léser quiconque. À titre général, une disposition pourrait stipuler que tout groupe initiant une activité ou soutenant un programme doit assumer l’intégralité des coûts de sa mise en œuvre ou des compensations nécessaires à ses impacts.
L’idée centrale est élémentaire : toute action collective produit des externalités négatives, et ceux qui en souffrent doivent être compensés, d’une manière ou d’une autre, par ceux qui en bénéficient. Dès la signature du pacte, chaque contractant saura à quoi s’en tenir, sachant que, selon les circonstances, il peut se retrouver dans l’une ou l’autre des positions.
L’adhésion à ce système repose sur deux fondements :
- La reconnaissance d’un risque futur d’être soi-même victime, avec la garantie d’être alors dédommagé ;
- La présence d’une force coercitive apte à sanctionner sévèrement toute infraction aux principes établis.
Il s’agit donc d’un scénario fondamentalement individualiste, où le collectif n’est pas une finalité, mais un instrument au service de la réalisation individuelle équitable. Dans cette optique, un pacte constitutionnel bâti sur ces principes n’aurait pas besoin de plus de dix articles pour être viable, durable et juste. En revanche, intégrer dans la Constitution des éléments susceptibles d’évolution rapide, comme les stratégies de développement, serait une erreur. Composons avec l’incertitude du temps, car nul ne peut anticiper les bouleversements que de nouvelles circonstances peuvent apporter.
Faire des choix stratégiques conjoncturels des dispositions constitutionnelles figées pourrait s’avérer contre-productif. Par exemple, accorder à une région donnée un privilège constitutionnel dans le développement touristique parce qu’elle dispose actuellement du plus ample potentiel poserait un problème si, dans quelques années, d’autres régions la surpassaient. On se retrouverait alors avec une Constitution inadaptée à la réalité évolutive du pays. Ce qui aurait pu être traité par le droit ordinaire et l’adaptation pragmatique des politiques publiques deviendrait un obstacle rigide, freinant l’innovation, la concurrence et la justice territoriale.
3) L’État dans une bonne constitution
Dans les débats sur la refonte constitutionnelle, nombreux sont ceux qui se concentrent exclusivement sur l’architecture institutionnelle du système politique, oubliant que l’État, dans une bonne constitution, n’a qu’un rôle auxiliaire. Certes, une société meurtrie par les abus du pouvoir cherche naturellement à prévenir la reproduction d’un ordre social inique, surtout lorsque l’urgence de reconstruire s’impose. À ce stade, les acteurs sociaux peuvent choisir de s’organiser sous diverses formes d’association, visant à maximiser leurs intérêts respectifs. Ce processus traduit une volonté stratégique de cohabitation raisonnée, bien qu’il s’inscrive souvent dans un climat persistant de méfiance mutuelle.
Une telle atmosphère complique toute entreprise authentique de vivre-ensemble. Elle appelle alors la présence d’un « veilleur » permanent, garant du bien-être individuel et collectif. Seul ce tiers doté d’autorité peut faire respecter les droits et les limites de chacun, car c’est dans ce respect que résident en même temps la liberté individuelle et la paix collective. D’où la nécessité de bien définir le rôle et les responsabilités de l’État dans toute conception de pacte constitutionnel. Investi d’une autorité fondatrice, l’État, comme "veilleur", n’a d’autre fonction que de garantir la jouissance des droits naturels et des devoirs des individus et des groupes, quels que soient leurs intérêts divergents, pourvu qu’ils souhaitent pacifiquement coexister sur un même territoire et y partager les ressources disponibles.
Comme partie constituante du pacte social originel, l’État n’a pas pour vocation de dominer la société, mais de veiller à la réalisation du bien-être individuel, d’où découle celui de la collectivité. Cette mission reste inchangée, même dans le cadre de la rédaction d’un nouveau pacte ou de la révision d’un pacte existant. Ce qu’il faut retenir comme élément central, c’est l’individu. Fonder une refonte constitutionnelle exclusivement sur la transformation du système politique, en réponse aux violations répétées de la loi fondamentale par certains gouvernements, constitue une erreur d’analyse.
Le véritable problème n’est pas tant la transgression de la Constitution que l’absence de justice, le déficit d’équité et l’inexistence d’un système correctif capable d’assurer un équilibre durable au sein de la société. Dès lors, puisque la désintégration sociale du pays semble motiver l’appel à une nouvelle collectivité politique, il importe de rappeler que le système politique n’est qu’un instrument au service d’une fin plus noble : le bien-être individuel et collectif. Celui-ci repose sur la garantie du droit naturel de chaque individu à réaliser pleinement son potentiel humain, sans entrave imposée par les intérêts arbitraires ou les caprices de ses concitoyens.
4) Des fondements économiques et politiques dans une bonne constitution
À l’origine, l’économie n’est rien d’autre qu’une activité humaine visant l’exploitation et le partage des ressources naturelles en vue de satisfaire les besoins individuels. Cependant, l’insuffisance de ces ressources face à la demande croissante des individus constitue une source majeure de conflits. Ceux-ci deviennent d’autant plus virulents, et potentiellement destructeurs pour la survie collective, lorsque l’exploitation des ressources engendre des inégalités socioéconomiques, sans qu’existe un dispositif de répartition équitable des avantages ou de compensation pour les perdants.
Lorsque certains individus bénéficient de conditions plus favorables à la réalisation de leur potentiel humain, tandis que d'autres restent structurellement désavantagés sans possibilité d’amélioration, la stabilité du corps social est menacée. Dans ces conditions, tout accord de coopération qui ne prévoit aucun mécanisme préventif ou correctif est voué à l’échec. En vérité, sans la perspective de tels conflits, le politique n’aurait aucune raison d’exister. En d’autres termes, l’économie est le germe du politique, lequel s’institue pour diriger ces tensions en s’appuyant sur la constitution comme outil de régulation des conflits sociaux. Il revient ainsi au politique de garantir à chaque individu ses droits fondamentaux. Il s'agit du droit à une part équitable des ressources, du droit de propriété et du droit d’entreprendre des activités productives ou commerciales, dans les limites où cela ne cause pas d’externalités négatives nuisant aux autres membres de la communauté.
Dans une collectivité où chaque membre est engagé dans des activités distinctes, nous devons mettre en place une administration efficace, capable de veiller à une exploitation optimale des ressources et au maintien de l’équilibre social. Par la Constitution, des instances appropriées doivent être créées et dotées de l’autorité nécessaire pour remplir cette mission. Les modalités de l’organisation politique doivent ainsi être pensées en parallèle de l’économie, car les deux sont intimement liées. Le respect de la Constitution et le bien-être collectif dépendent en majeure partie du bon fonctionnement de cette articulation entre le politique et l’économique. Dès lors, le choix des représentants, la définition de leurs rôles et la classification de leurs responsabilités administratives deviennent des enjeux cruciaux.
Il s’avère impératif d’évaluer l’aptitude des futurs dirigeants à diriger l’intérêt collectif, tout en anticipant leurs potentielles dérives : abus de pouvoir, favoritisme ou incapacité à résister à la tentation de servir leurs intérêts personnels au détriment du bien commun. La constitution, comme charte de gouvernance, doit contenir les garde-fous nécessaires pour prévenir ces déviations, tout en instaurant un climat propice à la coopération et à l’équité sociale.
5) Assurer une coordination efficace de l'exploitation des ressources disponibles
Une fois définis les axes fondamentaux d’une bonne constitution, il devient essentiel d’en formuler les modalités particulières afin d’en garantir la stabilité et la légitimité, surtout lorsque des vues divergentes doivent être considérées. L’un des défis majeurs consiste à satisfaire, au moyen de principes généraux, les intérêts individuels, tout en visant l’intérêt collectif. Une bonne constitution, sans promettre une jouissance égale des avantages socioéconomiques à tous, doit assurer l’équité en offrant à chaque citoyen une chance réelle de se réaliser. Chaque individu doit pouvoir s’inscrire sur une courbe d’interdépendance collective, où la satisfaction individuelle, bien que variable d’un citoyen à l’autre, contribue à l’harmonie sociale. Une société bien constituée cultive cet esprit en assurant une coordination paisible de la vie commune, notamment par :
a) La garantie du droit au travail est essentielle.
Un élément central de toute bonne constitution réside dans la reconnaissance du droit au travail, conçu comme un droit fondamental facilitant l’exercice d’activités productives orientées vers la réalisation du potentiel humain. Le droit de subvenir à ses besoins, notamment celui de se nourrir, constitue le souci premier de tout être humain. À ce titre, le travail, comme propriété naturelle et moyen essentiel de survie, doit être protégé, encouragé et facilité par les dispositions constitutionnelles.
Puisque le travail découle de l’exploitation des ressources disponibles par les citoyens, il faut promouvoir et coordonner leurs diverses activités productives. Qu’il s’agisse de production ou de transformation de l’environnement, cette exploitation doit viser la satisfaction des besoins fondamentaux de chacun. C’est ce lien direct entre travail, survie et dignité humaine qui justifie la place prépondérante du droit au travail dans une constitution moderne. Des principes généraux doivent également encadrer les modalités du partage des ressources, la répartition des responsabilités et la position de chacun dans le processus d’exploitation, afin d’éviter les déséquilibres structurels.
b) La division équitable de l’espace partagé
Si le but ultime de la vie en société est de favoriser une coexistence pacifique, il est alors nécessaire de délimiter les champs d’action individuels au sein de l’espace commun. Cette délimitation prévient les empiètements, volontaires ou involontaires, qui peuvent être perçus comme des abus et engendrer des conflits compromettant l’intégrité du corps social. Ainsi, la fonction ou le rôle de chaque occupant s’établit en fonction de la gestion de sa part d’espace. Les éventuelles discordes doivent être prévenues ou résolues par les autorités politiques et administratives, garantes du respect des droits dans la communauté. Ces autorités doivent représenter les différents groupes et conjuguer leurs efforts dans un objectif commun, en cohérence avec le principe du droit au travail pour tous.
La nature même de cette gestion dépend de deux facteurs essentiels : la quantité de ressources disponibles et la densité de la population. C’est pourquoi une bonne Constitution doit prévoir une répartition équitable de l’espace partagé ainsi qu’une définition claire des modalités de sa gestion, pour garantir l’inclusion et la justice territoriale. Elle doit également se prononcer sur la forme d’occupation de cet espace et sur l’organisation politique de la communauté, afin de favoriser la stabilité, la participation et l’équité entre les citoyens.
c) La neutralité et l’intemporalité d’une bonne constitution
Partant des considérations précédentes, toute bonne constitution doit revêtir d’un caractère général lui permettant de s’appliquer aussi bien dans le présent que dans l’avenir, sans aliéner un groupe au profit d’un autre. Elle doit répondre aux préoccupations fondamentales des individus vivant ensemble dans une communauté, en leur garantissant, dans un climat de paix et de sécurité, la jouissance du droit de réaliser leur potentiel humain.
Dans cette perspective, une bonne constitution :
- établit l’égalité des droits et des devoirs pour tous ;
- protège chacun contre les abus d’autorité ;
- assure en priorité la garantie du bien-être individuel ;
- prévoit un système compensatoire pour remédier aux externalités négatives ;
- définit clairement le partage du pouvoir, le rôle des organisations politiques investies de l’exercice du pouvoir et celui des individus en qui il est délégué ;
- érige un dispositif de sanctions contre toute violation des principes fondamentaux.
La constitution représente l’ossature de l’association politique entre individus aux intérêts divergents ; elle constitue la référence suprême pour interpréter les lois subséquentes. En somme, elle établit les principes essentiels au bon fonctionnement de la société. D'accord ou pas sur la nécessité de renégocier le contrat social, la logique du donnant-donnant comme essence de toute forme de coopération dans la gestion des affaires collectives est impérative. Faute de quoi, la refondation d’Ayiti ne sera qu’un vœu pieux. Les acteurs politiques qui continuent de privilégier la stratégie du tout ou rien risquent de tuer dans l’œuf toute initiative de reconstruction, en confondant des actions structurelles, nécessaires à un nouvel ordre social, avec des réponses conjoncturelles produisant des effets éphémères.
La Constitution de 1987, comme celles qui l’ont précédée, n’a pas permis de concrétiser le rêve d’une société juste et équitable, capable d’offrir une vie décente à tous. Elle s’est en effet limitée au politique, sans établir les liens indispensables avec la sphère économique. L’erreur fut de croire qu’un apaisement de l’arène politique suffirait à améliorer les conditions de vie. Cependant, une génération après cette dernière refonte, suivie d’un amendement, la population subit une descente vertigineuse aux enfers, alimentée par les querelles politiques incessantes autour de la conquête du pouvoir. Ces luttes ont gravement affaibli l’État, désormais incapable de contenir des groupes armés violents qui ne portent d’autre projet que la destruction de la société.
Tissant comme toile de fond la mauvaise gestion des affaires collectives, une nouvelle Constitution devrait se fonder sur deux piliers essentiels : la réorganisation économique du territoire, afin de donner à Ayiti une présence économique incontournable dans la région, et la rationalisation de la distribution du pouvoir politique, pour assurer une gestion appropriée et efficace des affaires publiques. Cette gestion devrait être guidée par des principes généraux, souples et adaptables. À ces deux piliers s’ajoutent plusieurs mesures. Il s'agit de la réorganisation du territoire, de la redéfinition de la justice collective, de la clarification des droits de chacun vis-à-vis des autres, de la définition du rôle de l’État et du secteur privé dans la mise en œuvre des principes fondamentaux ainsi que de la facilitation de l’accès de tous aux ressources disponibles, pour mieux satisfaire leurs intérêts légitimes.
Comme levier pacificateur, le politique devrait servir à diriger les conflits d’intérêts découlant de la quête du bien-être économique individuel, dans le cadre du partage de l’espace et des ressources. La division économique du territoire consisterait à spécialiser les régions en fonction de leurs potentialités naturelles de production, afin de favoriser les échanges interrégionaux et d’optimiser l’offre de biens et de services répondant aux besoins de consommation nationale. En y participant volontairement, les citoyens pourraient se générer un revenu, devenant ainsi la base d’un partage plus équitable de la richesse, ce qui contribuerait à neutraliser les risques d’injustice. Ce serait là le socle d’un développement économique fondé sur l’interdépendance du système de production nationale, une décentralisation automatique des services publics et une dynamique de migrations internes entre pôles d’activités économiques intenses, visant à éliminer durablement la pauvreté.
Faire abstraction de l’économique, moteur fondamental de toute activité politique, rend le terrain fertile à l’échec de tout projet de société. Pour réussir, l’État a l’obligation de concevoir un système apte à créer des opportunités réelles, permettant à chaque individu de réaliser son rêve de citoyen haïtien. Cela passe par la garantie du droit d’accès à la propriété, le partage équitable des ressources disponibles et la possibilité d’exercer son travail en toute liberté, sans craindre d’en être empêché. L’existence d’un système compensatoire tenant le rôle de catalyseur corrigerait les injustices sociales, qui sont une source majeure d’instabilité collective. Une telle démarche vise à recalibrer le rapport entre l’économique et le politique, pour ouvrir l’accès équitable à des opportunités concrètes, permettant à chaque individu de se réaliser pleinement dans le cadre du nouvel ordre social.
[1] Poincy Jean : « Proposition d’allègement de « l’Avant-projet de Constitution de la République d’Haïti » https://www.lenational.org/post_article.php?tri=2487 (consulté le 1 juillet 2025)
2 « La Refonte d'Ayiti pour un Nouvel Ordre Social » Le Nouvellistes 17 Janvier 2005
https://lenouvelliste.com/article/15573/la-refonte-dayiti-pour-un-nouvel-ordre-social & http://poincy.blogspot.com/2010/03/la-refonte-dayiti-pour-un-nouvel-ordre.html (consulté le 12 avril 2025)
3 « De la difficulté d’organiser la société Ayitienne V : vers une impérative refonte constitutionnelle De la difficulté d’organiser la société Ayitienne V : vers une impérative refonte constitutionnelle (consulté le 16 juin 2025)
4 « Des idées pour la refonte d’Ayiti : renégocier le contrat du vivre-ensemble » http://poincy.blogspot.com/2010/07/des-idees-pour-la-refonte-dayiti.html (consulté le 12 avril 2025).
Jean Poincy