Le directeur général de la Police nationale d’Haïti, Vladimir Paraison, a présenté ce vendredi 28 novembre 2025 le bilan de ses 100 premiers jours à la tête de l’institution. À son arrivée le 8 août, trois départements — l’Ouest, l’Artibonite et le Centre — étaient classés en rouge, et deux autres en orange, représentant plus de 71 % de la population. Paraison affirme avoir « récupéré » plusieurs zones stratégiques de Port-au-Prince, dont le centre-ville, le carrefour de l’aéroport et les circuits Carrefour aéroport–Nazon–Lalue. Il évoque aussi une amélioration à Kenscoff et un ralentissement de l’avancée des gangs dans l’Artibonite, malgré les exactions persistantes à Savien. Du point de vue institutionnel, il annonce des changements au haut état-major, une révision de la formation, une commission d’évaluation de grades et l’introduction de tests polygraphes, toujours, ajoute-t-il grâce à l’appui des États-Unis et du Canada.
Cent jours. L’invocation est déjà un aveu. Une scène. Une mise en abyme d’un pouvoir qui cherche l’illusion d’un nouveau départ, comme si l’histoire de la politique en Ayiti avait la courtoisie de se découper en trimestres miraculeux. La conférence de presse de Vladimir Paraison, n’échappe pas à ce théâtre ambitieux de manipulation de la parole pour se faire bonne conscience de sa gestion à la tête de la PNH. Elle l’habite. Elle le performe. Elle en étire les limites jusqu’au vertige.
Car ce discours, ostensiblement factuel, est d’abord une partition. Rythmé. Mesuré. Sécurisant. Néanmoins, par ses creux, il dévoile ses propres failles. Par ses métaphores, ses implicites, il glisse — involontairement — vers l’ironie de la cause : celle d’un État obligé de se féliciter d’avoir libéré ses poches… une rue, un carrefour, un virage.
Le centre-ville repris devient une allégorie involontaire. Si l’État se félicite d’être revenu au Palais national, n’est-ce pas l’aveu discret qu’il en avait été chassé ? Le langage triomphal, ici, n’est pas une célébration. C’est un lapsus politique. Une corrégraphie de la bullshitisation de la parole. Un récit du territoire abandonné par un État qui se conjugue presque au passé. Une géographie invertébrée de moindres fonctions régaliennes de l’État.
Par le fait que, lorsque Paraison rappelle qu’à son arrivée trois départements étaient “en rouge”, deux “en orange”, il emprunte au vocabulaire météorologique la robe du contrôle de territoires auxquels l’État est appelé à protéger ou garantir leur sécurité. En revanche, à l’intérieur de cette cartographie chromatique se niche un implicite cruel à l’entendement fragile : l’État décrit son propre territoire comme une zone à risques, à la manière d’un climatologue observant un cyclone auquel il ne peut pas s’échapper.
Ici, l’ironie affleure. Le danger n’est plus une force extérieure. Le cyclone, c’est le pays lui-même. La rhétorique du “territoire dégagé” décrit un progrès, mais derrière chaque portion de route réhabilitée se révèle un gouffre. Qu’un État en soit réduit à lister les rues qu’il administre encore, c’est déjà dire que l’effondrement a changé de nature : il s’est, tout court, banalisé. Normalisé. Dénaturé en décompte de victoires ou au paradoxe du satisfecit. Chaque avancée est décrite dans un langage comptable : une rue libérée, un viaduc sécurisé, un circuit rendu praticable dans la tête des gens. Cette granularité teinte en plus de bullshiticité suscite un vertige pareil à celui d’un pitit sòyèt qui se demande désespérément kisa m pral manje jodi a la. Elle transforme la République en puzzle. Et le directeur général en assembleur patient de fragments d’autorité.
Dans cette logique, toute victoire devient minuscule par excès de précision. La rue des Casernes redevient une rue de paix. Rue Chavannes redevient ce qu’elle était autrefois ? Kenscoff “sous contrôle” redevient un sommet. L’aéroport redevient un aéroport. Quel effort mezanmi ! Le sentiment de satisfaction, alors, sonne comme une anomalie discursive : on se félicite de restaurer ce qui ne devrait jamais avoir été perdu. Et sur le terrain, qu’est-ce qui se passe ? C’en est la criminalité comme métaphore inversée.
De plus, quand M. Paraison évoque les bandits “tués”, les armes “saisies”, les fusils “présentés”, il recourt à une scénographie militaire qui vise à produire un effet de preuve sensationnelle. L’image des fusils exposés fonctionne comme un rituel d’exorcisme catholicisé : montrer l’objet pour conjurer la peur. Mais cette métaphore matérielle est piégée dans les lisières de la réalité de terrain. Car les armes exhibées ne prouvent pas la stabilité ; elles prouvent le contraire, la matérialité explicite de la menace.
Pour l’Artibonite, il affirme que l’avancée des criminels a été freinée. L’implicite, brutal, surgit : une avancée était en cours. Là encore, l’ironie de la cause renverse le récit : on ne célèbre pas une victoire ; on constate une non-défaite, parce que les camps de déplacés se multiplient sans cesse comme une syntaxe d’urgence. Alors qu'il parle de “sang neuf”, de repos accordé aux “essoufflés”, de curriculum révisé, de commission d’évaluation, le DG Paraison mobilise un vocabulaire organique, presque médical. L’institution est semblable à un corps inhumé, fatigué, éreinté sous perfusion étrangère.
Dans l’image du polygraphe importé des États-Unis et du Canada, l’ironie se densifie cher ami, faute de confiance interne, l’État doit mesurer la vérité de ses propres agents, kalòt marassa pour la souveraineté, souflèt madichon pour l’indépendance de notre État. La métaphore du mensonge devient structurelle comme la sémantique de l’état souflantchou de nos dirigeants se profile dans des perspectives qui baisent le futur comme conditionnement de reste-avec.
Le retour des populations dans leurs quartiers n’est pas décrit comme un objectif, mais comme un souhait. On veut reconstruire des commissariats, acquérir des blindés, augmenter les effectifs. Le discours passe du factuel au conditionnel. D’un récit à une promesse. D’une stratégie à un espoir. Et dans cet espace grammatical boiteux, se joue un aveu crâne rasée : la sécurité reste un projet mal planifié, non un état d’urgence pour la république.
C’est ainsi que va la rhétorique des “100 jours” de Paraison qui, reste par raison mal calculée, se dit avoir raison pendant ses jours sombres à la tête de la PNH. C’est la tendance d’un miroir fissuré en éclat sombre. Le discours de Vladimir Paraison se présente comme un bilan. Il s’écoute comme une métaphore. Il se lit comme un symptôme. Ses listes dévoilent des manques. Ses triomphes révèlent des fragilités. Ses métaphores trahissent une architecture de l’urgence qui ne cesse de se répéter. C’est peut-être là, dans cet entre-deux du langage dominé, que l’on comprend le mieux la situation que le chef de PNH décrit : L’État, pour exister véritablement, doit désormais se raconter au superlatif conditionnel. Et dans ce récit de jako répète, chaque phrase stylisée cache une bataille interne des institutions qui cessent malheureusement de porter ce chapeau, car chaque silence résonne comme une défaite différée face à l’obligation de revitaliser la république. La rhétorique de la parole bullshitisée, manipulée ne sauve pas. Elle éclaire, parfois malgré elle, l’étendue du gouffre qu’elle tente d’adoucir davantage.
Elmano Endara JOSEPH
elmano_endara.joseph@student.ueh.edu.ht
Formation : Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico; Juriste, Communicateur social
