Procès de la démocratie de l’Haïti post 7 février 1986

Dragan Matic, écrit :  « Il est vain, voire trompeur, de parler de démocratie lorsqu’il n’existe pas une répartition des richesses suffisantes entre les citoyens.  »

 

Partant de cette citation à savoir qu’il doit y avoir une certaine corrélation entre la démocratie et le bien-être collectif, donc faire le procès de la démocratie en Haïti, spécialement après le départ de Jean- Claude Duvalier le 7 février 1986, c'est chercher à comprendre cette dynamique à travers le combat au quotidien du peuple haïtien contre toutes les embûches imposées par une oligarchie locale rapace et les pays occidentaux, donneurs de leçon démocratique.

La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, disait l’ancien président des États-Unis Abraham Lincoln. Cet idéal qui a vu le jour en Grèce, particulièrement à Athènes, est devenu aujourd’hui une exigence et même une obsession pour la communauté internationale dans de petits pays comme Haïti. Cependant face à des dérives politiques en Haïti des dernières décennies, il ne serait pas une mauvaise chose si on questionne les problèmes de la démocratie dont certains voient comme une idée du despotisme de la masse manipulée dans bien des cas par des politiciens traditionnels d’Haïti et de la communauté internationale. Le processus démocratique initié en Haïti depuis plus de trente ans, particulièrement dans un contexte de l’après-guerre froide ou de nouvel ordre mondial semble, jusqu’à présent, rencontrer des difficultés de pratiques dans le pays. 

Évidemment, la démocratie Athenians, fort différente de nos démocraties modernes, ne s’était pas implantée du jour au lendemain. « Rome n’est pas construit en un jour ».  La mise en place « d’un régime politique où l’ensemble des citoyens pouvaient participer à la prise de décision était inédite dans le monde grec. »  C’était donc graduellement que les institutions démocratiques ont vu le jour à Athènes.  « On considère que c’est à Athènes au Ve siècle avant notre ère que s’épanouit la démocratie. Ce terme est formé sur deux mots grecs : « Kratos » (souveraineté) et « Demos » (le peuple). La démocratie est donc le gouvernement du peuple par le peuple. »

 

Qu’en est-il de cette idée noble dans ce pays de la Caraïbe, indépendant dès le tout début du 19e siècle ?  « De 1804, date à laquelle Haïti accède à l'indépendance après la révolution, à 1986 le pays a connu de nombreux régimes politiques sans jamais arriver à mettre en place un système démocratique… » Et, malgré la ratification de la constitution de 1987.

  

Pour les professeurs de sciences politiques et le peuple haïtien en général, le mode de démocratie que les pays occidentaux et la classe économique des affaires essaient d’imposer en Haïti depuis le départ de Jean Claude Duvalier le 7 février 1986, « semble ne pas avoir trouvé un terrain fertile. » au pays de Jean Jacques Dessalines.   La raison en est que plus de trente ans après, tout en ignorant le rôle que devrait jouer le peuple haïtien et les organisations politiques dans un processus démocratique, la communauté internationale et le secteur économique des affaires tentent, à chaque élection, d’imposer au peuple haïtien, une démocratie qui vise seulement que leurs propres intérêts mesquins.  

 

Pour ce faire, quand ce n’est pas directement l’organisation des États américains (O.E.A) qui intervint comme arbitre, c’est au « Core Group » de décider des résultats d’un scrutin frauduleux en faveur de leurs poulains. « Les puissances internationales sous le leadership de l’impérialisme américain ne cachent plus leurs mains pour désigner les vainqueurs et les perdants des élections. La Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation en Haïti (la MINUSTAH) opère impunément comme leurs bras armés. Elles agissent, désormais, à visière levée en dehors des règles les plus élémentaires de la diplomatie. »

 

Les élections post Duvalier coûtaient des millions de dollars au Trésor public aussi bien qu’aux ‘’faux amis’’ de l’international. Cependant si ces millions de dollars, sans les ingérences de l’occident et alliés sur le terrain, ont été bien utilisés au processus démocratique, plus de trente ans après, ils auraient pu aider à des améliorations de la situation socio-économique du peuple haïtien.  Mais malheureusement ils ont en réalité seulement servi à enraciner le statu quo du système corrompu dont les politiques publiques entravent toujours le développement de ce petit pays nègre de la Caraïbe.  « Les pays donateurs ne donnent pas par pur altruisme, ils avancent leurs intérêts stratégiques et économiques. L’aide fournie implique souvent que le pays récipiendaire achète en contrepartie au donateur, à un prix généralement plus élevé que le marché. Il est opportuniste pour les pays développés de soutenir ces dirigeants corrompus, car cette situation permet aux grandes puissances de plus facilement négocier leur accès aux ressources fabuleuses…. plutôt que devoir faire face à une vraie démocratie qui poserait ses conditions. Autant maintenir au pouvoir un gouvernant amadoué par l’aide et d’approuver la tenue d’élections arrangées de façon à garder bonne conscience », analyse Le Minarchiste dans le texte Diagnostic Pauvreté : 5- L’aide internationale aux pays africains.

 

L’histoire politique des dernières élections en Haïti nous enseigne comment les donneurs de leçon des pays occidentaux, pratiquement les États-Unis, considérés comme l’instance planétaire d’homologation démocratique ont, tout en supportant des mouvements anti-démocratiques de toutes sortes, sapé pendant plusieurs décennies le processus démocratique dans le pays. « Pour saisir le processus électoral haïtien, il appert de le regarder dans la sphère d’influence internationale, quitte à réserver au pouvoir d’État la possibilité du monopole du dernier mot. On observe, depuis quelques années à travers le monde un profond dévoiement de la démocratie représentative, un dévoiement qui affecte la nature même de cette démocratie. En un certain moment, la tenue régulière des élections suffisait pour qu’une nation fût reconnue démocratique. De nos jours, ce sont les multinationales, par l’entremise de leurs institutions paraétatiques comme l’Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale, la Troïka composée du Fonds Monétaire International, de la Banque Centrale européenne et de la Commission européenne, qui mènent le jeu. Des non-élus qui imposent leurs quatre volontés à des gouvernements élus, incluant ceux des grandes puissances militaires et économiques. Les élections, béquille de la démocratie représentative, sont détournées par leurs principaux solliciteurs exigeants non envers eux-mêmes, mais envers les autres », écrit Marc-Arthur Fils-aimé dans son texte Haïti : Élections et démocratie sont-elles toujours en équation parfaite ?

 

C’est comme dans les animaux malades de la peste de Jean Lafontaine. Selon que vous soyez pro ou anti-impérialiste, la communauté internationale peut vous rendre blancs ou noirs. Car depuis leur départ de leurs dix-neuf années d’occupation d’Haïti (1915-1934), les États-Unis sont, par le truchement de leur ambassade à Port-au-Prince, devenus l’une des grandes forces de déstabilisation de la politique haïtienne.  De par leurs agents sur le terrain, Washington peut décider à n’importe quel moment de la destinée d’un candidat à la présidence aussi bien que de celle d’un chef d’État en fonction. Surtout si ce dernier remet en cause ses intérêts. « L’histoire a démontré plus d’une fois que lorsque les dirigeants des pays exploités ne font pas l’affaire des grandes puissances, élus démocratiquement ou non, ils sont diabolisés. Durant la guerre froide on les accusait d’être communistes, aujourd’hui la tendance est de les accuser », d’être en violation des principes des droits humains.

 

Et le témoignage de M. Ricardo Seteinfus contre l’organisation hémisphérique pour laquelle il travaillait pendant la période électorale avait, une fois de plus, attiré l’attention de toute la population haïtienne de la mainmise du Core Group sur le processus électoral de 2010 et en général, du rôle que joue la communauté internationale dans le processus de déstabilisation d’Haïti. 

 

L'international et les tentatives de déstabilisation

 

Ricardo Seteinfus, l’auteur de l’Échec de l’aide internationale en Haïti, publié sous les Presses de l’Université d’État d’Haïti, croit que « de toutes les expériences récentes de transition politique entre une dictature et une démocratie, celle d’Haïti n’a pas seulement été longue, chaotique et toujours retarder ; elle est la seule à ne pas pouvoir encore définir les règles du jeu de la lutte pour le pouvoir », (La nature du dilemme haïtien. Nouvelliste 29 avril 2015).

 

Selon l’ancien représentant de l’OEA en Haïti « Un simple regard sur les vingt-cinq dernières années dévoile les échecs flagrants de tentative de stabilisation ou de « normalisation » d’Haïti. Pas moins de 30 milliards de dollars auraient été dépensés pour résoudre une crise récurrente. Des milliers d’anonymes spécialistes de la coopération pour le développement se sont rendus sur place pour accompagner et orienter des projets dans les domaines les plus divers. Jamais un petit pays sous-développé n’a autant éveillé l’intérêt d’un si grand nombre de scientifiques et de chercheurs renommés au long de ces trois dernières décennies. Des spécialistes nord-américains et européens des champs de la connaissance les plus divers – économistes en tête – ont élaboré des centaines d’études qui ont débouché sur des suggestions et des propositions. »  Op. cit.

 

Mis à part de l’ingérence de l’international dans les affaires internes du pays et les contentieux entre les grands hommes d’affaires et politiques du pays, l’autre handicap majeur qui empêche la démocratie de faire son chemin en Haïti « est le fait que les partis politiques sont en général considérés comme de simples tremplins pour l’ascension sociale. »  Comme Noël Kodia, essayiste et critique littéraire du Congo-Brazzaville a mentionné dans son texte de Sommet Américafrique : quelle démocratie pour les Africains ? le peuple haïtien « n’ayant pas encore compris que les partis sont des institutions pour canaliser le débat des idées et mobiliser les forces vives de la société autour de projets servant l’intérêt général. Rares sont les groupements politiques fondés sur les idéologies politiques et surtout qui fonctionnent de manière démocratique. »

De plus, avec les élections des dernières années en Haïti, comme par magie, il y a plus de candidats incompétents, inexpérimentés et sans moralités pour des postes de députés, sénateurs et président de la République.  Et pour le malheur du pays, après l’élection de ces candidats nuls, dans bien des cas mal élus, avec leurs mandats de parlementaires ou de premier citoyen de la nation, ils continuent à influencer l’État tout en nommant comme eux, des autorités incompétentes, immorales et corrompues à des postes de grandes décisions.

Selon l’ancien sénateur du Sud, Jean Marie Salomon, «  quand la mafia est au pouvoir, l’honnêteté devient un crime. »  Mais le problème, c‘est comme dirait, Nicolas Boileau, un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.  Ou un moins sot qui se rabaisse. Questions pour dire, même le politicien soit disant instruire, dans bien des cas, il est incapable, pour un poste politique, de faire le dépassement et sortir de sa zone de confort, qu’est la flatterie. S’ils ne sont pas nombreux les politiciens haïtiens qui sont à la fois intègres et compétents, dans la foulée, ils sont nombreux ceux qui sont compétents et qui vendent leurs intégrités pour un plat de lentille.  Alors que, ces deux-là (intégrité et compétence) devraient être des qualités incontournables pour tout bon politicien.  Mais, malheureusement, dans leur urgent besoin d’arriver au pouvoir à tout prix, la majorité des politiciens haïtiens sont incapables, voire, oser  poser des questions difficiles à un ambassadeur de l’occident ou dans d’autres circonstances de prendre des risques de dire non à un chef d’État arrogant, immoral et même ignorant.  Car «  La culture de l'honneur est une culture qui accorde une grande importance à la réputation de l’individu ainsi qu’à celle de sa famille. On la retrouve dans diverses régions du monde. Même si certaines différences sont à noter en fonction des pays, il existe aussi des caractéristiques communes. »

 

D’où, avec le support de l’impérialiste et un petit groupe de personnes qui forme la classe dominante et qui détient toutes les richesses du pays, l’arrivée sur la scène politique des dirigeants médiocres.  Et ils sont si nuls, même le mal ils le font mal.

 

Comprendre la démocratie américaine à celle de l'ère de la médiocrité en Haïti

 

Dans les pays occidentaux, particulièrement les États-Unis, donneur de leçon démocratique, contrairement à Haïti ou des citoyens sans capacité académique et expérience dans les affaires de politiques publiques se portent candidats à la présidence à quelques semaines d’une course électorale, pour bon nombre de chefs d’État américains, à l‘exception de l’ancien président Donald Trump, le chemin vers la Maison-Blanche implique un long apprentissage dans la fonction publique.

 

C’est dans leur vingtaine ou trentaine qu’ils commencent leur carrière, généralement à des niveaux inférieurs du système politique. Mis à part de leurs expériences dans les affaires politiques de leur pays aussi bien de leur formation académique dans de grandes universités nord-américaines, le processus pour un poste électif est long.  Dans bien des cas, très long.  Par exemple, celui du président des États-Unis. Puisque, c’est après de long mois de campagne entre les candidats d’un même parti que quelqu’un qui aspire à diriger les États-Unis peut devenir, à travers les élections primaires, le nominé de cette organisation politique, pour finalement affronter l’adversaire de l’autre groupement aux élections générales de novembre.

 

Selon des recherches sur le parcourt de ces hommes avant leur arrivée à la Maison Blanche, deux-tiers des présidents américains avaient tout d’abord siégé soit à la Chambre des représentants, du Sénat et, dans bien des cas, dans les deux Chambres à la fois, comme gouverneur ou vice-président. Le reste vient d’horizons différents, par exemple, des militaires de carrière, éducateurs, journalistes, ingénieurs, etc.

 

De plus, bien que grandi dans des milieux familiaux différents, bon nombre de présidents américains ont, dans une certaine mesure, une carrière professionnelle similaire avant leur entrée publique en politique. En effet, parmi les quarante-six chefs d’État des États-Unis, ils sont nombreux ceux-là qui ont pratiqué le Droit à un certain moment dans leur vie. Il n’est pas du tout surprenant qu’autant de présidents soient des avocats parce que cette profession est étroitement liée à la politique dans le contexte américain.  

 

Sous le titre : Dans quelles universités sont formés les présidents américains ? le journal Orientation fait état « qu’aux États-Unis, Harvard est l’université ayant formé le plus de présidents américains. Les établissements de la Ivy League sont très bien représentés dans ce classement. »

 

« C’est la célèbre Harvard qui remporte la palme. L’université du Massachusetts a formé le plus de présidents américains. Elle est suivie par Yale, l’académie militaire de West Point, Princetown et le Collège de William et Mary. Les établissements de la Ivy League (les huit universités les plus anciennes et prestigieuses du pays) sont très bien représentés, puisque plus d’un président sur quatre (26 %) est diplômé de l’un d’eux. »

 

Il faut toutefois reconnaitre qu’il y avait «…des locataires successifs de la Maison Blanche qui  n’ont jamais été diplômés. Il s’agit de cas plutôt anciens, tels George Washington (1er président américain) ou Abraham Lincoln (16e), et cela fait plus de 50 ans qu’un président non diplômé du supérieur n'a pas été élu. »

 

« Quant aux deux candidats pour la présidentielle de 2016, Hillary Clinton a étudié à Yale, et Donald Trump à l’université de Pennsylvanie.

 

Enfin, le 46e président américain, Joe Biden, lui il a étudié le Droit à l’université de Syracuse, dans l’État de New York.

 

Tandis qu’en Haïti, lors des élections générales de 2015, en plus de leurs incompétences académiques et inexpériences dans les affaires de l’État, des candidats très contestés, avec des casiers judiciaires révélant leurs implications dans des actes répréhensibles avaient été agrées à participer au processus par l’institution électorale.  Selon le RNDDH « il s'agit là non seulement d'une question de moralité, mais aussi, d'une question de sécurité publique.  En effet, des individus en confit avec la Loi, recherchés par la Police et la Justice, contre lesquels des certificats négatifs ont été émis par la Police peuvent-ils vraiment faire partie du Grand Corps, quand on se rappelle le niveau de dysfonctionnement de l'appareil judiciaire haïtien. »

 

Si aux États-Unis, comme ci-mentionné, les candidats sont des universitaires avec des expériences dans le domaine des affaires publiques les permettant de mieux comprendre les rouages politiques et administratifs avant même leur arrivée soit au Congrès ou à la Maison-Blanche, n’en déplaise à de sérieux et brillants cadres élus et nommés à de grands postes de décision, dans l’Haïti ‘’démocratique’' d’aujourd’hui, la compétence, l’expérience et la moralité ne sont plus nécessaire pour aucun poste.  C’est l’ère de la médiocrité démocratique. Comme aurait pu dire l’ancien général Henri Namphi, c’est l’ère du ‘’banboch demokratik’’. Il suffit d’avoir des contactes dans des stations de radios pour faire du bruit, des investisseurs mafieux dans le secteur des affaires, et le plus important, avoir les bénédictions de puissantes ambassades à Port-au-Prince.

 

Mais au-delà de toute approche constitutionnelle ou éducationnelle destinée à prévenir les problèmes légaux, les délinquances de toutes sortes aussi bien que les incompétences dans la gestion de la chose publique, le plus important, tout système démocratique qui ne répond pas aux changements des conditions de vies des classes défavorisées, est une utopie.     

 

Une démocratie qui ne répond pas aux desiderata du peuple est une idée théorique

 

La démocratie, à travers d’élections crédibles et transparentes, même formellement instaurée peut, dans une certaine mesure, particulièrement dans les pays pauvres, rester une idée théorique. Les élections de renouvellement, surtout dans le cadre d’une échéance politique, même lorsqu’elles peuvent être très coûteuses pour le Trésor public, elles ne sont pas des dépenses inutiles, puisque les obligations démocratiques sont remplies. Elles le sont parce que c’est le passage obligé du processus démocratique. Cependant elles sont insuffisantes si toutefois rien n’est fait pour qu’à travers des distributions de richesses, les conditions de vie des masses défavorisées soient changées. « La répartition des richesses d’un pays au plus grand nombre d’individus donne à chacun un pouvoir personnel direct qui se rajoute à ceux que la puissance publique met à sa disposition à travers la loi et les moyens des services publics. Ainsi, un pays riche qui décide de répartir ou redistribuer les richesses et de se doter ses services publics de biens importants, tels qu’écoles, équipements sportifs, moyens de transport en commun, services sociaux et de santé, etc., ouverts à tous, mais destinés prioritairement aux plus démunis, donne plus de pouvoirs à l’ensemble de ses citoyens. »

 

Si les élections représentent le mode démocratique de désignation du personnel politique, « depuis  que ce processus est en cours dans le pays, des urnes sortent trop souvent en Haïti des dictateurs, contempteurs de la démocratie », écrit Guy-Michel Vincent dans son texte Les élections : un casse-tête haïtien.  Selon lui, « les expériences électorales en Haïti ont toujours décelé un illogisme au niveau de l’attente même du peuple haïtien à tirer quelque chose de positif. »

 

Effectivement, depuis le départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986, on organise toujours des élections, et ceci sans grands bénéfices pour les classes défavorisées.  Avec le massacre des électeurs dans les bureaux de vote le 29 novembre 1987, Haïti a raté les premières élections post Duvalier.  Postérieurement, quand elles ne sont pas organisées et orientées dans l'intérêt du parti au pouvoir, du forum économique, et des pays amis de l’international, les élections qui s’en suivent (1990, 1995, 2000, 2006 et 2010, 2015/2016) ont donné toutes, soit par un coup de force contre un président populaire, nationaliste-progressiste ou de mauvaise gouvernance par des chiens de garde du système, des résultats insatisfaisants pour le pays, particulièrement les gens dans les quartiers populaires et ceux de l’arrière-pays.

 

Haïti et ses expériences de transition démocratique

 

Parler de démocratie implique des élections crédibles avec la participation de tous les citoyens aussi bien des partis politiques au processus.  Cependant pour impliquer la population dans une telle démarche, les autorités haïtiennes et ses amis de l’international devraient à priori faire montre de bonne volonté à résoudre le problème de l’insécurité aussi bien d’autres problèmes sociopolitiques que confrontaient et confrontent encore aujourd’hui les institutions étatiques du pays aussi bien que le peuple haïtien. 

 

Sorti de la phase de transition et ne pas se retrouver aux mêmes crises électorales impliquerait des élections crédibles où la légitimité d’un président, les députés, les sénateurs, etc. est nécessairement importante dans la continuité du processus démocratique. De l’avis de certaines organisations politiques et leaders de la société civile, l’organisation des élections crédibles devrait être non seulement une priorité pour les autorités, mais elle devrait être aussi un moyen de mettre fin à cette longue phase de transition.

Mais le dilemme dans tout ça, c’est comment parviendrait-on à persuader la population, particulièrement les gens de la classe défavorisée et les leaders de même appartenance politique, que le processus serait crédible quand c’est toujours le Core Group qui décide des résultats définitifs d’un processus électoral en Haïti ?

De plus, comment convaincre l’électorat à se risquer pour aller voter alors qu’à chaque fois, que ce soit en septembre 1991 et février 2004, il y avait toujours eu des coups d’État contre leurs élus.  Le coup d’État du 30 septembre 1991 et le départ forcé le 29 février 2004 dans les deux cas contre le mandat du pouvoir populaire de président Aristide sont des cas classiques que peut utiliser l’électorat dans les bidonvilles pour ne pas voter ou intéresser à le faire. 

Paradoxalement, quand ce n’était pas un coup d’État ou un départ forcé de leurs élus, même avec un discours de contrat social en 2004, rien n’est fait pour que la situation socio-économique des gens des classes défavorisées soit améliorée. Elle est toujours restée la même. ‘’Si les élections apportent toujours quelques choses de positives dans les autres pays, dans le cas d’Haïti, c’est toujours le contraire. Donc pourquoi parler d’élections ou de démocratie en Haïti quand elles ne vont, en termes de changement, rien nous apporter’’, avait affirmé un jeune universitaire lavalas résidant à Cité Soleil, ancien fief de l’ex-président Aristide.    

En outre, comment faire campagne ou parler d’élections quand les gangs armés, en dépit des efforts des agents de la PNH, kidnappent et tuent dans certains quartiers populaires des régions métropolitaines du pays. Le pays est à la merci des gangs… L’insécurité est si galopante que faire campagne dans certains quartiers de la capitale équivaut à la signature d’un arrêt de mort’’, écrivait Muhamed Junior Ouattara. Définitivement, ce climat d'insécurité et de peur peut nuire au bon fonctionnement d’un processus électoral.

 

Pendant les trente dernières années d’expérience de transition démocratique dans le pays, sous la supervision et collaboration des experts de la communauté internationale, les Conseils Électoraux provisoires (CEP) ont organisé plus d’une dizaine d’élections. Sont-elles crédibles ou sans reproches ? De plus, quelles sont les conséquences positives de ce scrutin dans la vie du peuple haïtien, surtout ceux des classes défavorisées ? 

 

Toujours dans son article « Les élections : un casse-tête haïtien », professeur Guy-Michel Vincent écrit « aucune d'elles n'est sans reproche, par excès ou par défaut. » Depuis la journée macabre du 29 novembre 1987 marquée par le massacre de la ruelle Vaillant jusqu’aux celles controversées du 21 mai et du 26 novembre 2000 de Léon Manus, du 28 novembre 2010 et du 20 mars 2011 de Gaillot Dorsainvil, d’octobre 2015 de Pierre Louis Aupont, et de novembre 2016 de Léopold Berlanger, quand elles n’ont pas eu de violences, presque toutes ces élections ont toujours été entachées d’irrégularités. En commentant les crises politiques haïtiennes de l’après 1986, professeur Vincent a « traduit la période électorale post-duvaliériste comme une réalité tumultueuse en Haïti. »

 

Plus de trente ans après le départ de Jean-Claude Duvalier, Haïti continue de faire face aux crises institutionnelles. Tous les efforts de 1986 à nos jours, dans le cadre du processus démocratique ont été sapés par certains hommes politiques du pays aussi bien que des pays occidentaux dits amis d’Haïti.  La démocratie « n’est pas la bienvenue ni dans l’opposition ni chez le pouvoir. Ceux qui arrivent au pouvoir à travers les élections oublient qu’ils doivent le céder par le même moyen. Trop confortables dans les gouvernements de transition, certains partis qui se réclament de l’opposition veulent s’y cantonner toujours. » Ainsi, de crise en crise, à un rythme accéléré, l’effondrement se poursuivre.

 

Transition continue

 

Plus de trente ans de cela, sur toutes les lèvres, on parlait de transition démocratique.  Par démocratie, cela sous-entend, stabilité politique, alternance du pouvoir politique à travers des élections selon l’échéance constitutionnelle. Cela implique aussi des changements économiques et sociaux des gens de la classe défavorisée qui, depuis l’indépendance d’Haïti en 1804, sont croupis dans la misère.  En mettant fin à des années de gouvernement dictatorial des Duvalier, malheureusement, l’épisode dite démocratique, de prédécesseurs en successeurs, les dirigeants haïtiens et pays amis de la communauté internationale ne sont pas capable de mettre fin à la transition démocratique qui selon plus d’un a trop duré.

 

Depuis le départ de Jean Claude Duvalier en 1986, Haïti vit un conflit de basse intensité et des coups d’État répétés. Presque toutes les autorités de l’après 1986 n’ont pas vraiment les capacités et moyens de changer le coup des choses et des événements. Elles étaient ou sont encore aujourd’hui seulement à des postes pour assister tout simplement à la dégradation de la situation sociopolitique du pays.  Elles sont impuissantes aux problèmes du chômage, de l’insécurité généralisée, de la dégradation de l’environnement et de la bidonvilisation un peu partout dans le pays. Comme autorités, pendant qu’elles continuent à jouir de tous les privilèges et immunités que requièrent leurs fonctions, elles alimentent la corruption à tous les niveaux des institutions de l’État.  Face à la perte des valeurs, de la fuite des cerveaux vers l’étranger, de l’affaiblissement des institutions étatiques et de l’explosion démographique de la population, l’État est impuissant. De plus, pour un pays essentiellement agricole, comme il n y a pas un plan de décentralisation et de programme de production nationale, la survie alimentaire de la population en dépend des contrebandiers locaux et internationaux, en fin de compte, pour un État budgétivore et sans vision, comme un fait accompli, les autorités ne font qu’assister à une économie en agonie. Comment Haïti est-elle arrivée là ?

   

Lorsque Jean-Claude Duvalier quittait le Palais national en direction de l’aéroport Maïs Gâté pour son exil en France le 7 février 1986, il y avait de l’électricité sur tout son passage. Les rues principales de la capitale étaient propres. Port-au-Prince n’était pas bidonvillisé comme elle est maintenant. Même si c’étaient sous le couvert des macoutes et des militaires, les rues étaient sécurisées. En trente-six ans, c'est-à-dire de février 1986 à aujourd’hui, la « Transition vers la démocratie en Haïti », a été un douloureux enchaînement de drames sanglants et de désenchantements. En dépit d'une force de police civile, des élections répétées et d’importantes aides internationales, la première République noire est encore aujourd'hui considérée comme le pays le plus pauvre des Amériques. »

Plus que cela change, plus que c’est la même chose.  Le constat est que : « De 1993 à aujourd’hui, Haïti a accueilli cinq missions d’appui et de maintien de la paix : la MINUHA (Mission des Nations unies en Haïti), la MANUH (Mission d’Appui des Nations unies en Haïti), la MITNUH (Mission de transition des Nations unies en Haïti), la MIPONUH (Mission de police civile des Nations unies en Haïti), et la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la Stabilisation en Haïti) en 2004. »  

De la MINUHA en 1993 à la MINUSTAH, le pays continu à se déstabiliser.  Pendant les dix dernières années, Haïti a reçu la visite de beaucoup de chefs d’État étrangers aussi bien que   différents experts du reste du monde. Quant aux ONG (organisations non gouvernementales), elles poussaient, surtout après le séisme du 12 janvier 2010, comme des champignons ou de mauvaises herbes dans des terrains abandonnés. « À telle enseigne, qu’on peut parler de République des ONG’s », mentionnait Raymond Délerme.

Mis à part de l’incompétence des autorités haïtiennes, tout en étant prisonnier du secteur privé des affaires et de la communauté internationale, l’État est aujourd’hui inexistant. Les dirigeants sont incapables à même de gérer le quotidien. Comme résultats, c’est la prolifération des gangs armés, les kidnappings spectaculaires et les massacres dans les quartiers populaires.

 

Du massacre des manifestants par devant la prison de Fort Dimanche le 26 avril 1986, des paysans de Jean Rabel, à l'assassinat de Charlot Jacquelin, Louis Eugène Atis, Yves Volel, en passant par la tuerie des électeurs à la ruelle Vaillant, des fidèles à l’église Saint Jean Bosco, au carnage durant le coup d'État de septembre 1991, particulièrement de Sylvio Claude, Roger Lafontant, Antoine Izmery, Guy Malary, Père Jean-Marie Vincent, etc, puis plus récemment du bain de sang à Carrefour-feuille, La Saline, Bel-Air, Martissant, du meurtre du Batonnier Monferrier Dorval à celui du président Jovenel Moïse en sa résidence dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, la démocratie n'arrive toujours pas à attérir dans l'Haïti post duvalier. 

 

Mais qu’en est-il des élections pour remplacer les élus?

 

Beaucoup sont unanimes à reconnaître que si l’on veut respecter l’alternance du pouvoir politique dans le cadre d'une stabilité démocratique aussi bien qu’assurer la crédibilité et légitimité des dirigeants, on doit organiser des élections surtout crédibles, honnêtes et transparentes. L’élection est universellement reconnue et acceptée comme étant la seule méthode juste et libre, dans un processus démocratique, de choisir les dirigeants politiques. 

 

Les élections remplissent de nombreuses fonctions importantes dans une société. Elles socialisent, institutionnalisent l'activité politique, et surtout rendent possible l’inclusion de beaucoup de citoyens à des postes politiques.

Le processus électoral permet l’arrivée au pouvoir sans pour autant passer par le bouillonnant à travers des manifestations, des émeutes ou des mouvements de révolution. Parce que les élections offrent un accès régulier au pouvoir politique ou les dirigeants peuvent être remplacés l’un ou l’autre sans pour autant d’être renversé de force.

 

Ce qui explique que les élections sont le passage obligé dans le processus démocratique.  Non seulement il est question de les organiser honnêtement, mais surtout à temps, car ce simple mot d’élection est aujourd’hui devenu une exigence nationale et internationale. « La propagation de la démocratie dans le monde compte parmi les grandes réalisations de notre époque, et ce, grâce aux élections qui rendent possible l’acte d’autodétermination envisagé dans la Charte des Nations-Unies. »

 

Mais quand en Haïti on n’arrive pas à organiser des élections pour la rentrée parlementaire le deuxième lundi de janvier et l’investiture du président de la République le 7 février de cette année, donc il y a lieu d’interroger le processus ou de faire le procès de la démocratie dans ce pays.

 

Par exemple, pour ne pas pouvoir organiser des élections à temps ou convenablement en novembre 2015, en février 2016, la passation du pouvoir exécutif avait été faite au président de l’Assemblée nationale d’alors. Et, depuis les dernières élections générales organisées fin novembre 2016, plus de cinq ans après, il n’y a pas de nouveaux magistrats, de députés, de sénateurs et de président élus pour, comme le veut la constitution de 1987, rentrer en fonction le 7 février de cette année.  Comme l’aurait pu dire l’ancien ministre Pierre Raymond Dumas, c’est une transition qui n’en finit pas.

 

Selon Pierre Raymond Dumas, « le pays a connu des mutations épouvantables: la perte des valeurs et des repères a été l'une des monstruosités qui expliquent tant de perversions d'ordre politique, institutionnel et moral, religieux et social. La jeunesse, face à la drogue, au banditisme, à la prostitution, la corruption, au chômage et à la violence, est livrée à elle-même. »

 

Plus de trente ans après le départ de Jean-Claude Duvalier, Haïti continue de faire face aux crises institutionnelles.   

 

Plus de trente ans après, le pays est à la case départ.  La démocratie continue encore à chercher sa voie en Haïti. « La cohabitation entre les pouvoirs constitués de l’État se révèle difficile. L’alternance politique reste un concept vide de sens. Le pays ne se dote même pas encore d’institutions pouvant garantir la tenue des élections à intervalles réguliers. Chaque élection organisée est comme une première expérience. Entre-temps, notre dépendance vis-à-vis de l’internationale s’accentue. Derrière la plus petite décision, on soupçonne une main étrangère. Avec la formule : « Ote-toi que je m’y mette », on ne va pas laisser la zone de turbulences de si tôt . », écrit Jean Pharès Jérôme dans les colonnes du quotidien Le Nouvelliste en date 16 décembre 2014.

 

De toute évidence, la transition haïtienne a trop duré. La population est fatiguée, pendant que, par rapport aux autres pays de la région, Haïti accumule des retards mortifères au niveau de tous les grands défis. 

 

Le Chili et les Philippines, eux aussi, avaient fait de longues expériences dictatoriales.  Mais sans grandes difficultés, contrairement à Haïti, ils ont réussi leurs transitions démocratiques, alors qu’ils avaient commencé leur processus presqu’à la même époque qu’Haïti.  Comment se fait-il que, jusqu’à présent, Haïti continue sa longue et difficile traversée vers un État moderne ? Non seulement les mauvaises expériences de la transition démocratique durent depuis plus de trente ans, mais encore « la plus grande confusion perdure et les problèmes d’Haïti deviennent plus complexes et plus difficiles que lors du départ de Jean Claude Duvalier. »

 

Donc, faire le procès de la démocratie en Haïti, c'est constater, en dépit de tous les efforts des masses pour essayer de vivre dans la dignité et la liberté, la main intouchable des puissances occidentales et impérialistes est toujours là pour faire avorter leurs rêves les plus humanistes et les transformer en des cauchemars inédits.  

 

Prof. Esaü Jean-Baptiste

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