Haïti : la honte de l’international

Depuis le 7 février 2022, le Premier ministre haïtien, Ariel Henry, a perdu le semblant de légitimité que certains lui accordaient encore. Nommé deux jours avant l’assassinat du président Jovenel Moïse, en juillet dernier, il a laissé la situation empirer davantage. Il entend pourtant garder le pouvoir. Avec le soutien de l’international.

Le 7 février dernier devait marquer la passation du pouvoir présidentiel en Haïti. Un an plus tôt, le président Jovenel Moïse refusait de reconnaître la fin de son mandat, prétendant rester au pouvoir, jusqu’au 7 février 2022, le temps, disait-il, d’organiser des élections et un référendum sur la Constitution. Cinq mois plus tard, il était assassiné.

Deux jours avant son assassinat, le 7 juillet 2021, Jovenel Moïse avait nommé Ariel Henry Premier ministre. Ce dernier héritait d’un pouvoir illégitime, issu d’un chef d’État contesté, mis en cause dans des affaires de corruption, et qui avait catalysé l’effondrement des institutions publiques, en laissant s’installer la corruption et l’impunité, se multiplier les bandes armées, et s’achever les mandats des parlementaires et des deux tiers des sénateurs.

 

Le bilan d’Ariel Henry

Depuis, le gouvernement a passé l’essentiel de son temps à faire des déclarations sans effet, et à participer à des réunions internationales où se discute la solution à la crise haïtienne. Personne, à ce jour, n’a été mis en accusation en Haïti, dans le cadre de l’assassinat du président Jovenel Moïse. L’enquête est au point mort. Le constat est identique concernant les divers assassinats et massacres, et l’examen du dossier Petrocaribe avec le détournement de centaines de millions d’euros par la classe politique. L’impunité règne.

Sous la double pression de l’insécurité et de la vie chère, écoles et hôpitaux ouvrent de moins en moins, et fonctionnent de plus en plus mal. La faim qui touchait 40% de la population s’étend, et l’effondrement des institutions publiques se poursuit. Les gangs armés ont conquis de nouveaux territoires, et contrôlent désormais la majeure partie de la capitale. Au cours du week-end précédant le 7 février, une dizaine de personnes ont été tuées et une vingtaine d’autres enlevées.

Qui plus est, la responsabilité d’Ariel Henry a été mise en cause dans l’assassinat de Jovenel Moïse. La nuit du meurtre et par après, il a eu des conversations téléphoniques – et même des rencontres à en croire le New York Times – avec l’un des principaux suspects, en fuite. Interrogé à ce sujet, Henry a simplement répondu qu’il ne se souvenait plus de ce dont ils avaient parlé.

 

Faillite internationale

Mais, tout cela est loin de troubler la communauté internationale, qui, alignée sur Washington, continue de soutenir le gouvernement d’Ariel Henry, comme elle a soutenu celui de Jovenel Moïse. Elle a laissé passer le 7 février 2022, comme elle a laissé passer le 7 février 2021, et le massacre (71 morts) de La Saline, le 13 novembre 2018. Fin janvier 2022, le sous-secrétaire d’État nord-américain, Brian Nichols, et l’ambassadrice de l’Union européenne en Haïti, Sylvie Tabesse, convergèrent ainsi pour débarrasser le Premier ministre de toute idée d’échéance.

La communauté internationale se plaît à donner une image chaotique de la situation haïtienne pour la faire correspondre à ses présupposés idéologiques et à ses solutions toutes faites. Ces dernières se réduisent d’ailleurs à un double levier, dont la France, par la voix du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a récemment donné la clé : la police et l’humanitaire. Renforcer la première, augmenter l’aide. Et tant pis, si ce programme a échoué depuis longtemps ; l’important est, comme au temps de l’État colonial, de « contenir les Noirs ».

On peut discuter la part d’aveuglement ou de cynisme, d’intérêt à court terme ou de mépris néocolonial dans cette stratégie, mais force est de reconnaître que l’Europe s’est complètement alignée sur les États-Unis, et que le gouvernement d’Ariel Henry ne tiendrait pas quarante-huit heures sans le soutien international. Le Premier ministre en est conscient : le 6 février, il publiait une tribune dans un journal américain plutôt qu’haïtien, s’adressant à ses bailleurs et à ses commanditaires, plutôt qu’à la population d’Haïti.

 

La honte

L’international évoque une pléthore de factions politiques et d’organisations de la société civile, en Haïti, toutes mises sur le même plan, pour appeler encore et toujours à plus de consensus. De la sorte est gommé le clivage principal : celui d’une clique au pouvoir, étroitement liée à l’oligarchie et aux bandes armées, d’un côté et la grande majorité des organisations sociales, des partis et églises, ayant convergé dans l’Accord du 30 août 2021, dit de Montana, de l’autre.

Les premiers veulent s’assurer la reproduction du modèle de gouvernance par le biais d’élections (impossibles à réaliser actuellement). Les seconds misent sur une « transition de rupture », pour sortir le pays du cycle de dépendances et de crises. Mais Washington ne veut ni transition ni rupture. Raison pour laquelle, on ne reconnait pas qu’un consensus très large existe déjà – celui de Montana –, qu’il n’y en a pas de plus vaste possible et, surtout, qu’il n’est de consensus véritable, en Haïti, qu’à l’encontre de la politique internationale.

La fable qui se raconte dans les chancelleries et les salles de rédaction occidentales est celle d’une « fatigue d’Haïti ». La communauté internationale aurait tout fait pour aider le pays, et se découragerait de voir que ses efforts ne portent pas leurs fruits. Manière de retourner la colère du peuple haïtien en apologue d’autolégitimation. Ce n’est pas la fatigue qui doit nous saisir face à la situation haïtienne, mais bien la honte d’une politique internationale, qui se fait en notre nom. Et se rappeler que la honte peut être un sentiment révolutionnai

 

Frédéric Thomas

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