Quand la diaspora demande des comptes sur son $1.50

Malgré leur mode de vie dans un contexte économique difficile et une politique d’immigration de jour en jour plus compliqué dans leurs différents pays d'accueil principalement les États-Unis et le Chili, les migrants haïtiens continuent de plus en plus de s’assumer pleinement de leurs responsabilités à l'égard de leurs membres de leurs familles et d’amis en Haïti. Mais, quand, à travers le programme d’éducation gratuite initié par l’ancien président Martelly il ya de cela plus de dix ans, l’État haïtien continue de collecter de l’argent de la diaspora pendant que, pour l'ouverture des classes, des parents et amis ne cessent de demander de l'argent à des Haïtiens de l’extérieur pour pouvoir envoyer spécialement leurs enfants à l’école, donc il y a raisons de se demander: Mesye otorite, ki sa nou fè ak 1.50 lan ?

Dans les colonnes du Quotidien Le Nouvelliste en date du 11 avril 2019, sous le titre: les transferts d’argent vers Haïti en nette hausse par rapport à 2017, Patrick Saint-Pre écrit que « Haïti arrive à suivre sans peine la cadence des pays à revenu faible et intermédiaire, où les envois de fonds ont atteint un niveau sans précédent en 2018. Selon la dernière édition de la note d’information de la Banque mondiale sur les migrations et le développement, en parts du produit intérieur brut, Haïti réussit même l’exploit de se tailler la part du lion avec 30,7%, loin devant El Salvador (21,1%) et Honduras (19,9%). En 2018, selon le rapport de la Banque mondiale, la diaspora a envoyé en Haïti un montant de 2,98 milliards de dollars de transferts. Dans la liste des principaux bénéficiaires dans la région, Haïti se retrouve à la neuvième place, tandis que le Mexique, avec environ 36 milliards de dollars de transferts reçus en 2018, reste le principal bénéficiaire dans la région. »

L’auteur avait aussi fait remarquer que «Par rapport à 2017, les 2,98 milliards de dollars de transferts reçus par Haïti l’année dernière représentent une hausse de 9,70% et permettent au pays de se classer en septième position. Cette progression place Haïti légèrement en retrait par rapport à la région Amérique latine et Caraïbes, où globalement les envois de fonds ont augmenté de 10 % en 2018, atteignant 88 milliards de dollars, stimulés par la vigueur de l’économie américaine », peut-on lire du texte de Patrick Saint-Pre. 

 

Le développement démographique des Haïtiens vivant à l’extérieur

Dans son livre La Diaspora haïtienne, Territoires migratoires et réseaux, particulièrement au chapitre 7,  Cédric Audebert décrit le processus de développement démographique des Haïtiens vivant à l’extérieur du pays comme suit: « Dans le même temps, le poids relatif de la diaspora dans la dynamique démographique haïtienne et sa contribution à l’économie nationale ne cessent de s’accroître et sont devenus incontournables. Un originaire d’Haïti sur six au moins vit actuellement en diaspora. Les Haïtiens à l’étranger s’affirment aujourd’hui comme les principaux soutiens économiques des familles au pays face à un État-providence inexistant. Ils sont le principal appui à une économie rurale délaissée voire sacrifiée par des gouvernements n’investissant généralement que de manière limitée au-delà de Port-au-Prince et sa région. La diaspora est aussi la principale source de devises extérieures et permet de relativiser la dépendance des Haïtiens vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux. Elle constitue enfin le principal relais des intérêts du pays à l’extérieur et, le cas échéant, de la politique étrangère haïtienne par ses actions de lobbying et les réseaux politiques qu’elle a pu tisser dans certains pays où elle est installée. »

Toujours dans le même livre et chapitre 7, Cédric Audebert écrit que « Le potentiel économique de la diaspora est en effet un champ considérable d’opportunités pour Haïti, autant pour les exportations de produits et services culturels vers les sociétés d’installation, que les investissements (construction et immobilier notamment) de la diaspora et le tourisme dans le pays d’origine. Dans le champ de la transmission de l’information, du transfert de connaissances et de compétences, du droit des affaires et de la coopération technique, la diaspora haïtienne est probablement la mieux à même de jouer le rôle d’intermédiaire entre le pays d’origine et les marchés des pays d’installation. Parce qu’elle incarne le transfert d’une part substantielle du potentiel humain haïtien vers l’étranger, le poids économique qu’elle représente aujourd’hui constitue en tant que tel une nouvelle ouverture pour Haïti.»

En dépit de tous les efforts économiques, académiques et surtout le développement démographique des Haïtiens dans les communautés haïtiennes en terres étrangères, «les relations entre l’État haïtien et les ressortissants à l’étranger sont jusqu’ici restées ambivalentes sur fond de rapports de pouvoir marqués par la méfiance voire la défiance des deux côtés.»

Si le pays continue de garder à l’écart les ressortissants haïtiens vivant en terre étrangère, n’empêche, l’État d’Haïti trouve toujours un moyen  pour exploiter cette communauté.

Mis à part des apports économiques et d’autres formes d’aides ou de sacrifices que font les Haïtiens de l’extérieur pour permettre à leurs parents et amis d’arriver à subsister dans pays ou l’État, à travers les services de base, est inexistant, donc il est important de mentionner qu’il est rare qu'une période électorale se passe sans que la diaspora ne soit visitée par des politiciens en pleine campagne. Comme une vache à lait dans la bouche d’un grand mangeur et de faux nationalistes, les politiciens haïtiens ne laissent jamais passer l’occasion pour profiter et exploiter les maigres moyens financiers dont dispose cette communauté.  Ainsi, c’est cette diaspora considérée tantôt comme un bouc émissaire, tantôt comme une poule aux oeufs d’or que le président Tèt kale fraichement élu avait taxé de payer les frais de son programme à partir de 1.50 sur chaque transfert effectué en Haïti.

 

L'idée du 1.50 par l’administration Martelly

Après son investiture à la présidence le 14 mai 2011, président Michel Joseph Martelly et son administration, dans le cadre de son programme d’éducation gratuite prôné durant sa campagne présidentielle, avaient commencé, sans débats, sans lois ou cadre légal, à collecter le 1.50 sur chaque transfert de la diaspora.  Mais comme quelques années après que cette mesure illégale initiée par l’ancien président Tèt Kale et son équipe pour s’asseoir la propagande d’éducation gratuite n’a pas apporté le résultat tant escompté, donc que ce soit en Haïti, particulièrement dans les communautés haïtiennes en diaspora, de nombreuses personnalités se sont déjà montées au créneau pour dénoncer cette décision.

Effectivement, cette exigence faite à la diaspora avait suscité et suscite encore bien des remous au sein de la communauté haïtienne vivant à l’extérieur.  Beaucoup de questions se posaient et continuent encore à se poser.  Certaines avaient obtenu des réponses et d'autres méritent que l'on s'attarde dessus.  Mais le plus important de tous ces questionnements est: que faire les autorités de l’État haïtien avec le $ 1.50 collecté à partir de chaque transfert de la diaspora.  Puisque plus de dix ans après, le bilan du système éducatif est lourd et très catastrophique.

 

Contexte du système éducatif haïtien

Dans les colonnes du quotidien le Nouvelliste publié le 30 aout 2019, Michelson Césaire, sous le titre : Écoles Nationales, 10 ans d’apprentissage dans des conditions très difficiles décrit le constat criant des écoles publiques du pays à quelques jours de la réouverture des classes.   « Des salles de classe abandonnées et dépourvues de banc. Le délabrement des plywoods qui ne supportent plus le poids des années. Le terrain vague de la place de la cathédrale jouxtant l’établissement scolaire public présage que l’apprentissage ne sera pas une partie de plaisir pour la nouvelle année académique. »

Il poursuit pour dire que : «  La situation des deux autres écoles publiques qui se partagent l’espace n’est pas changée. L’école nationale Tertulien Guilbaud est toujours logée à l’étage du bâtiment fissuré et l’annexe du lycée Alexandre Pétion au rez-de-chaussée du bâtiment en ruine.  Dans moins de deux semaines de la rentrée des classes, des écoles nationales sont dans l’attente du grand ménage. Pour certaines d’entre elles, le délabrement accéléré de leur hangar et de leurs pavillons métalliques peint un triste décor. À côté du problème de mobilier dont souffrent lesdites écoles, leur rénovation semble être le cadet des soucis des responsables de l’État. »

L’auteur a conclu que  « La liste  des écoles nationales souffrant de problèmes d’infrastructures est longue.  Détruite à la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010, l’école nationale Smith Duplessis est abritée dans un long hangar en bloc de six salles, couverte d’une toiture métallique percée. L’école nationale Esther Beaubrun Honorat, dont le bâtiment temporaire n’a toujours pas été remplacé depuis 2010, est dans la même situation. L’école nationale République du Panama logé dans un hangar mal fagoté dans un espace exigu. La situation des écoles nationales Daguesseau Lespinasse, Discrète Aumone, Thomas Madiou, Esther Beaubrun Honorat révèle la carence des infrastructures scolaires de l’État. »  Cependant, quand ce ne sont pas des problèmes de délabrement des locaux, ce sont des problèmes de moyens financiers pour payer l’écolage de leurs enfants que font face des parents.

Mis à part de tous ces problèmes, selon des experts, l'éducation haïtienne est défaillante: il y a carence d'encadrement pour les enfants à la maison, carence de matériels, classes mal conçues, mal équipées et surchargées, manque d'ouvrages pour les élèves et les enseignants. Donc, au lieu d'être une institution capable de former des agents de développement au niveau national et international, le système ne fait que drainer des ressources et des capitaux du trésor public sans pour autant former des éléments productifs pour la société et le monde. « Les élèves quittent l'école comme des intellectuels ratés, sans avoir non plus de compétences techniques pour subvenir à leurs besoins. »  Ainsi, la situation de l'éducation en Haïti est très préoccupante.

Au-delà de toutes ses considérations de délabrement des écoles nationales que mentionnent l’auteur dans son texte et la défaillance en générale du système de l’éducation, c’était sous forte tension de problèmes d’insécurité et de grandes crises économiques que la rentrée scolaire avait été faite l'année dernière. 

À l’époque de cette rentrée scolaire, de nombreux parents, particulièrement ceux des classes défavorisées du pays étaient dans la tourmente.  Dans bien des cas, ils ne savaient pas à quel saint se vouer.  Ne pas savoir à quel saint se vouer est un dilemme.  Heureusement, il y avait la diaspora. 

Comme chaque année, à quelques jours de l’ouverture des classes, ne sachant comment répondre aux problèmes de frais scolaires de leurs enfants, certains parents se tournent directement soit vers des membres de leurs familles ou des amis de la diaspora.  Oui, face à un État irresponsable et un ministère de l’Éducation nationale qui malheureusement en partie a failli à leur mission qui est notamment d’enseigner, d’éduquer et de former l’homme haïtien, c’est aux ‘ATM’ des banques des Haïtiens de la diaspora que se sont tournés, heureusement, certains parents.   

Mais, quand pour une ouverture des classes, que ce soient des membres de ma famille et des amis, ils continuent à me demander de l’aide financière, pendant que le pouvoir en place collecte $ 1.50 sur chaque transfert que je fais en Haïti, donc il est de mon devoir de demander kote kòb mwen an ale? se demandait dans une station de radio à grande écoute, un activiste politique et opposant farouche au pouvoir politique en Haïti.

 

Kote kòb $ 1.50 lan pase ?

Francklyn B. Geffrard, dans son article ou est l’argent du Fonds national de l’éducation publié dans Haïti Liberté, Vol 6, No 28, 23, janvier 2013, il conclut en ces termes: «En attendant qu’un cadre légal soit établi pour ces nouvelles taxes imposées notamment aux Haïtiens expatriés, le pouvoir en place ferait mieux d’élucider les zones d’ombres qui entourent l’argent collecté au nom du Fonds National de l’Éducation. Il est vrai que le parlement n’a toujours pas ratifié le Projet de loi permettant au FNE d’utiliser ces fonds destinés à l’éducation des jeunes haïtiens ; mais cela ne justifie nullement l’absence de transparence constatée dans la gestion de ces fonds. Alors que tout le monde a la tête ailleurs, les compagnies de téléphones et de transferts continuent de percevoir illégalement de l’argent sur nos compatriotes. En conséquence, les entités telles L’UCREF, l’ULCC, le parlement haïtien, la Cour Supérieure des Comptes, voire le parquet de Port-au-Prince, devraient diligenter une enquête pour faire le jour sur cette affaire qui fait penser déjà à de l’escroquerie à grande échelle…» 

Aujourd’hui, presque dix ans après la publication  du texte de Francklyn B. Geffrard, les mêmes exigences sont encore de mises puisque jusqu’à présent il n’y a pas vraiment de rapport concret en termes de ce qui avait fait ou est en train de faire les autorités politiques avec l’argent collecté des transferts de la diaspora. Donc comme pour l’argent de la reconstruction d’Haïti, les Fonds du Petro Caribe, la diaspora demande ou est passé leur $ 1.50 collecté par l’État haïtien ?

 

 

Prof. Esau Jean-Baptiste

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