La diaspora, un secteur clé dans la reconstruction d'Haïti

Construire la paix en Haïti: inclure les Haïtiens de l'étranger, titrait un texte de la communauté internationale sur le rapport Amérique Latine/Caraïbes en date du 14 décembre 2007. Ce même rapport de synthèse et recommandations dans le premier paragraphe continue pour dire que « l'inclusion dans la destinée du pays des quelque trois millions d'Haïtiens qui vivent à l'étranger, à condition qu'elle se fasse dans le cadre d'une initiative d'envergure s'inscrivant dans la durée, pourrait permettre de dépasser l'historique sentiment de méfiance que les Haïtiens nourrissent à l'égard de l'extérieur, d'avoir accès à une classe moyenne qui fait défaut en Haïti et d'aider ce pays à échapper a son statut d'État fragile. »

C'était avant le meurtrier tremblement de terre du 12 janvier 2010 que les experts de la communauté internationale arrivaient à cette conclusion que seule une bonne inclusion des cadres de la diaspora peut aider ce pays à sortir de son état fragile pour enfin prendre le chemin de la modernisation et de développement durable. Mais, après le séisme, pour un pays qui avait déjà eu une carence de cadres, ajoutez à tous ceux-là qui étaient victimes dans le tremblement de terre ou qui étaient forcés à quitter le pays, c'était le moment plus que jamais de penser à l'inclusion des cadres de la diaspora qui avaient toujours voulu et veulent encore retourner au pays. Ils étaient nombreux ceux-là qui étaient victimes du meurtrier séisme du 12 janvier. Selon des rapports, plus de 200.000 étaient morts. Il y avait approximativement 300.000 blessés et plus de 1.000.000 de gens qui étaient sans abris. Ils étaient dans les rues, sous les tentes pendant les saisons pluvieuses. Tel était le lourd bilan du tremblement de terre du 12 janvier 2010.

Cependant, le pays ne pleurait pas seulement la mort de toutes ces victimes, mais il souffrait aussi de la mort et du déplacement de leurs cadres vers d'autres horizons. Les bureaux de l'immigration du Canada et des États-Unis pouvaient en témoigner combien étaient le nombre des cadres qui de transit en République dominicaine étaient arrivés soit à Montréal, Floride et New York. Entre-temps, ils étaient au nombre d’une centaine de professionnels comme médecins, professeurs d'université, avocats, ingénieurs, journalistes, hommes d’affaires, prêtes, pasteurs et cadres des partis politiques qui étaient venus sollicités des services de consultations de toutes sortes à notre centre communautaire à Brooklyn, New York.

De plus, dans une réunion communautaire sur la problématique d'Haïti et participation de la diaspora qui avait eu lieu à Boston dans l’état de Massachusetts, j'avais eu la chance de rencontrer une dizaine d'étudiants finissants aussi bien que des professeurs des universités privées et publiques de la capitale. Pendant qu’ils cherchaient des moyens d’adaptation afin qu’ils puissent profiter des avantages qu’offraient les États-Unis, ils étaient, eux aussi, très préoccupés de l’avenir d’Haïti

Au téléphone, un ami professeur qui se trouvait à l’époque dans l'état de la Floride eut à déclarer: "Je ne m’imaginais pas, après toutes les crises politiques que connait le pays pendant les 20 dernières années, qu'on pouvait arriver là. « Professeur, nous sommes à nu. Nou pa gen peyi ankò.»

Le jeudi 14 janvier au soir, encore au téléphone, un ancien sous-secrétaire- d'État du gouvernement de Madame Pierre-Louis m'avait déclaré d'une voix triste: « Ezo nou pedi anpil kad de valè ak anpil etidyan nan inivesité nou yo.»

 

Face à ce constat, la diaspora pourrait aider

Ainsi, nous avions pleuré et nous continuons encore à penser aux pertes de toutes ces valeurs. Mais Haïti ne doit pas périr. La diaspora est là, non pas pour prendre la place de ces cadres, puisqu'ils sont irremplaçables, mais juste pour apporter sa toute petite contribution au processus de reconstruction du pays. « La diaspora est prête à aider Haïti, mais elle a besoin pour cela de l'assistance du gouvernement pour éliminer les barrières formelles et informelles qui limitent encore son plein engagement. L'inversion de la fuite des cerveaux ramènerait au pays plusieurs centaines de professionnels qualifiés et élargirait grandement les capacités de gestion de la nation. Mais pour tirer le meilleur parti de ces opportunités, le gouvernement doit expliquer clairement aux secteurs clés de la société et au public en général le bien-fondé d'une politique d'encouragement au retour», peut-on lire dans le même rapport de la communauté internationale.

Mais cette communauté internationale doit accompagner leur parole aux actes. Elle doit, dans leurs propres institutions, commencer par placer des Haïtiens compétents dans des postes de décisions. N’aviez vous jamais demandé pourquoi il n'y a pas tellement ou presque pas de cadres de la diaspora dans des postes clés des organisations internationales en Haïti. Ces postes-là sont toujours réservés aux experts étrangers qui certaines fois ont étudié dans les mêmes universités étrangères que les cadres haïtiens de la diaspora.

Si on veut vraiment aider Haïti à se reconstruire, il faut le faire avec les experts de la communauté internationale, les cadres locaux aussi bien de la diaspora. Ces derniers connaissent bien la culture et la réalité politique du pays. Mis à part, en termes de résultats négatifs, de mauvaises expériences faites avec des gens de la diaspora dans les affaires politiques du pays pendant les 25 dernières années, dans l’ensemble, il y a de très bons techniciens de la diaspora sur qui on doit compter pour une reconstruction et le développement durable d'Haïti. Si c’en est le cas, pourquoi ne s’étaient-ils pas retournés après le 12 janvier ? Qu'est-ce qui les empêchait d'être au pays?

À part les médecins et infirmières, s'ils s’étaient manifestés, c'étaient seulement comme des volontaires dans des organisations humanitaires qu'on avait retrouvé ces cadres. Comme ils étaient des simples volontaires à une cause haïtienne qu'ils connaissaient bien et pourraient apporter d'énormes contributions, mais malheureusement limité en termes de temps et de positions dans des postes de décisions, donc après avoir passé quelques jours au pays, ces Haïtiens étaient retournés dans leurs demeures respectives en diaspora.

Ce qui suit était une enquête indépendante menée par une organisation haïtienne de la diaspora immédiatement après le meurtrier séisme du 12 janvier 2010  

 

Ce que révélait une enquête

C'était cette disparité qui existait dans des postes entre les experts étrangers et cadres de la diaspora qui avait poussé l’organisation Youn A Lot à faire cette étude qui suit. Sur un échantillon de 100 cadres haïtiens avec des compétences allant de simple licence au doctorat questionnés au Canada et aux États-Unis (New York, Floride, Massachusetts, New Jersey et Illinois).  Parmi ces 100 professionnels de la diaspora, 26 d'entre eux avaient voulu retourner au pays pour apporter leurs contributions. 14 d’entre eux avaient des dossiers en attente après le séisme pour des positions postées par des organisations de la communauté internationale. 12 autres avaient des dossiers en attentes avant le tremblement de terre pour des positions postées par des organisations de la communauté internationale. 17 autres déclaraient qu'ils s’étaient allés établir en Floride avec les membres de leurs familles de façon d'être plus prêt de leur terre natale. 21 avaient encore gardé leur nationalité haïtienne. 6 avaient été en Haïti immédiatement après le 12 janvier pour offrir, dans le cadre humanitaire, leurs services à des organisations internationales.  Et le reste (4) était seulement concerné par la situation du pays, mais sans grands intérêts de retourner pour faire quoi que ce soit.

Ironie dans tout cela, pendant que l’international et le gouvernement haïtien parlent chaque jour de problèmes d'insécurités dans le pays, parmi ces experts de la diaspora, il y avait des professionnels dans des domaines comme sécurité et justice criminelle qui ont fait des études à John Jay College à Manhattan, New York qui, pour la plupart des policiers, eux aussi, ils voulaient retourner et offrir leurs services à leur pays d’origine.

 

Reconstruire avec la diaspora

Depuis le séisme du 12 janvier 2010, à travers des réunions locales et internationales, on parlait de reconstruction d'Haïti. Cette reconstruction est-elle seulement les bâtiments publics comme le Palais national, le Parlement, les Ministères, les églises, hôpitaux, écoles, universités, etc. qui ont été touchés par le tremblement de terre ou veut-on construire un pays qui répond aux normes internationales de développement?

Si oui cela impliquerait des infrastructures qui peuvent résister à tout éventuel tremblement de terre, aussi bien la décentralisation des services publics et de la construction de bâtiments immobiliers pour investir. Haïti a raté tellement d'occasions historiques et d'opportunités que le peuple haïtien est aujourd'hui devenu perplexe et méfiant de ce que peuvent et veulent vraiment faire les experts de cette communauté internationale aussi bien que les dirigeants d'Haïti en termes de modernisation et de développement durable. Reconstruire un pays capable à encourager les investisseurs. Le peuple haïtien ne demande pas de la charité. Il veut un emploi pour aider leurs familles.

De toute façon, les investisseurs ne sont pas des philanthropes qui rentreront au pays pour faire des dons ou des oeuvres charitables. Comme les touristes, ils sont très exigeants. Ils seront au pays pour investir et faire le maximum de profit sur chaque dollar investi. Donc on doit les inciter à rentrer. Pour y parvenir, l'État haïtien et la communauté internationale dans leur projet de reconstruction doivent créer un climat incitatif pour qu'enfin les investisseurs puissent rentrer au pays et investir leurs capitaux. D'où la nécessité d'une politique stable et sécuritaire. Une fois le pays est stable, l'État à travers ses agences gouvernementales comme les ambassades, consulats et le Ministère des Haïtiens vivant à l'étranger entreprendra une campagne massive de promotion, c'est-a-dire, présenter Haïti différemment à l'échelle internationale. L'idée du pays instable des chimères des zenglendos et de kidnappings doit, aux yeux des investisseurs, avoir un autre visage. La presse internationale doit cesser de présenter Haïti comme le pays le plus pauvre de l'hémisphère.

Comment pourrait-on demander à des investisseurs de venir investir au pays si les autorités  n'offrent pas à ces derniers des opportunités. Attirer les investisseurs nécessite le renforcement des institutions étatiques aussi bien que les infrastructures de communication de base. Résoudre le problème de l'électricité est primordial dans le processus de reconstruction et de création d'emplois. Avec le projet de reconstruction, Haïti devra se montrer plus compétitive dans la région.

À travers de vastes programmes de propagande, les institutions dont la tâche sera attribuée pour vendre l'idée que Haïti, comme les autres pays de la Caraïbe, a des mains-d'oeuvre qualifiées et qui répondent aux normes internationales, qualités vitales pour tout investisseur ambitieux. Montrez-les des avantages énormes qu'ils puissent en tirer si toutefois ils ont opté pour investir en Haïti. Donc mis à part de ce qu’ils pourraient investir dans des projets de création d’emplois, la compétence des cadres de la diaspora serait une nécessité primordiale dans la reconstruction d’Haïti.

 

Inclusion des investisseurs haïtiens de la diaspora

Parler de création d'emplois surtout de manière durable dans le pays ne doit pas être seulement une affaire de l'État haïtien, la communauté internationale, hommes d’affaires ou d'un groupe de citoyens de bonne volonté de la société civile, mais surtout une affaire nationale et internationale. Donc, face à ce constat, la participation et la collaboration de tout en chacun, surtout des investisseurs venus des communautés haïtiennes de la diaspora, s'avère importante pour la survie d'une telle entreprise. En termes de ressources humaines et économiques, la diaspora reste un atout, qui jusqu'à présent, n'a pas été exploité ni par les autorités haïtiennes ni par la communauté internationale dans la problématique de reconstruction et d’investissement d'Haïti. Cependant, économiquement, cette diaspora déverse annuellement des milliards de dollars en Haïti.

Ce sont des fonds envoyés directement vers des amis et des proches parents. Mais cet apport économique n'est jusqu'à présent pas encore exploité à l'échelle nationale. Donc dans un projet de reconstruction, d’investissement  et de développement à long terme dans le pays, il serait important d'inclure les investisseurs haïtiens de la diaspora parmi d'autres qui auront à rentrer au pays pour investir. Ils ont de l'expérience, les techniques modernes, les moyens financiers aussi bien que l'amour patriotique pour le pays.

Ajoutez à tout cela, ils sont aussi habitués à se courber aux normes fiscales établies par les autorités de leur pays de résidences. Dans un texte qu’il publiait dans les colonnes du Quotidien le Nouvelliste en date du 7 août 2009,  Lesly Péan écrit qu’« Haïti a 85% de sa force de travail qualifiée dans la diaspora. Cette force de travail qualifiée représentant une perte de 9% de son PIB, contrairement à la composition de la diaspora d'autres pays, est à l'origine d'une grande partie des flux de transferts financiers qui n'ont cessé de croître depuis deux décennies". On connait surtout, et ceci depuis des décennies, l'importance des transferts de la diaspora à partir des fonds envoyés à des amis ou des membres dans la famille, mais, dans son article, Péan explique comment ces transferts ont aussi aidé dans d'autres domaines de la vie nationale. "Les transferts financiers de la diaspora fournissent les devises qui servent à améliorer la balance des paiements en redressant le déficit des comptes courants. Ils sont majoritairement utilisés pour la consommation, mais servent aussi à acheter les biens intermédiaires et certains outils nécessaires à la production. Les transferts jouent un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et contribuent à améliorer le capital humain à travers le paiement des dépenses d'éducation et de santé. 31% des familles haïtiennes reçoivent des transferts financiers de la diaspora. Les transferts sont également vitaux dans la création et le maintien des petites et moyennes entreprises (PME) aussi bien dans le secteur formel que dans le secteur informel. Il s'agit de mettre des structures en place afin de voir comment ces transferts financiers des émigrés haïtiens peuvent être utilisés pour participer au financement d'investissements productifs. »

Donc, il est important dans le cadre du processus de développement et de création d'emplois durables dans le pays que les autorités haïtiennes et ses alliés de la communauté internationale puissent en profiter de cette force financière, de mains d’oeuvres qualifiées aussi bien bien de la compétence et de l’expérience dans divers domaines qu'offrent la communauté haïtienne en diaspora

 

 

Prof. Esau Jean-Baptiste

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