La guerre russo-ukrainienne : ses enjeux

En déclenchant la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine a contesté la supériorité du bloc occidental en matière militaire et réaffirmé la puissance de la Russie dans le monde. Ce casus belli sonne le glas de la vision unipolaire qui a dominé la fin XXe siècle et la première décennie du XXIe siècle dans les Relations internationales c’est-à-dire de la chute du mur de Berlin(1989) à la crise syrienne(2011). Le Livre blanc de 2013 (de la France) prenait acte du « retour des puissances » dans les relations internationales et de l’avènement d’un monde multipolaire. Les travaux réalisés par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale française confirment  que la redistribution de la puissance économique et militaire se poursuivra dans les prochaines années, suscitant des tensions et de l’instabilité montrent  clairement que monde n’est plus unipolaire dominé par le bloc occidental(1).

Si l’Allemagne avait pris l’initiative de la Seconde guerre mondiale en 1939 basculant l’Europe dans un conflit majeur, en 2022, c’est la Russie qui, 83 ans après l’invasion de la Pologne, a déclenché les hostilités sur le Vieux Continent. Poutine, l’homme le plus puissant de la planète, a donné l’ordre à l’armée russe d’envahir l’Ukraine le 24 février dernier, un État voisin avec lequel il entretient des rapports conflictuels depuis la demande d’adhésion de Kiev à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en 2008. Ce conflit armé met fin à la paix européenne depuis 1945 si l’on fait omission des conflits ayant conduit à l’éclatement de la Yougoslavie. Quels sont les enjeux de cette guerre ? Que veut Vladimir Poutine ? Qu’espère-t-il gagner de cette opération militaire ?

La géostratégie ?

L’Ukraine est un État pivot convoité par le bloc euro-atlantique depuis son indépendance en 1991 vis-à-vis de l’empire soviétique. L’importance de cet État se situe dans son rôle de lien entre la Russie et le reste du continent européen. Or, selon les théories qui dictent la politique extérieure américaine, il faut à tout prix empêcher la création d’un grand ensemble européen incluant la Russie et l’Europe (2).

Il est alors évident que le projet d’adhésion de Kiev à l’Alliance atlantique constitue une menace pour la sécurité de la Russie qui sera en partie encerclée par les puissances occidentales à l’Ouest avec l’intégration de la Pologne et de la Roumanie à l’OTAN. Les deux pays en conflit partagent une frontière relativement longue qui s’étend sur 1 581 km. En cas d’une situation de conflictualité avec le bloc occidental, il sera difficile à Moscou de garantir la sécurité de son territoire sur une distance aussi longue d’autant que les États baltes (l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie) rejoignent le camp euro-atlantique depuis 1999. C’est pourquoi la Russie s’oppose fermement à tout élargissement des Occidentaux vers l'Est. En enlevant l’Ukraine à la sphère d’influence russe, les États-Unis préservent donc leur « souveraineté effective dans les cinq espaces connus (mer, terre, air, espace extra-atmosphérique et cyber espace). Dans l’exercice de cette souveraineté, ils fixent les standards et les règles des autres juridictions pour les contrôler ou les dominer. Les États-Unis représentent ainsi une véritable puissance « off limits », soucieuse de gérer le monde selon ses intérêts prédominants, voire exclusifs. » (3)

Déjà, en février 2008, Poutine a lancé une mise en garde. Il a menacé de pointer ses missiles sur l'Ukraine si son voisin rejoignait l'Organisation atlantique et acceptait le déploiement sur son territoire d'un bouclier antimissile américain. La même année, l’homme fort du Kremlin a réaffirmé sa position face à Kiev lors d'un sommet OTAN-Russie soulignant avec force si l'Ukraine rejoint l'OTAN, Moscou pourrait envisager l'annexion de sa partie orientale et de la Crimée.

Quatre ans plus tard, il passe à l’action. La Crimée est annexée en 2014 malgré les protestations des puissances occidentales en particulier les États-Unis et la France. Et le 24 février dernier, devant l’inconsistance du bloc occidental, l’ancien directeur du KGB (service de renseignement de l’URSS) a ordonné l’invasion de l’Ukraine qui est laissée seule face à un adversaire puissant qui menace de l’absorber sous les regards nonchalants des puissances alliées.

Un des dangers à la suprématie américaine soutient Zbigniew Brzezinski dans le Grand échiquier (1997) est la reconstitution de l’empire soviétique. La priorité des États-Unis est « de gérer l’émergence de nouvelles puissances mondiales, de façon à ce qu’elles ne mettent pas en péril la suprématie américaine(4)».Face à l’irrésistible ascension politique, militaire et diplomatique de la Russie sur la scène internationale depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en 1999 à la mort de Boris Yeltsin (1991-1999), le leader du bloc occidental se montre impuissant sinon présente des signes de faiblesse.

Contrairement à son prédécesseur, Poutine renforce sa corporation en Asie centrale. Il s’agit d’une zone pivot au cœur du gigantesque continent eurasiatique, fondamentale pour la perception de la Russie comme une grande puissance globale. Pour reprendre la formule de Mackider, celui qui domine l’Asie centrale contrôle le cœur du continent eurasiatique. C’est en ce sens que fut fondée, en 2002,  l’Organisation du traité de sécurité collective et en  2014, l’Union économique eurasiatique à l’initiative de la Russie. Ces structures regroupent des anciennes Républiques de l’URSS tels que la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan.

 

La reconstitution de l’URSS ?

 

La poussée de Moscou vers l’Ukraine demeure la preuve la plus palpable de vouloir reconstituer l’URSS émiettée en 1991 laissant Poutine nostalgique. Cet État pivot est un symbole très fort .Il est le berceau de la Russie. Le locataire du Kremlin est trop sensible à l’histoire soviétique pour laisser l’Ukraine basculer dans le camp des Occidentaux.  Jean-Sylvestre Mongrenier,  chercheur en géopolitique, abonde dans le même sens et soutient que : « le conflit en Ukraine symbolise désormais « la volonté (de Poutine) de reprendre le contrôle de l’ex-URSS ».Si cette volonté n’a jamais été réellement exprimée depuis la fin de l’empire soviétique, elle apparait lorsque les intérêts stratégiques de la Russie sont en jeu.

L’enjeu sécuritaire n’est pas le seul problème entre les deux États voisins. Il y en a d’autres. En géopolitique, les États se battent trois raisons fondamentales : l’espace, l’idéologie, les ressources. Lpossession et le contrôle des ressources naturelles, ainsi que leur accès, constituent toujours un des attributs de la puissance ; par conséquent, tous les empires, tous les États dominants ont cherché, cherchent ou chercheront à s’en assurer, tandis que leurs ennemis ont tenté, tentent ou tenteront de les en priver. Quant aux plus faibles, ils tentèrent, tentent et tenteront d’échapper aux convoitises et d’accéder au minimum nécessaire à leur survie et au fonctionnement de leurs activités(5) 

La géoéconomie ?

L’Ukraine est une puissance agricole incontestable. Elle possède  une immense superficie de terres arables. Il s’agit de  la première en Europe si l’on ne prend pas en considération la Russie. Grâce à ses terres noires, très fertiles, l’Ukraine est puissance pour sa production de blé et l’ensemble de sa production céréalière (blé, maïs, orge, etc.). Elle se classe dans les dix premières mondiales et sa production n’a cessé de croître au cours des trente dernières années.(6)

Le pays se trouve également dans le tableau d’honneur pour les oléagineux (tournesol, colza, soja, etc.) et s’est tourné très nettement vers l’international. L’Ukraine est ainsi devenue le premier fournisseur de maïs de la Chine. La valeur cumulée de ses principales exportations de céréales et oléagineux atteint 16 milliards de dollars et dépasse celle des exportations russes (10 milliards de dollars) en 2019

La Russie pourrait aussi en faire un instrument de géopolitique, en particulier dans les pays du Moyen-Orient et en Afrique du Nord, principaux débouchés des exportations russes et ukrainiennes.

La remise en question de l’ordre mondial ?

Même si les États-Unis restent assez timides face à la guerre en Ukraine, il ne faut pas minimiser l’ampleur que pourrait prendre de ce conflit. Elle peut mettre en péril l’équilibre mondial sinon déboucher sur un conflit majeur  qui embraserait toute l’Europe. Il suffit d’un quelconque scénario concocté  par l’un des acteurs pour entrainer d’autres pays dans le conflit. En 1939, les Nazis se servent d’un prétexte pour envahir la Pologne déclenchant la Seconde Guerre mondiale. L’incident était banal, mais gros de conséquences. Le sabotage d’un émetteur de radio en Allemagne entraine plus de 60 millions de morts et des dégâts matériels considérables.

Les puissances occidentales augmentent leurs effectifs militaires dans les pays voisins membres de l’OTAN comme la Pologne, la Roumanie, acheminent des armes et des munitions en Ukraine et envoient des mercenaires étrangers lutter à côté de Volodímir Zelenski. Cette guerre pourrait entrainer des conséquences fâcheuses.  

D’ailleurs, un embryon d’alliance se forme autour Moscou. Des États (Venezuela, Corée du Nord, Syrie, Iran, etc.) contestant la démocratie occidentale et la suprématie américaine dans le monde se rangent derrière Poutine et Washington met son poids dans la balance pour attirer leur sympathie afin d’isoler la Russie sur le plan international. Dans cette perspective, une délégation américaine s’est rendue au Venezuela le 5 mars dernier pour tenter de rallier ce géant pétrolier dans le camp des Occidentaux. Selon le New York Times, la visite de cette délégation à Caracas s’inscrit dans le cadre de la guerre d’usure de Washington qui cherche à remplacer une partie du pétrole qu'il achète à la Russie par le pétrole vénézuélien. Il s’agit d’une tentative d’éloigner Maduro de Poutine et de renforcer le bloc euro-atlantique.

En général, la République étoilée ne s’engage pas dans les conflits européens au début. Elle attend que les acteurs soient épuisés avant de se positionner. Ce profil bas gardé par Washington dans cette guerre est-il une stratégie ou un signe de déclin ?

 

 Bleck D Desroses/christopher bleckedward@gmail.com

 

 

 

Références bibliographiques

1. Le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale, 2013

2) Pascal De Gendt, Les racines et enjeux du conflit ukrainien, 2014

3. Pascal De Gendt, ibid

4. Zbigniew Brzezinski, Le Grand échiquier, 1997

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