Présidentielles 2022 :

La France entre l’enclume et le marteau

Le 10 avril dernier, les Français ont été appelés à voter celui qui devra présider au destin de leur pays au cours des cinq prochaines années. Le premier tour est un remake de 2017 : une France partagée entre la droite ultralibérale et l’extrême-droite. Laquelle l’emportera dimanche 24 avril ? Un second tour qui tient ce pays en haleine.

Le favori de ce premier tour : Emmanuel Macron. Président sortant, il a remporté 27,8 % des suffrages sous la bannière de son parti « La République en marche ». La candidate du « Rassemblement national », Marine Le Pen, classée extrême-droite ou droite radicale, a obtenu 23,1 % des voix. Même cas de figure d’il y a 5 ans, compte tenu que Jean-Luc Mélenchon de « La France Insoumise », le troisième grand parti du pays avec ses 22 %, a été écarté à cause d’un point, ce qui correspond à moins d’un demi-million de bulletins. 

Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle en France confirment donc les mutations sociologiques intervenues ces dix dernières années dans l’électorat français. Les deux partis de gouvernement traditionnels sont sortis laminés : le Parti socialiste avec sa candidate et mairesse de Paris, madame Anne Hidalgo, a obtenu le plus mauvais score de toute l’histoire du parti socialiste, la candidate n’ayant atteint que 1,7% des électeurs. Le Parti socialiste a été littéralement détrôné par « La France insoumise » de Jean-Luc Mélenchon. La droite républicaine représentée par Valérie Pécresse n’a pas fait mieux : elle a récolté que 4,7 %. Ces deux candidates malheureuses ne pourront même pas continuer à être les cheffes de leurs partis, après des échecs aussi cuisants. Difficultés financières en perspective aussi car les frais de campagne de ces partis ne seront pas remboursés, car les candidates n’ayant pas atteint le seuil des 5 % exigé par les lois en vigueur.

Un gagnant de ce scrutin : l’extrême droite. Elle est en position de pouvoir gagner le deuxième tour de l’élection présidentielle, ses réserves électorales ayant progressé. Elle peut disposer des voix de son challenger fasciste Eric Zemmour qui a obtenu plus de 7 % de voix. Ce report de voix non négligeable lui fera arriver à 30 % de l’électorat, sans compter les fameux « votes révolutionnaires ». L’extrême droite française ne s’est jamais si bien portée électoralement. La France est en train de renouer avec les idées fascistes, comme dans les années trente.

Quant au parti d’Emmanuel Macron, il est en train de s’installer peu à peu dans le paysage politique français, remplaçant les formations traditionnelles de droite et de gauche. Il faut dire que le coup de génie politique de l’ancien ministre de l’économie du Président socialiste François Hollande, c’est d’avoir senti que les vieux partis de gouvernements traditionnels étaient à bout de souffle et qu’il fallait renouveler l’offre politique en France. Bien que Macron ne soit pas non plus tout neuf dans la vie politique française, il a réussi là où d’autres ont piteusement échouer, c’est-à-dire dynamiter les deux plus vieux partis de France, mettant ainsi fin au cycle des idéologies au pays de la Révolution française. Ceci constitue un tournant politique majeur dont on ne mesure pas encore les conséquences sur un électorat, de plus en plus déboussolé. Ce qui ne va pas sans risque, car il est difficile d’identifier « La République en marche ». On ne sait pas si ce parti est de droite ou de gauche. C’est la question que se posent les Français, habitués à réfléchir le social et l’économie à partir de ce schéma politique. Pour l’instant, ce parti paraît être une synthèse des grands caciques régionaux de droite et de gauche, qui en ont eu assez de leur parti respectif et qui l’ont fondé. Actuellement majoritaire dans toutes les instances du pouvoir - au Sénat, à la chambre des députés et dans les régions -, on estime qu’Emmanuel Macron pourrait être reconduit. Mais à bien considérer, les deux candidats sont presque à égalité. Tout peut arriver au second tour, même si le président Macron est presque d’assurer de rentrer dans les clubs très fermés des présidents réélus.

 

La gauche affaiblie

Les partis ont donné des consignes de vote. La gauche a appelé à voter Macron pour faire barrage à l’extrême droite. Au soir du premier tour, Jean-Luc Mélenchon a, dans une communication éloquente d’ambiguïté, martelé quatre fois « pas une voix pour madame Le Pen », sans toutefois citer le nom d’Emmanuel Macron. Les malchanceux de la droite modérée ont fait de même. Mais les représentants des partis d’extrême-droite ont, comme on devait s’y attendre, enjoint leurs partisans de voter Le Pen. Zemmour a déclaré qu’il ne saurait « se tromper d’adversaire » avant d’appeler ses fidèles à soutenir la candidate du « Rassemblement national ».

Mathématiquement Macron n’aurait pas besoin de transfuges pour se faire réélire si la gauche était forte. Les partis de gauche ne réunissent même pas 5% de voix. Entre le Parti communiste de Fabien Roussel (2,3%), le « Nouveau Parti anticapitaliste » de Philippe Poutou (0,8%), « Lutte ouvrière » de Nathalie Arthaud (0,6 %), les réserves des voix à gauche sont plutôt dérisoires. Pour ce qui est du Parti socialiste, vidé de son contenu sociologique, on peut dire qu’il est en train de mourir électoralement.

Cette catastrophe socio-politique de la gauche française est à mettre au compte des désunions, de ruptures et des caprices politiques de ce parti. Déjà au XXe siècle, la « Section française de l'Internationale ouvrière » (SFIO), la question de l’adhésion à la IIIe Internationale ouvrière avait provoqué un grand conflit entre le parti communiste hégémonique et les socialistes de Jean Jaurès, apôtre charismatique de l’aile ouvrière, dont la voix et le souffle socialiste au palais Bourbon faisaient l’admiration des ouvriers de Carmaux (1). Ce parti qui s’essouffle aujourd’hui a connu son apogée en 1969, lors du congrès d’Issy-les-Moulineaux au cours duquel il avait changé de nom pour devenir le parti socialiste. À l’époque, François Mitterrand, jeune frais et émoulu avait réussi l’exploit d’être le candidat de la gauche unie contre De Gaulle en 1965.

Quoique le dernier héros français ait été élu au second tour face à François Mitterrand, ce dernier est devenu incontournable à gauche. Le congrès d’Épinay  appelé congrès d’unification des socialistes ayant eu lieu du 11 au 13 juin 1971 lui a permis d’en devenir premier secrétaire et d’en prendre le contrôle. Mais sa marche triomphale vers l’Élysée aura lieu en 1981. Conformément aux dispositions de ce congrès, l’union de la gauche était une priorité et François Mitterrand s’y était plié en signant un accord sur un programme commun avec les communistes.

L’histoire démontre que la gauche peut gagner les élections à condition qu’elle s’unisse. Le leader de « La France Insoumise », Jean-Luc Mélenchon, était parvenu, comme Mitterrand jadis, à rallier les communistes en 2017, mais pas en 2022.  Si ce courant ne s’était pas autant affaibli et si Mélenchon avait été en mesure de rassembler les différentes formations de ce mouvement, notamment l’aile gauche du Parti socialiste, les partisans de Benoît Hamon, il aurait pu aisément accéder au second tour.

En sciences politiques, un phénomène est considéré comme durable lorsqu’il se répète au moins trois fois. Ce phénomène auquel on assiste présentement – la montée de l’extrême droite - a commencé sociologiquement depuis une trentaine d’années en France. Désormais le compte à rebours a commencé. L’extrême droite risque d’accéder au pouvoir dans l’Hexagone et d’y rester au moins dans les vingt prochaines années. Dans les années 1960, l’extrême droite française était réduite à quelques fascistes isolés qui se donnaient dans l’hitlérisme. « Le poujadisme » du nom de Pierre Poujade, avait essayé de regrouper les petits commerçants, mais ce mouvement politique et syndical français d'extrême droite  s’est délité de lui-même et sans la moindre casse politique. Désormais, l’extrême-droite a le vent en poupe et s’affirme de plus en plus. Que ce soit Marine Le Pen qui essaie de se « dédiaboliser » ou le leader de « Reconquêtes » dont les outrances verbales constituent sa marque de fabrique, ils ont un point commun : les problèmes de la France viennent des étrangers qui y vivent. Leurs cibles préférées sont les musulmans. Ils veulent rendre la vie des migrants si difficiles ainsi que les musulmans qu’ils seront obligés de quitter le pays. 

Maguet Delva

 

Note de la rédaction

(1) La SFIO s’est divisée en deux, les majoritaires crée un nouveau parti : la « Section française de l’Internationale communiste » que l'on appellera plus tard le Parti communiste, puis PCF.

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