Pour une politique du patrimoine en Haïti

Depuis plusieurs années, des chercheurs abordent le tourisme comme un facteur de valorisation des cultures locales à tel point que les pays qui agrègent à une vision touristique définissent une stratégie de développement dans une vision globale intégrant patrimoine, culture et tourisme. Considérant le regain d’intérêt pour le développement du tourisme haïtien depuis le début de ce XXIe siècle, notre regard se porte alors sur les politiques ou initiatives du patrimoine de l’État haïtien tout au long du siècle précédent. Quelles sont les politiques ou initiatives prises par celui-ci pour doter le pays des politiques patrimoniales ? Et quels en sont leurs axes d’orientation ? Cet article montre qu’en dépit de mobilisation d’organismes patrimoniaux, de corpus juridiques et de discours, Haïti ne se dote pas d’une politique patrimoniale clairement définie.

 

Politique du patrimoine et patrimoine

Depuis la période du Moyen-âge, les autorités des royaumes s’intéressent à la politique du patrimoine. Elles ont manifesté leur volonté de sauvegarder des collections, des reliques, des œuvres artistiques, des ouvrages et des pièces. Pour Serge Lechtimy (2009) [1], elle s’articule autour d’une conception et d’une interprétation de l’histoire d’un peuple et d’un pays.

En ce sens, elle reflète notre politique identitaire et doit questionner, par conséquent, le sens du projet de notre société, notre communauté.

L’auteur note que cette politique doit être en résonnance avec une politique de développement harmonieux des sociétés, développement économique en termes d’emplois et d’activités par les liens qu’il entretient avec l’industrie touristique et le développement du territoire, cohésion sociale et de renforcement des liens à l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’un pays et valorisation identitaire.

Ce faisant, Marc Guillaume (2010) [3] croit que ces politiques qui sont des stratégies de l’État ne seront pas applicables sans la mobilisation des institutions, des lois et des décrets, des discours construits ou pas, des savoirs et des pratiques. Dans le cas du Québec par exemple, De La Durantaye (2010: 33) [4] souligne que les politiques patrimoniales et culturelles de cette ville sont le fruit d’une démarche consultative avec les populations et s’inscrivent le plus souvent dans les axes du Québec mis en place en 1992. Cette ville a pris en charge ses peuples fondateurs ;

des Amérindiens, des francophones et Britanniques, ainsi que d’autres communautés qui viennent s’installer récemment.

Le patrimoine est, d’abord et avant tout, une construction socioculturelle.

Il est généralement défini comme un ensemble d’héritages matériels ou immatériels reconnus par les sociétés, afin d’être transmis aux générations futures (Veschambres 2004 : 362) [3].

À ce sujet, la notion du patrimoine est passée du monument, monument historique au patrimoine du XXe siècle en intégrant le Patrimoine culturel immatériel (PCI). Selon Laurier Turgeon (2010) [4], l’intégration du PCI en 2003 participe largement à la définition des nouvelles politiques patrimoniales. Quelle est la situation de notre pays ?

 

Le cadre juridique du patrimoine haïtien

Les premières lois relatives au patrimoine haïtien sont datées du 27 juillet 1927 sous la présidence de Louis Borno. Elles visent à réglementer le domaine public plus particulièrement, les biens meubles qui méritent d’être sauvegardés et protégés comme monuments historiques. Puis, la loi du 23 avril 1940 de Sténio Vincent. L’article 1er de cette loi complémente l’article 2 de la loi de Borno en ces termes : « Sont également classés comme tels, les immeubles situés en Haïti qui appartiennent ou appartiendront, soit à l’État, soit aux communes, ou qui constituent ou constitueront des monuments préhistoriques, archéologiques, les terrains qui renferment des stations ou gisements préhistoriques, des sources thermales, ceux qui constituent ou constitueront des sites ou monuments naturels à caractère artistique, des immeubles dont le classement est ou sera réclamé pour isoler, dégager ou assainir ceux qui, aux termes du présent article, demeurent et demeureront classés ». Ces lois seront renforcées par le décret-loi du 31 octobre 1941 d’Élie Lescot. Selon l’article 3, « les pièces fabriquées par les populations précolombiennes de la République ayant une importance scientifique ou archéologique sont considérées comme des objets archéologiques ».

Sur ce, les autorités ont une conception plus élargie du patrimoine. Toutefois, il a fallu attendre l’article 215 de la Constitution du 29 mars 1987 pour que cette question soit plus présente dans la législation haïtienne. Il concerne les ruines, les architectures, les centres réputés de nos croyances africaines. Cet article intègre les richesses culturelles populaires.

Ce qu’on appelle les patrimoines populaires ou vernaculaires dans le patrimoine national haïtien.

En ce qui a trait aux Conventions de l’UNESCO, le pays a ratifié celle de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, naturel et culturel, le 18 janvier 1980. Ensuite, il a ratifié la Convention sur la préservation du PCI de 2003, le 19 septembre 2009. En effet, étant un État signataire, ces prescrits font partie de sa législation. En dépit de leur compatibilité, ces lois et décrets-lois ne furent pas appliqués et restent enfermés dans les tiroirs.

Restauration, conservation et valorisation : Le socle de l’intervention des organismes du patrimoine.

De nombreux organismes étatiques ont été créés dans le but de mener la politique patrimoniale haïtienne.

Le Bureau National d’Ethnologie (BNE), 31 octobre 1941 ; l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN), 29 mars 1979 ; le Musée du Panthéon National Haïtien (MUPANAH), 20 octobre 1982 ; les Archives Nationales d’Haïti (ANH), 22 octobre 1984 ; la Commission Nationale du Patrimoine, 10 mai 1989 ; la Direction du Patrimoine, 1996 et la Secrétairerie d’État au Patrimoine, 2011. À travers ces organismes, l’État central croit qu’il est de son devoir de veiller à la sauvegarde, la gestion et la valorisation du patrimoine national.

Ainsi, le projet de la Route de l’esclave élaboré par l’UNESCO vise à mettre en valeur les monuments historiques ayant un trait esclavagiste. Le projet de la Route 2004 (préservation et mise en valeur des ressources historiques, culturelles et naturelles), rédigé en 1995, consiste à restaurer et à valoriser les monuments historiques. Ces travaux s’effectuent particulièrement au PNH-CSSR, au PNH-FJA et au PNH-Marchand Dessalines. Ils ont permis de sauver ces richesses qui étaient complètement oblitérées. À noter que, par ce projet, plus d’une trentaine de monuments ont été patrimonialisés.

Nous en déduisons que ceci constitue en réalité les bases d’une politique du patrimoine en Haïti. Mais, les soubresauts politiques à répétition, le laxisme de l’État, le manque de stratégies, de vision et de leadership des organismes et le manque des ressources humaines ont tous favorisé l’absence d’une vraie politique patrimoniale clairement définie jusqu’à date malgré la ratification des Conventions de l’UNESCO. De plus, les dirigeants ont une conception démodée du patrimoine qui reste figé sur le bâti.

Au regard des obligations des pays signataires, dans « Les actes des assises du Ministère de la Culture et de la Communication en 2011 », des acteurs souhaitent que l’État actualise son corpus juridique puisqu’il est démodé et qu’il ne reflète pas la réalité actuelle de nos ressources culturelles, naturelles, historiques et folkloriques.

 

Qu’en est-il de notre PCI ?

Cette absence résulte aussi d’une dissonance entre les discours et les faits des autorités. Depuis les années 1972, l’État fait du patrimoine son leitmotiv.

On attend encore les actions de cette motivation. Dans sa déclaration de politique générale en 2006, le PM Jacques Édouard Alexis a déclaré que le gouvernement travaillera de concert avec les institutions locales à la sauvegarde et à la réhabilitation du patrimoine national, à l’établissement de plans de gestion et d’exploitation, ainsi qu’à l’élaboration de mesures pour la promotion de ce patrimoine.

Pourtant, les pouvoirs restent concentrés aux mains de l’État central ou de ses organismes déconcentrés. En conséquence, nos patrimoines sont en proie de destruction puisqu’il n’y a pas de politique de protection et d’éducation au patrimoine.

 

Législation et organisation patrimoniales : la dynamique d’une politique du patrimoine

La dynamique des acteurs montre que certaines communautés des collectivités territoriales veulent se différencier des autres en appropriant des spécificités culturelles qui leur sont propres. Dans ces conditions, l’État devrait actualiser son corpus juridique en intégrant non seulement tous les legs des périodes de l’histoire d’Haïti, mais aussi en déléguant ses pouvoirs aux communautés. Ensuite, il pourrait établir un partenariat public-privé. Celui-ci pourrait déboucher sur la création d’une haute Commission nationale du Patrimoine composé de représentants de tous les ministères, de détenteurs du savoir, d’experts et de professionnels. Elle aurait pour mission de définir entre autres, les axes stratégiques des politiques du patrimoine du pays, de rédiger des textes sur l’éducation du patrimoine dans une vision d’ensemble et de proposer des lois au parlement sur cette thématique.

Les récentes études touristiques révèlent que les touristes sont à la recherche de la culture [patrimoine] de l’autre, considérant le regain d’intérêt pour le tourisme de ce pays, la mise en tourisme de notre patrimoine ne serait-il pas une plus-value pour les communautés ? Les problématiques du patrimoine, de la culture et du tourisme ne devraient-elles pas être abordées par les nouveaux gouvernements dans une vision d’ensemble ?

Orlando Henry

Licence en Patrimoine et Tourisme

Master 2 Management du Tourisme et des loisirs

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