Jardin garde-manger, la perche à saisir

Haïti, entre fragilité et dépendance

Depuis une quarantaine d’années environ, Haïti globalement et en particulier son agriculture et son environnement ont amorcé une descente vertigineuse aux enfers qui, exacerbée par la crise politique et le changement climatique, fragilise tout. De pays autosuffisant sur le plan alimentaire et exportateur de denrées agricoles, avec une monnaie forte jusqu’au début des années 80, il est passé progressivement à une dépendance alimentaire de plus de 52 % et d’insécurité alimentaire aiguë frappant 4.6 millions de personnes, représentant ainsi 46 % de la population (Prévisions d’IPC, septembre 2021 et juin 2022).

Environ 85% des bassins versants du pays sont dégradés (MARNDR, 2011) et subissent des pratiques culturales agressives qui accélèrent l’érosion de leur sol, causant chaque année une perte d’environ 36,000 tonnes de terres arables (BÉLIARD et NORRIS, 1999 ; MDE, 2001). Les écosystèmes naturels des mangroves rouges (Rhizophora mangle) et noires (Avicennia germinans, syn A. nitida), le long des grands estuaires, sont attaqués. La destruction est estimée à un taux global annuel moyen entre 1% et 2%, avec des pertes comprises entre 35% et 86% de la surface initiale selon les lieux (Haïti Libre, 2014). Nos villes empiètent dangereusement sur les espaces agricoles des collines et des plaines voisines, polluant et diminuant les eaux souterraines. L’exode rural massif les transforme en bidonvilles et en poubelle où gisent en plein air saleté et déchets plastiques qui terminent leur course lors des averses sur les plages et dans les fonds marins, impactant négativement l’écosystème corallien.

Cette dégradation environnementale affecte sévèrement notre vie : nos biens, nos infrastructures, notre production, notre santé, nos relations, notre imaginaire social, voire nos croyances ou plus globalement notre système de valeurs, l’image d’Haïti et sa biodiversité, etc. Couplée avec la mauvaise gouvernance du pays et des facteurs internationaux et naturels, elle devient un obstacle au progrès et un défi à la croissance, en déstabilisant les facteurs qui l’engendrent. Quelqu’un a résumé ainsi la situation : « Dieu a créé un paradis en Haïti, mais à travers le temps les hommes en ont fait un cauchemar ».

 

Besoin de réponses innovantes

Face à ces grands enjeux sociétaux stratégiques, la réponse doit être de taille, avant tout systémique et holistique, mais par-dessus tout innovante, tout en engageant la responsabilité éco-citoyenne. C’est dans ce cadre que le Centre Banyen Jardin Labo situe la technologie du jardin garde-manger et l’inscrit comme sa modeste contribution.

 

Que propose cette nouvelle technologie ?

L’entrepreneur en jardin garde-manger est celui qui donne un sens à la terre, qui crée de la valeur ajoutée, qui écrit une autre page de l’agriculture en Haïti avec pour focus l’espérance en un monde meilleur. Petit espace, mais gros rendement qui, par effet d’échelle, créera de l’abondance et de la richesse pour tous. Par exemple, si 25 % de la population haïtienne en ville comme à la campagne (soit 3 millions de personnes) pratiquent le jardin garde-manger (par exemple, sur 129 m2 ou 1/100 de carreau de terre, dans la cour, sur la toiture de la maison, dans des bacs de production ou dans un coin du champ) et génèrent chacun, en 2 récoltes, un revenu moyen de US$ 200.00/an, le pays pourra éviter une fuite de devises ou épargner au moins 600 millions de dollars américains. Cet exemple est supporté par les résultats de certaines expérimentations, comme celles réalisées dans un bac de 2.7 m2 ou dans un espace de 227 m2, rapportant respectivement US$ 3.00 et US$ 2.40 au m2.

Par extrapolation sur des espaces plus importants, le gain sera énorme pour le pays et se traduira entre autres par l’augmentation du PIB/habitant, l’amélioration du pouvoir d’achat de la population et de sa qualité de vie. Comme autre impact indirect, ce montant circulera dans l’économie nationale et contribuera autant à réduire la pression sur la gourde et sur l’environnement, qu’à diminuer les risques de maladies dues à une mauvaise alimentation, sans compter d’autres avantages au niveau social (en termes de passe-temps, de conversation, bien-être), au niveau pédagogique (apprentissage), écologique (biodiversité domestique, libération d’espaces pour la jachère ou la régénération naturelle) et agritouristique (visite), qu’un jardin garde-manger offre.

 

Conclusion

Le jardin garde-manger est l’un des véhicules sûrs à prendre sur l’autoroute de l’avenir. C’est une autre école capable de contribuer autant à une transition écologique, agricole et alimentaire, qu’au développement économique et au bien-être social des familles. Il faut s’y mettre maintenant pour créer dans le pays un mouvement social d’un autre genre. C’est le moment de croire dans les petites choses, tout en créant un écosystème d’appui porteur de changement durable, avec pour ancrage : « Confiance, patience et persévérance ».

Pour cela, le Centre Banyen Jardin Labo lance un appel tant à l’État haïtien (notamment à travers ces 2 instruments : BNDA et BRH/Circulaire 113), qu’aux institutions financières, aux entreprises, aux institutions d’appui et aux Haïtiens vivant à l’étranger, pour financer le jardin garde-manger pour les familles, notamment les aspects critiques suivants : l’eau, l’outillage, les semences et main-d’œuvre qui est aujourd’hui très coûteuse, le tout estimé à 90 % du coût de départ. Sachez que pour un jardin garde-manger de l’abondance (JGMA) de 10 à 12 centièmes de carreau de terre (de 1290 à 1548 m2), il faut un investissement de US$ 7,000.00, que l’entrepreneur qui respecte l’itinéraire technique « 35-25-40 » sera en mesure de rembourser sur 3 ans, avec une marge bénéficiaire qui évoluera de 5 % à 60 % l’an, qui le rendra tout à fait autonome à la fin de la 3e année, et donc capable de voler de ses propres ailes.

 

 

Abner SEPTEMBRE

Sociologue, Entrepreneur et Chercheur en Sociogronomie. Vallue, mai 2022

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