Drapeau et Constitution, armures de la nation

À la veille de la commémoration de la création du drapeau national, le peuple haïtien souhaiterait remonter à la source du sang versé par les Héros de l’Indépendance pour y puiser un peu de cette fierté jadis légendaire qui lui a servi de rempart pendant plus de deux siècles. Aujourd’hui, on concède que certains osent poser la question de savoir s’il existe en son sein des élites sociales ?

En ce troisième millénaire, la Constitution de 1987 est devenue, après le bicolore, le deuxième symbole de l’âme haïtienne. Toutefois, la société post-1986 n’a fait que s’engouffrer davantage dans une suite d’évènements chaotiques dont les enchevêtrements ont creusé des labyrinthes d’où elle n’arrive pas à sortir.

Toutes les composantes de la vie nationale se sont désarticulées : Sécurité physique, stabilité politique, développement économique, identité culturelle, cohésion sociale, fierté de peuple. Il aurait fallu que les patriotes s’indignent de l’étiquette d’état failli et prennent le pays en mains.

Par suite de la décadence généralisée du civisme – insouciance, inaction, incapacité, cupidité et passivité des uns et des autres, Haïti est sans équivoque devenue ingouvernable : gabegie, impunité, corruption, précarité, insécurité, psychose – un espace géographique, dont le climat, est à l’antipode de la paix sociale. Qui peut rétablir l’ordre des choses et de quel ordre s’agirait-il ?

La question du relèvement national parait énigmatique pour les dirigeants actuels. La détérioration sociopolitique est si grave qu’une vision bornée trouverait que le passé n’était pas « si mal » que cela, déduction fallacieuse portant certains à évoquer la nécessité d’une dictature qu’ils qualifient « d’éclairée ».

On en est arrivé au point où certains analystes préconisent la guerre civile comme seul débouché de l’impasse de terreur dans laquelle l’invasion accélérée des gangs de bandits armés enferme les populations des quartiers et zones périphériques de la capitale tout particulièrement. S’il est vrai qu’en absence d’une base idéologique, les affrontements militarisés sont difficilement prévisibles, la défense demeure un droit sacré.

Toute population menacée est appelée à se soulever quand les structures étatiques ne lui fournissent aucune protection et qu’il ne lui reste plus d’échappatoire. Là réside la justification primaire de l’organisation politique de toute société qui tient à assurer sa survie, son développement, son épanouissement et par laquelle, au fil des temps, la constitution est devenue le socle démocratique du monde politique moderne.

Aussi, nombreux sont les esprits pacifistes qui proposeraient de tout entreprendre en vue d’éviter le chaos fratricide, à commencer par le rétablissement inévitable de l’ordre constitutionnel en Haïti.

Actuellement, l’un des derniers recours de la population consisterait en un ralliement général, tous secteurs confondus, autour de la constitution datée du 10 mars 1987 et adoptée par le peuple haïtien le 29 mars 1987. Sous son étendard, une masse critique réelle, représentative et visible, pourrait se former en vue de contribuer au renforcement nécessaire du secteur démocratique qui se positionne en face du gouvernement en place.

Si l’on veut parler de démocratie, il importe de se rappeler que l’ordre constitutionnel est de nature intransigeante. Tout gouvernement dépourvu de la boussole qu’est la constitution ne peut-être qu’une autocratie, qu’elle soit imposée par un individu, un groupe social ou un secteur politique. 

En Haïti, la constitution en vigueur n’a pas été officiellement mise en veilleuse. Cependant, force est de constater qu’elle n’est pas en application. Aussi, est-il permis de questionner la nature du pouvoir en place. Même la dictature des Duvalier avait dû se munir d’une référence constitutionnelle afin de prétendre à l’appellation de république.

Cependant, dans l’imbroglio institutionnel créé par les amendements portés à la Constitution de 1987, les dirigeants actuels auraient-ils intérêt à entériner formellement la caducité de la révision de 2011 en plaçant leur gouvernement sous l’égide d’une ancienne charte ou en ayant recours à une assemblée constituante ?

Nonobstant l’existence chimérique du Parlement d’où son incapacité à légiférer de telles dispositions relèvent formellement de sa compétence exclusive. Elles viendraient souligner le caractère arbitraire de tout pouvoir exécutif qui déciderait de s’y aventurer. Alors, tout faux-semblant de légitimité serait perdu et toute éventualité d’une solution consensuelle rendue fumeuse.

La représentativité populaire dont dépend la légitimité des autorités politiques exige la tenue d’élections crédibles, honnêtes et démocratiques. Toute crédibilité des urnes se fonde en partie sur le caractère des personnalités appelées à composer l’organe électoral. De même, elle fait appel aux assises constitutionnelles de ce dernier et de la loi électorale.

L’essence même de la procédure électorale se dégage de la légitimité des responsables politiques qui détiennent l’appareil de l’État. Elle suppose aussi que le pouvoir exécutif s’exerce dans le respect de la charte fondamentale. De telles conditions sont loin d’être réunies. Toutefois, le principe de base dans l’ordre démocratique exige que tout soit régi par les normes constitutionnelles, la tenue des élections en premier lieu.

Cependant, il est évident que les tenants des rênes de l’État haïtien ne pourront respecter le calendrier qu’ils avaient eux-mêmes fixé dans l’accord politique publié au Moniteur du 17 septembre 2021, en ce qui a trait à l’organisation d’élections générales en vue de « l’installation des élus légitimes au début de l’année 2023 (Section III /point 25) ».

D’ailleurs, incapable de lancer un dialogue politique crédible, ce gouvernement n’arrive non plus à résorber ni le cauchemar de l’insécurité physique ni le délabrement économique qui frappent durement la population et constituent des obstacles presqu’insurmontables pour la tenue d’élections générales à forte participation populaire. Qu’en sera-t-il donc au 7 février 2023 ?

Il est fort possible que l’on assiste à la prolongation sine die d’un pouvoir autoritaire, détenteur de fait de l’appareil étatique. On risque de voir éclater les verrous salutaires que posèrent les constituants de 1987 pour sauvegarder les quelques retombées positives de la démocratie naissante et perdurer le blocage mortifère du développement socioéconomique indispensable.

Ce serait alors l’instauration totale de l’arbitraire facilitant tous types d’abus de pouvoir. Dans une telle éventualité, la machine du temps n’aurait-elle pas fait marche arrière pour Haïti tandis qu’ailleurs les sociétés progressent continuellement ?

À l’évidence, on doit forcément envisager la concertation démocratique en vue d’engager un dialogue patriotique sérieux et efficace vers une transition politique définitive pour sortir le pays du marasme anti-démocratique qui n’a fait que s’intensifier. Les évènements des dernières années ont démontré que l’on ne saurait se vouer à une quelconque autocratie.

Il n’y a de lueur ni de clarté que dans la lumineuse quête démocratique amorcée en 1986. Si la force du pouvoir devait avoir gain de cause, on aurait gaspillé trente-cinq ans de résistance. En fait, il reste à mettre les pendules à l’heure en dénonçant les amendements de 2011 afin d’y renoncer formellement. Ne serait-ce pas la première étape dans toute démarche patriotique vers une vraie transition démocratique ?

Le premier point d’un consensus politique patriotique consisterait à écarter tout simplement la Loi constitutionnelle de 2011, étape préalable au retour formel à la Constitution de 1987 dans sa version originelle. De là, pourra-t-on avancer vers l’aménagement de tout accord politique visant à la mise en place des structures institutionnelles indispensables dont la première n’est autre que la restauration de la charte fondamentale.  

Une telle proposition pourrait-elle provenir des gouvernants eux-mêmes ? Si oui, elle consisterait une première preuve de bonne foi à laquelle on pourrait s’efforcer d’accorder un peu de crédit. Elle serait l’expression d’une certaine volonté gouvernementale de rechercher une sortie concertée de cette situation de blocage national qui détruit le pays, démoralise la population et affecte péniblement l’image des leaders des secteurs politiques, économiques et sociaux.

La Constitution de 1987 représente une planche de salut pour établir la démocratie en Haïti. Elle est la lanterne dont la clarté doit dissiper les ténèbres qui masquent l’accès du peuple haïtien à la dignité humaine. Elle demeure le bouclier de la nation et son rempart contre l’arbitraire dans la poursuite des combats séculaires pour la liberté et l’indépendance dont le drapeau national est le symbole.

Qu’en ce 18 mai 2022, la fête du drapeau national soit un vibrant rappel de l’identité du peuple haïtien, de l’amour de la patrie et du devoir citoyen !

Chantal Volcy Céant

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