L’inapplicabilité du nouveau Code pénal et du Code de Procédure pénale adoptés par décret le 24 juin 2020

CONTEXTE

1. La justice pénale repose sur le respect des règles de la vie collective, qui impose les pouvoirs publics à organiser l’ordre social autour d’une société sanctionnatrice au sens de l’État de droit. À cet égard, le principe de l’État de droit établit une hiérarchisation des normes au sommet de laquelle se trouve la Constitution qui consacre la répartition des pouvoirs en ses articles 59 à 61-1. Ainsi, l’exécutif est habilité à adopter des actes réglementaires, et l’adoption des textes législatifs relève exclusivement de la compétence du pouvoir législatif (Parlement), étant précisé que les dispositions issues du Code pénal et du code de procédure pénale sont de nature législative.

2. Le pouvoir exécutif a adopté par décret le nouveau Code pénal (NCP) et le code de procédure pénale (CPP) le 24 juin 2020 à la suite de la mise en place des successions de Commissions ministérielles et présidentielles pendant environ douze (12) ans. L’entrée en vigueur de ces codes est fixée pour le 24 juin 2022.

Alors que le NCP dispose de 1036 articles, le CPP en dispose 1365. Pour rappel, les deux textes ont été adoptés durant l’application de la Constitution en vigueur (1987), qui confère la compétence des textes répressifs au législateur (art. 24.1 Constitution).

3. Il importe dans ce contexte de réfléchir sur l’applicabilité de ces deux textes et faire des recommandations (propositions) aux pouvoirs publics, dont l’exécutif avant l’entrée en vigueur de ceux-ci. Pour cela, il semble important de démonter le risque d’impunité que peut entraîner l’application de ces textes (I), l’impossibilité de leur application pour défaut d’existence matérielle d’institutions et services judiciaires (II) et le manque d’uniformisation de la législation/politique criminelle (III).

 

I – Le risque d’impunité par l’application du Code pénal et du code de procédure pénale

4. Nous tenons à souligner que la Constitution de 1987 demeure à ce jour en vigueur. En ce sens, l’article 24.1 du texte suprême (Constitution) dans la hiérarchie des normes prévoit que « Nul ne peut être poursuivi, arrêté ni détenu qu’en vertu de la loi ». C’est dire que l’action répressive ne peut s’exercer que par l’application de la loi au sens de l’État de droit. Or, ce nouveau Code pénal prévoit l’application des peines par le juge pénal, et ce code de procédure pénale institue les mesures privatives de liberté avant procès (garde à vue, détention provisoire). Dans ce contexte, l’application de ces deux textes obstruerait les réponses pénales au stade de l’avant-procès pénal et dans la phase de jugement, en ce que les arrestations, les gardes à vue et les détentions se heurteront au principe de légalité procédurale (constitutionnelle) et seront attentatoires aux droits et libertés fondamentaux des personnes mises en cause dans les procédures pénales.

5. En conséquence, les magistrats judiciaires seraient contraints d’ordonner la mise en liberté des mis en cause, si les avocats soulevaient la non-conformité d’une disposition issue de l’un de ces textes à la Constitution. À ce titre, le juge pénal sera habilité à apprécier la conformité d’un texte réglementaire à la Constitution en dehors de l’existence d’une loi au sens de la théorie de la loi-écran. Cette contrariété constitutionnelle risque D’INSTITUTIONNALISER L’IMPUNITE dans la justice pénale haïtienne.

Au-delà de ce risque d’impunité, il apparaît que l’application de ces deux codes s’avère impossible en raison notamment de l’inexistence matérielle de diverses juridictions pénales et des services judiciaires (II).

 

II- L’inapplicabilité des codes pour l’existence matérielle et constitutionnelle des juridictions répressives et services judiciaires

 

6. Le code de procédure pénale insère dans la politique criminelle haïtienne d’autres juridictions répressives, acteurs judiciaires, mesures judiciaires et services judiciaires. Ainsi, le décret du code de procédure pénale crée le juge des libertés et de la détention, les juridictions de l’application des peines, les juridictions pour mineurs, la Chambre de l’instruction, le Fichier national automatisé des Empreintes génétiques (FNAEG), le Casier judiciaire, le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), le placement sous surveillance électronique dans le domaine de l’application peines.

Aussi, le texte change l’appellation des magistrats du ministère public, en ce que ces derniers passeraient de commissaire du Gouvernement au procureur de la République et procureur général selon le degré de la juridiction.

En vérité, le changement d’appellation opéré pour les magistrats du ministère parquet ne constitue pas une entrave à la bonne administration de la justice du fait que le texte maintienne le parquet comme la juridiction de poursuite.

7. Cependant, la création d’autres acteurs et juridictions judiciaires et services judiciaires doit être adoptée par un acte administratif réglementaire (AAR) à l’initiative de l’autorité du pouvoir exécutif ou un acte législatif quant aux textes répressifs sous l’égide du législateur et non des législateurs. Dans ce cadre, il est énoncé à l’article 111 de la Constitution en vigueur que « le Pouvoir législatif fait des lois sur tous les objets d’intérêt public », et à l’article 173-2 de ladite Constitution prévoit que « Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu’en vertu de la loi. Il ne peut être créé de tribunal extraordinaire sous quelque dénomination que ce soit ».

Or, le nouveau Code pénal prévoit, dans le cadre de l’application des peines, la procédure d’aménagement des peines dont le service judiciaire n’existe pas matériellement. Dans ce cadre, la mise en place de la procédure de placement sous bracelet électronique ne peut être effective au bénéfice des condamnés. Car les prisons ne sont pas équipées matériellement pour mettre en œuvre cette procédure en raison de l’impossibilité de lancement d’alerte systématique par les services judiciaires (commissariats et autres) à cause de l’absence récurrente d’électricité dans le pays, ainsi que le défaut de la mise en réseau entre les commissariats et les prisons.

8. Il est prévu dans le code de procédure pénale « la procédure intermédiaire » entre l’incarcération partielle (détention provisoire) de la personne mise en cause dans l’avant-procès pénal et le principe de la liberté, en ce que les rédacteurs dudit code consacrent le placement sous bracelet électronique mobile (PSEM) au bénéfice des individus.

Pourtant, l’autorité de contrôle et de surveillance de cette procédure, le juge des libertés et de la détention, n’existe pas matériellement et juridiquement.  D’autant que la mise en œuvre de cette procédure sera confrontée au problème de mise en réseau entre la Direction centrale de la Police judiciaire, les commissariats et institutions carcérales (maisons d’arrêt).

9. De même, le code de procédure pénale prévoit la mise en place du « Fichier national automatisé des Empreintes génétiques (FNAEG »). Au vrai, cet instrument de contrôle témoigne de l’intérêt que porte l’exécutif à la « Sécurité intérieure ».

À l’instar de la législation criminelle française, l’administration, le fonctionnement et la surveillance de cet instrument doivent relever de la compétence du Ministère de la Justice et de la Sécurité publique, qui en confère l’autorité de contrôle aux magistrats du ministère public (parquet). Or, à ce jour, notre système ne dispose pas de logistique nécessaire sur l’effectivité de ce fameux Fichier national automatisé des Empreintes génétiques (FNAEG).

10. Les rédacteurs consacrent la mise en place du système de « Casier judiciaire » dont la création n’est pas adoptée par un acte réglementaire du pouvoir exécutif.  

De même, le code de procédure pénale institue les juridictions de l’application des peines et les juridictions des mineurs dont la création se heurte à l’existence matérielle au sens des dispositions des articles 173 et 173-2 de la Constitution en vigueur.

11. Il est donc démontré que les juridictions, acteurs et services judiciaires consacrés par le nouveau Code pénal et le code de procédure pénale se heurtent au principe de l’existence matérielle, conformément aux articles 173 et 173-3 combinés.

Dès lors, l’applicabilité du nouveau Code pénal et du code de procédure pénale risquerait de désorganiser l’ordonnancement juridique haïtien et d’entraîner un désordre judiciaire dans la justice pénale haïtienne, qui se constatera par le manque d’uniformisation de la législation/politique criminelle haïtienne (III).

 

             III- Le défaut d’uniformisation de la législation criminelle

 

12. La politique criminelle se décline de la Constitution, en ce que les normes législatives et réglementaires doivent être en conformité avec les dispositions constitutionnelles dans la matière pénale au sens du respect de l’État de droit, qui place la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes.

13. Sauf erreur de notre part, les rédacteurs maintiennent la procédure de l’action répressive à l’encontre du président de la République, du Premier ministre et des ministres dans le cadre des faits infractionnels commis dans l’exercice de leurs fonctions. C’est dire que la poursuite pénale à l’encontre de ces autorités politiques relève de la Haute Cour de Justice. En tout état de cause, l’exercice de la répression pénale à l’égard de ces personnalités politiques renvoie à la Constitution en vigueur. 

14. Cette position paraît logique du fait que la Constitution soit visée dans la rédaction des deux textes. En revanche, il apparaît que lesdits textes (nouveau Code pénal et code de procédure pénale) sont ambigus, puisque des dispositions issues du nouveau Code pénal et du code de procédure pénale mettent à mal la Constitution dans les procédures pénales ordinaires, c’est-à-dire de droit commun, et maintiennent l’application de la Constitution dans le cadre de l’entrée en vigueur de ces deux codes. À ce titre, le nouveau Code pénal et le code de procédure pénale se révèlent INDIGESTES, et comportent ainsi des lacunes rédactionnelles importantes dont l’applicabilité constituerait un DÉSASTRE JUDICIAIRE dans la justice pénale haïtienne.

15. Partant, l’applicabilité de ces codes peut emporter au sein de notre justice pénale des incidences néfastes dont les pouvoirs publics (l’exécutif, le Sénat de la République et le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire) doivent avoir conscience.

 

Conclusion

 

16. Nos réflexions analytiques révèlent que les rédacteurs du nouveau Code pénal et du code de procédure pénale ont livré au système judiciaire haïtien deux textes par imitation de la législation pénale française. Ce travail est audacieux et incitateur à la réforme pénale haïtienne, mais ne reflète pas en grande partie la réalité de la culture haïtienne et de la politique sociale du pays. Dans cette perspective, nous n’avons pas la prétention de réprouver ce travail pertinent, d’autant que nous avons participé en 2013 à la relecture du projet de ce nouveau code pénal en France sous l’égide d’une Commission constituée par le Ministère français de la Justice. Cependant, le devenir de ces deux codes doit être soumis à l’appréciation d’experts diversifiés, dont les pénalistes en majorité. À ce titre, nous mettons à la disposition des pouvoirs publics notre livre issu de notre thèse de Doctorat intitulé « Les mesures privatives de liberté avant jugement. Regard porté sur le droit haïtien à la lumière du droit français ».

17. Il est donc recommandé au ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire et tiers Sénat de la République constituer une Commission composée d’experts pénalistes de renom et de légitimité scientifique dans le but de procéder à la relecture du nouveau Code pénal et du code de procédure pénale afin d’y amender des lacunes rédactionnelles importantes.

18. Ces pouvoirs publics devraient s’associer avec la Fédération des Barreaux d’Haïti, l’École de la Magistrature, les Associations des Magistrats judiciaires (magistrats du siège et ceux du parquet), ainsi que les Associations des greffiers et la Direction de la Police judiciaire (DCPJ).

 

Fait à Port-au-Prince, le 23 mai 2022.

 

                                                         Docteur Guerby BLAISE

                                           Docteur en Droit pénal et sciences criminelles

                                                Avocat et Professeur à l’Université    

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