L’Environnement en Haïti : la tragédie des biens communs

Suivant la dernière enquête sur les ménages (ECMVMAS 2012), plus de six millions d’Haïtiens (59%) vivent en dessous du seuil national de pauvreté fixé à US$ 2.42 par jour. La totalité des Haïtiens ne sont donc pas pauvres économiquement. En revanche, les impacts de la dégradation environnementale ne font aucune discrimination. Riches et pauvres, en ville comme à la campagne, en subissent les conséquences.

Dans les villes, en effet, les indices sont palpables. Des alluvions résultant des inondations à chaque évènement pluvieux, encombrent les rues et rendent la circulation impraticable tant pour les piétons que pour les automobilistes. À la campagne, par ailleurs, les pluies qui, autrefois, servaient à faire prospérer l’agriculture, notamment des montagnes, et à alimenter nos sources et nos rivières à la suite de leur infiltration dans le sol, ne participent aujourd’hui presque exclusivement pas au lessivage des sols laissés à nu suite au déboisement.

Conséquemment, ces problèmes environnementaux ont des incidences négatives sur les activités économiques, et par ricochet, sur le bien-être de la population haïtienne et, globalement, sur le développement du pays. Entre autres, l’insalubrité de nos villes ne peut avoir qu’un effet importun sur le secteur touristique. L’érosion des sols ne fait que diminuer les rendements des exploitations agricoles. La déforestation des bassins versants fait baisser le débit d’eau dans les systèmes irrigués. La sédimentation de la mer, suite au lessivage des sols, contribue grandement à la destruction des écosystèmes marins.

En Haïti, les rues ont toujours été baptisées “ le salon du peuple”. En tant que tel, elles appellent le vivre ensemble. Pourquoi les laisse-t-on dans cet état d’insalubrité révoltante aujourd’hui ? La qualité des sols représentait également l’une des conditions de la bonne performance du sous-secteur agricole dans le PIB et contribuait fortement à la fierté économique du pays. D’ailleurs, Haïti est un “pays essentiellement agricole” parce que ce sous-secteur était la principale source de revenus de la population active. N’est-il donc pas nécessaire d’analyser les méfaits de l’occupation anarchique et outrancière de nos plaines irriguées et irrigables par du béton et de la dégradation sans cesse croissante des bassins versants des montagnes du pays ?

La quêted’une meilleure compréhension de ces problèmes environnementaux force à s’attarder sur un proverbe haïtien qui dit : “Kabrit plizyè mèt mouri nan solèy” (quand une chèvre a trop de propriétaires, elle meurt au soleil).

Ce proverbe traduit bien la réalité de la situation environnementale en Haïti. L’environnement, partout dans le monde, est “une chèvre appartenant à plusieurs propriétaires”, mais qui “meurt au soleil” seulement dans les pays comme Haïti où les facteurs de cogestion ne sont pas bien articulés entre les différents acteurs.

C’est ce que Hardin (1968) explique dans son article sur la tragédie des biens communs. Un bien commun, selon Ostrom (1990), est un espace ouvert accessible à plus d’un pour exploitation à bénéfice individuel.

Éviter le libertinage dans les biens collectifs est le seul moyen d’éviter la tragédie des biens communs. Plusieurs stratégies ont été développées et mises en oeuvre pour la gestion durable des biens collectifs dont les trois (3) principales sont l’établissement de biens de l’État, la privatisation et la gestion communautaire. Les biens et les services étatiques ne peuvent fonctionner qu’en présence d’un État fort et souverain, ce qui n’est malheureusement pas le cas d’Haïti.

Depuis plus d’une trentaine d’années, on assiste au déclin de l’autorité de l’État en Haïti, et ceci à tous les niveaux. La mentalité populiste qui traverse nos différents gouvernements nous a conduits à un libertinage sans précédent dans les biens publics. L’état de gouvernance lamentable des zones déclarées “aires protégées”, comme le parc La Visite et la forêt des Pins et le niveau d’insalubrité des rues, des marchés et des places publics, dénote la faiblesse de l’État haïtien dans la gestion de l’environnement.

En effet, l’absence de poubelles dans les rues de Port-au-Prince et les villes de province est un des exemples de la démission avérée de l’État haïtien dans la gestion des biens communs.

La deuxième stratégie qui a été développée pour une gestion durable des biens communs, est la création de propriétés privées. En Haïti, cette stratégie n’est pas mieux exploitée dans le secteur de l’environnement, malgré les exemples qui existent partout dans le monde. Néanmoins, la création de certaines infrastructures de base comme le cadastre, les pistes améliorées et l’accès à l’eau potable sont des goulots d’étranglements au développement du Partenariat Public-Privé (PPP) en Haïti. La gestion communautaire des biens en Haïti a pris une tournure des moins prometteuses au cours de ces dernières années. Le niveau d’insalubrité des quartiers populaires montre combien se dégrade le communautarisme au sein de la société haïtienne.

Dans la paysannerie haïtienne, particulièrement dans les zones touchées par les projets gérés par des Organisations non-gouvernementales (ONG), la pullulation à outrance des Organisations communautaires de base (OCB) par mètre carré de territoire, est un signe visible du niveau de dislocation de ces communautés.

À observer le niveau global de la dégradation de l’environnement en Haïti à la fois dans les villes, les banlieues et à la campagne, nous sommes à deux doigts d’affirmer que ce fléau nous est endémique. Donc, la situation environnementale en Haïti se trouve à la croisée des difficultés de toutes sortes du fait que les trois piliers d’évitement de la tragédie des biens communs, sont tous défaillants.

Les résultats d’un jeu pratique conduit à travers le pays avec des enfants et jeunes scolarisés, des enfants et jeunes non-scolarisés, des étudiants, des enseignants et des agriculteurs montrent une homogénéisation de tendance vers la satisfaction des intérêts individuels immédiats au détriment du bien-être commun et de la durabilité des ressources. L’Haïtien d’aujourd’hui s’est enfermé dans le cercle vicieux d’une rivalité aveuglante à la recherche de survie individuelle ou de clan.

En effet, pour réaliser le jeu, sept participants ont été choisis, chaque fois, afin d’exploiter à leur guise une île, ici Haïti, contenant des richesses représentées par des cartes de couleur verte et des enjeux pouvant provoquer de la tragédie représentées par des cartes de couleur rouge.

Les participants forment un cercle d’environ trois mètres de diamètre dont l’aire représente figurativement l’île à exploiter. Dans l’aire du cercle formé, douze cartes vertes et huit cartes rouges ont été éparpillées. Pour chaque carte de richesse collectée, le participant gagne figurativement 1,000 dollars. Cependant, pour chaque carte d’enjeux collectée, il perd 500 dollars.

Les impacts de l’exploitation de l’île furent expliqués aux participants afin qu’ils soient tous sensibilisés sur les conséquences des décisions qu’ils allaient prendre. Si, à la fin de l’exercice il ne reste sur l’île que des cartes vertes, la quantité de richesse doublera l’année suivante ; s’il reste à la fois des cartes vertes et des cartes rouges, l’île fournira la même quantité de richesse l’année suivante; s’il ne reste sur l’île aucune carte ou que des cartes rouges, elle s’écroulera.

De plus, le (s) participant (s) qui aurait (aient) collecté le plus de cartes de richesse, entrera (ont) en possession de l’île. Dans tous les cas, à la fin du jeu, il ne reste sur l’île que des cartes rouges. Donc, l’île s’est écroulée à cause de l’exploitation irrationnelle de ses ressources.

 

Plus spécifiquement, trois extrants principaux furent obtenus du jeu.

Certains participants n’ont collecté que des cartes de richesse. Ces derniers ont exploité le maximum de ressources possibles sur l’île à leur guise sans tenir compte des impacts de leurs actions sur l’environnement et aussi sans tenir compte du besoin des autres acteurs.

Ils voient tout sur le très court terme.

Certains participants ont collecté, à la fois, des cartes de richesse et des cartes d’enjeux. Ces derniers ont exploité les richesses de l’île mais acceptent également de perdre une partie des richesses gagnées sur le court terme afin de protéger l’île contre la dégradation totale de ses ressources. Ils analysent l’exploitation sur le long terme. Dans 5% des cas, un participant sur sept n’a collecté que des cartes d’enjeux. Ces derniers ont porté un grand intérêt à la conservation des ressources de l’île en ancrant leur exploitation sur un horizon temporel à long terme. Ils ont collecté des cartes d’enjeux afin d’éviter l’effondrement de l’île dans l’espoir qu’ils pourront bénéficier de ses richesses dans le futur. Ils s’étaient tristement résignés de voir effondrer l’île malgré les sacrifices personnels consentis. Ainsi, survient la tragédie des biens communs dans le secteur de l’environnement en Haïti !

Les résultats du jeu avec les cartes de richesse et les cartes d’enjeux, montrent la précarité de la situation environnementale en Haïti. La participation par motivation matérielle est devenue la règle chez l’Haïtien d’aujourd’hui. De telle motivation est structurée par des besoins immédiats sans aucune réflexion sur le long terme et la durabilité.

 

Arnold Africot

Ingénieur-Agronome

Master en Politique internationale de l’Environnement

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