Les enfants des rues en Haïti, une bombe à retardement en phase d’éclater

L’option de presser sur l’interrupteur pour désamorcer ou laisser exploser cette bombe sociale effroyable dépend de la volonté des dirigeants, des responsables du gouvernement, des représentants des Organisations internationales, des organisations non gouvernementales, des fondations dites caritatives et philanthropiques. Réveillés chaque matin, comme par miracle, avec les mêmes « retay » et les mêmes « ranyon », privés de la moindre affection parentale, sans nourriture, sans un encadrement de l’État, sans la charité des OI et des ONG, les enfants des rues en Haïti vivotent et végètent dans une précarité ignominieuse et scandaleuse. Ces enfants putréfiés, décrépis et vieillis par les incertitudes et les méandres de la vie, sont dotés comme tous les autres, de tripes, de bouches et d’intestins grêle. Leurs besoins primaires de se vêtir, se fermer les yeux la nuit et se nourrir restent chaque jour un véritable défi imbattable. Ils visualisent l’accès à un plat de résistance comme le plus grand objectif à atteindre quotidiennement.

Ti-Joël (prête-nom) a été exposé, exploité, manipulé et déshumanisé.

À seulement dix ans, ce gamin, ravitaillé en munitions et ayant un pistolet, délaissé et vilipendé comme un simple objet entre les mains de bandits politiques et d’assassins aux cerveaux détraqués, a été abêti et recruté pour exécuter des missions démoniaques. À l’aube du deuxième millénaire, cacophonie et confusion politiques aidant, Ti- Joël a été « dressé » par des bandits pour être dévié des élans humains naturels pour accomplir la mission macabre de mettre une balle à la tête d’un cadre, d’une cible, concurrent politique ou économique d’un clic qui transforme la vie sur cet espace en une véritable jungle et un film d’horreur.

Dans une étude traitant de la condition de vie des enfants des rues, réalisée par la firme PhareView en 2014, la Brigade de Protection des Mineurs (BPM) a étalé avec peine et stupéfaction, l’histoire poignante de Ti-Joël qui fait frémir les coeurs et fait tressaillir les entrailles. Autour de l’année 2000, Ti-Joël n’avait que dix ans quand il a été approché par des criminels qui l’ont armé d’un pistolet pour mettre une balle à la tête d’un professionnel. D’où le titre auquel on lui reconnait depuis « Une balle à la tête ». Pourtant, cet enfant, dont la place est sur le banc de l’école, doit faire l’objet de protection et d’encadrement psychologique, car à cet âge, il ne peut répondre de ses actes devant la justice, nous a confié à juste titre le directeur de cette direction de la DCPJ dévolue à la sécurité et à la protection des mineurs.

Vulnérabilité de la petite enfance et de la jeunesse, de mal en pis.

Il y a déjà près de vingt ans, cela était impensable, il y a déjà près de deux décennies, cela était déjà révoltant, écoeurant et abêtissant que l’on puisse profiter de la vulnérabilité des enfants pour accomplir les desseins du diable. Pourtant, la situation a empiré, les actes démoniaques se sont multipliés et banalisés au pays.

Une longue liste de verbes lugubres et sinistres s’ajoutent ou sont devenus plus éloquents et plus imposants dans le champ lexical du quotidien haïtien.

Kidnapper, décapiter, tuer, assassiner, rançonner, escamoter, bluffer, violer, voler, dilapider ne choquent plus avec la même vigueur et la même intensité.

La population semble anesthésiée devant les tristesses, les chagrins et les laideurs engendrés par les bandits et les animaux politiques qui conjuguent ces verbes maussades et caverneux au présent de l’indicatif dans tous les coins et recoins de la capitale.

Considéré en 2000 comme un cas isolé, aujourd’hui, à cause de la petitesse, la myopie, l’absence de vision et le désintérêt des vampires politiques qui inondent le pays d’armes de tout calibre, pour assouvir leur soif politique et économique malsaine, de nombreux Ti-Joël se ont émergé. Ils ont grandi et sont devenus des protégés des hommes politiques. Ils respirent le même air de climatisation des officiels politiques qui les hébergent, les nourrissent, leur dictent les directives pour « lock » ou « unlock » tout un pays. La Police nationale les recherche, pourtant ces innocents en kaki ne portent pas de lunettes capables de percer les vitres teintées des officiels du législatif et de l’exécutif, pendant que les bandits les observent avec leurs patrons à travers leurs vitres blindées. Sur le plan de la sécurité, particulièrement au cours de cette dernière décennie, le pays se trouve à une phase terminale d’un cancer produit de toute pièce par des vipères économiques et politiques aliénés, dépourvus du sens de fraternité et d’amour. D’ailleurs, à défaut de la capacité et la compétence technique et tactique des Arnels, des Kakouts et des Ti-Kenkenn, les grands conseillers officiels de ce régime - Ô rage ! Ô désespoir !

- irresponsable, inculte, arrogant et indécent, organisent des missions aux enfers avec des mercenaires expérimentés de l’international qui sautent les verrous sécuritaires pour fouler en toute quiétude les portes d’entrée officielles du pays, avec des armes lourdes et des munitions, sans supervision et sans contrôle aucun des institutions régaliennes.

Une multitude d’ONG et d’OI oeuvrent dans la petite enfance et la jeunesse, temps de cesser ce bluff.

Des centaines d’ONG sont détentrices d’enveloppes accumulant des centaines de millions de dollars dévolues au bien-être des enfants et des jeunes, à leur éducation, leur santé, leur épanouissement. Après des dizaines d’années d’existence de ces institutions « caritatives », la situation des enfants des rues et de la jeunesse devient plus précaire pendant que parallèlement ces ONG accouchent de gestionnaires, de chefs de projets et des coordonnateurs multimillionnaires, tant au terroir qu’à l’étranger. Ces hauts cadres passent leurs vacances à Hawaii, ils jouent au casino à Las Vegas, ils découvrent, avec leurs beaux enfants, leurs princes et princesses, les oeuvres touristiques telles Tour- Eifel, Tour de Pise, Statue de la Liberté ou le Niagara Fall. Ils offrent des robes et des parfums à leurs femmes qui font concurrence avec Beyonce, Julia Roberts et Angelina Jolie ; ils gaspillent les ressources destinées aux causes de l’enfance et de la jeunesse. The Sky Is The Limit, ils visualisent et nourrissent le rêve de visiter l’espace pour rivaliser avec les milliardaires Guy Laliberté et Steven Spiellberg.

Ces cadres des OI et des ONG ont des projets au quotidien, de court, moyen et long termes pour leurs pets. Si seulement ils avaient les opportunités légales et administratives pour ouvrir des comptes bancaires pour leurs chiens et leurs chats, leur jubilation serait au paroxysme ! Ces consultants, conseillers spéciaux et chefs de missions font promener leurs chiens dans des parcs ; ils les caressent, ils leur réservent des places princières dans leurs salons, dans leurs voitures, pourtant ces travailleurs « philanthropiques » ignorent l’existence des enfants qui croupissent dans la misère et la crasse abjecte. Ces derniers ont constamment des démangeaisons, ils ont des garde-robes avec des singletons ou des ensembles vides ; ils portent les mêmes « ranyons » pendant des jours, ils ne suivent pas le circuit normal d’un vécu quotidien d’un enfant qui consiste à se brosser les dents, prendre le petit déjeuner, boire du lait, manger du fromage, aller à l’école, se recréer, étudier, dormir sur un lit,….

Vous les regardez avec dédains, vous les marginalisez, vous les humiliez ;

pourtant, vous mangez, vous buvez, vous voyagez, vous êtes devenus des multimillionnaires à leurs dépens.

 

Quelle indécence !

Les enfants des rues, victimes d’abus sexuels, de violence et de toxicomanie, selon une étude de PHAREVIEW

L’enquête post-séisme ECVMAS réalisée en 2012 par l’IHSI, a jeté des lumières sur les enfants en domesticité et les enfants « handicapés », mais à date, il n’existerait pas d’enquête nationale relatant avec clarté les statistiques sur les enfants des rues. La firme PHAREVIEW a, en revanche, permis d’apprécier des aspects saillants de cette couche vulnérable de la société. Dans la recherche sur l’accès à l’éducation des enfants et des jeunes dans la tranche d’âge 6-18 ans, commanditée par l’USAID en 2014, PhareView a attiré le projecteur sur un ensemble de menaces auxquelles sont exposés les enfants des rues. Abus sexuels récurrents, toxicomanie, violence physique et psychologique, les enfants des rues sont l’objet d’une panoplie de dysfonctionnement et de distorsions sociétales. Les responsables des six centres, hébergeant quelques enfants des rues, dont deux nonpublics et quatre publics, visités lors de cette étude, ont évoqué dans les focus group et les entrevues réalisés par la firme d’étude du Dr. Daniel Dorsainvil que plusieurs enfants sont l’objet de pédophilie. Ils consomment beaucoup d’alcool, et un nombre plus restreint fume de la marijuana ou renifle le « tinè ». Ils se procurent l’alcool et les stupéfiants dans la rue.

Certains fréquentent des dealers de drogue. C’est tout simplement un désastre alimenté par la démission d’un Etat en mode titanique frappé par un iceberg au fonds des océans.

Aux heures de pointe, ces enfants devaient se retrouver dans des salles de classe, aux heures tardives, ils devaient être chez leurs parents, devant leurs petits écrans pour éclater de rires dans les scènes de Tom & Jerry en guise de Bouki et TiMalice, avant de se rendre au lit.

Attitude ou démission des parents, non disponibilité de l’offre scolaire, domesticité, manque de moyens économiques et toxicomanie sont les principaux obstacles empêchant la non-scolarisation de ces enfants, ont révélé les responsables des centres interviewés dans l’étude de PhareView.

Le cas révoltant de Ti-Joël, enregistré durant les cacophonies politiques de l’époque aristidienne a été déjà un de trop ; pourtant, au cours des dernières décennies, la situation s’est envenimée, elle devient chaotique.

Les enfants des rues sont devenus plus arrogants, plus dangereux, plus apathiques. Ils envahissent les rues, les galeries, les places publiques, les stations de transport public. Ils demandent les « adokens » avec un ton arrogant « Lage yon adoken lan menm baz ! »; ils menacent les conducteurs coincés dans les trafics, ils s’accrochent aux véhicules, ils sont devant les banques, devant les magasins, devant les écoles, devant les hôpitaux à toute heure de la journée, aux heures de classe, aux heures de recréation, à l’aube et au coucher du soleil. Ils font toutes les acrobaties et les gymnastiques, ils inventent des histoires, ils menacent.

À défaut de pouvoir rassembler un nombre « d’adokens » suffisant pour assurer leurs « alekens » , ils terminent leur course quotidienne de désespoir et de douleur, sous un soleil luciférien, dans les piles d’immondices, devant tous les cinq coins, pour trouver des os et des restes de « fritay » . Ils s’en foutent s’ils doivent déclarer la compétition avec des chiens, chenilles, verres, mouches qui ont le même objectif d’ailleurs, celui d’assurer les exigences des intestins.

Vous trouvez certainement le texte trop poignant, trop humiliant, trop abêtissant. Mais, tenez-vous bien, ce n’est ni l’auteur, ni le texte qu’il faut indexer. Il s’agit d’une réalité déplorable et qui ne devait être en cette ère de l’internet, de révolution technologique et de création accélérée de richesse. Du point de vue financier, une seule institution suffirait pour éradiquer ce phénomène qui éclate dans nos visages, pourtant des centaines d’ONG oeuvrent pour éradiquer la pauvreté, encadrer la petite enfance et la jeunesse. Il est temps de cesser cette hypocrisie en dressant des plans pour stopper cette hémorragie à travers une politique sincère et concertée entre les OI, les ONG et l’État haïtien pour sauver l’enfance, la jeunesse et la société.

 

Carly Dollin

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