Depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme le 10 décembre 1948, l’égalité et la non-discrimination[1] sont érigées en principes fondamentaux du droit international des droits de l’homme. Ainsi a été institué un droit international de l’égalité et de la non-discrimination. À cet effet, l’interdiction de la discrimination et la consécration de l’égalité de tous se trouvent inscrites dans les principaux instruments juridiques internationaux et/ou régionaux se rapportant aux droits de l’homme. Au niveau international, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ses articles 2 et 26 inscrit l’interdiction de la discrimination comme règle absolue du droit international des droits de l’homme. Il en est de même au niveau régional. Ainsi, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et le Protocole No 12 se rapportant à la CEDH ; l’article premier de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et les articles 2 et 3 de la Convention africaine des droits de l’homme et des peuples prescrivent l’interdiction de la discrimination au rang de droit fondamental et font obligation aux Etats parties à ces instruments juridiques de garantir l’égalité et la non-discrimination dans leur législation respective. Cette consécration de la règle de la non-discrimination se propage dans les instruments juridiques internationaux au point d’aboutir à l’adoption d’instruments juridiques internationaux et régionaux spécifiques interdisant des discriminations spécifiques avec des motifs tels : sexe, l’âge, le handicap, l’origine ethnique.
Les instruments juridiques internationaux se rapportant aux droits de l’homme sus évoqués énumèrent de façon exhaustive et non limitative les motifs de discrimination reconnus en droit international des droits de l’homme : la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, la situation économique, la naissance ou toute autre condition sociale. Cependant d’autres catégories de personne non prises en compte par ces motifs, sont aussi exposées à des discriminations en faisant référence exclusivement à ces motifs de discrimination reconnus par le droit international classique des droits de l’homme. On peut citer à titre d’illustration les personnes Lesbiennes, Gay, Bisexuelles, Transsexuelles et Intersexuée regroupées sous le sigle personnes LGBTI. La non prise en compte de l’Orientation sexuelle comme motif de discrimination est généralement à l’origine de traitements différenciés et discriminants contre ce groupe vulnérable, exposé à des violences et/ou discrimination fondées ou ayant comme motif l’orientation sexuelle. Face à ce silence du droit international des droits de l’homme et les violations systématiques des droits fondamentaux des personnes LGBTI[2], d’importantes décisions des juridictions internationales/régionales de protection des droits de l’homme, font apparaitre la nécessité d’une reconnaissance internationale de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre comme motifs de discrimination par l’intégration de ces motifs dans un instrument juridique international (sous forme de protocole additionnel) et qui définira également des droits spécifiques aux minorités sexuelles. Dans le cadre de l’Union européenne, la Charte des droits fondamentaux[3], proclamée à Nice le 07 décembre 2000, en son article 21 est le premier instrument international à reconnaitre l’orientation sexuelle comme motif de discrimination.
L’interdiction de la discrimination en droit haïtien
Les Traités, Accords ou conventions ratifiés par Haïti sont infra-constitutionnels et supra-légaux, c’est-à-dire, ils sont classés immédiatement après la Constitution et ont une force supérieure aux lois au point qu’ils abrogent toutes dispositions qui leur sont contraires[4]. Ce qui implique que dans l’ordonnancement juridique interne et dans le respect de la hiérarchie des normes, ces instruments juridiques occupent le second rang. Ainsi étant signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, qui tous consacrent l’interdiction de la discrimination, Haïti se doit de conformer sa législation par rapport à ces engagements internationaux portant, entre autres, sur cette interdiction. Car comme le prescrit l’article 276-2 de la Constitution haïtienne, ces instruments font partie intégrante de la législation nationale.
Sur le plan doctrinal, selon le Dr Julie Ringelheim[5], la consécration internationale des principes d’égalité et de non-discrimination impose quatre (4) obligations majeures aux États ayant ratifié les instruments juridiques internationaux se rapportant aux droits de l’homme. Il s’agit de: 1) Garantir l’égalité devant la loi ; 2) Garantir à tous l’égale protection de la loi ; 3) Interdire toute discrimination ; 4) Garantir à tous une protection égale et efficace contre toute discrimination.
En exécution des obligations 3&4, Haïti a inscrit dans le Préambule de sa Constitution les droits fondamentaux de la personne humaine consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme[6] . Par cette inscription, la DUDH fait partie de notre bloc de constitutionnalité. En outre, l’État haïtien a adopté le 4 février 1981 le Décret punissant les faits de discrimination raciale qui dispose en son article 1er que : « Tout fait de discrimination raciale ou de comportement qui violent les droits fondamentaux de l’homme, survenu à cause de sa race, de sa couleur, de son appartenance à une ethnie, est un délit punissable aux termes des dispositions qui suivent ». Cette législation prend en considération les motifs de discrimination suivants : la RACE, la couleur et l’appartenance à une ethnie. Toujours dans le sens de la consécration de l’interdiction de la discrimination en droit interne, en date du 24 juin 2020, l’État haïtien a jugé bon de mettre à jour son droit répressif en adoptant par décret un Nouveau Code pénal qui, en ses articles, 362 363, 364, 365 et 366, définit et pénalise la discrimination et en énumère les motifs. L’article 362 dispose :
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques a raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronymie, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, une religion déterminée » .
Cette nouvelle législation introduit l’orientation sexuelle comme motif de discrimination, augmentée des autres motifs de discrimination reconnus par le droit international des droits de l’homme. Relevée au rang d’infraction, la discrimination, quel qu’en soit le motif a comme conséquence directe de mettre à la disposition des victimes de discrimination des recours judiciaires pour faire sanctionner les auteurs de ces actes.
En outre, l’article 363 du NCP abroge le régime de peine prévue à l’article 5 du décret du 4 février 1981 punissant les faits de discriminations raciales passant d’une peine d’emprisonnement de six (6) mois à deux (2) ans et d’une amende de cinq mille (5000 gourdes) à vingt-cinq mille gourdes (25 000 Gdes) pour une peine d’emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une amende de cinquante mille gourdes (50 000 gourdes) à soixante-quinze mille (75 000 gourdes). Ce nouveau Code pénal, en intégrant d’autres motifs de discrimination dans le droit pénal haïtien, élargit le champ d’application de la règle de l’interdiction de toute forme de discrimination.
Bref, l’intégration de l’orientation sexuelle comme motif de discrimination dans le droit positif haïtien aura pour mérite de définir un cadre juridique de protection des personnes LGBTI. Au cas où elles feraient l’objet de discrimination, elles disposeront d’un recours qui doit être effectif. Dans l’attente d’un instrument juridique international se rapportant aux droits des personnes LGBTI qui aura à définir, outre les droits fondamentaux reconnus à tous les humains, des droits spécifiques en faveur de cette communauté, ces dispositions du Nouveau Code pénal haïtien sont des vrais acquis pour la communauté LGBTI en Haïti. Est-ce pourquoi, l’État haïtien ne doit pas céder aux agissements des groupes homophobes et doit se renfermer dans ses engagements internationaux relatifs à l’interdiction de la discrimination, car comme l’a soutenu l’ancien Secrétaire général des Nations-Unies Ban KI MOON qui eut à dire en 2010 dans un discours historique sur l’égalité des LGBTI : « En tant qu’hommes et femmes de conscience, nous rejetons la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Lorsque les attitudes culturelles sont en conflit avec les normes universelles des droits de l’homme, ce sont celles-ci qui doivent primer[7]».
Même en cas de report de l’entrée en vigueur du NCP, ces dispositions qui représentent désormais des ACQUIS PRÉCIEUX pour la communauté LGBTI en Haïti, doivent être impérativement sauvegardées.
Me Josué SIGUE
Avocat au Barreau de Port-au-Prince
Spécialisation en cours en droit des minorités sexuelles à l’Université de Nantes
E-mail : josue.sigue48@gmail.com
Bibliographie :
- Constitution haïtienne en vigueur ;
- La Charte des droits de l’homme des Nations-Unies
- La Charte des droits fondamentaux de Nice du 7 décembre 2000 ;
- Le décret du 4 février 1981 punissant les faits de discrimination raciale ;
- Le nouveau Code pénal haïtien ;
- Le Rapport du Conseil de l’Europe sur la discrimination
- Emmanuel DECAUX, Les grands textes internationaux des droits de l’homme, Paris, 2e Ed, la Documentation française, pag 820, 848 Pages.
- Le Rapport du Conseil de l’Europe sur la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, publié en 2008.
- Note de Cours de la Professeure Dr Julie RINGELHEIM, Cours intitulé : « Droit international et européen de l’égalité et de la non-discrimination », dispensé à l’Université de Nantes.
- Haut-commissariat des droits de l’homme (Nations-Unies), Égalité et non-discrimination, en ligne, https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Discrimination/LGBT/FactSheets/unfe-25-UN_Fact_Sheets_Equalitynondisc_French.pdf.
[1] Article 2 de la DUDH: “Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté ».
[2] Voir le Rapport du Conseil de l’Europe sur la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, publié en 2008.
[3] Emmanuel DECAUX, Les grands textes internationaux des droits de l’homme, Paris, 2e Ed, la Documentation française, pag 820, 848 Pages.
[4] Article 276-2 de la Constitution haïtienne en vigueur : « Les traites ou Accords internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires ».
[5] Note de Cours de la Professeure Dr Julie RINGELHEIM, Cours intitulé : « Droit international et européen de l’égalité et de la non-discrimination », dispensé à l’Université de Nantes.
[6] Préambule de la Constitution haïtienne du 29 Mars 1987 : « Le peuple haïtien proclame la présente Constitution pour : Garantir les droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur, conformément à son Acte d’Indépendance de 1084 et à la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 ».
[7] Haut-commissariat des droits de l’homme (Nations-Unies), Égalité et non-discrimination, en ligne, https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Discrimination/LGBT/FactSheets/unfe-25-UN_Fact_Sheets_Equalitynondisc_French.pdf