Comprendre le coup du colonel Rébu contre le général Avril à travers les livres des écrivains Himmler et Prosper

Comme comprendre c’est « l’expression de la faculté de saisir les choses, les raisons ou les phénomènes, de concevoir les caractères d’une classe donnée, d’un concept, et de ceux qui en découlent logiquement », donc ce texte se propose de comprendre le coup d’État raté du 1er et 2 avril 1989, les principaux acteurs impliqués, et pourquoi il avait échoué

Durant la période de transition post Jean-Claude Duvalier, particulièrement de février 1986 à avril 1989, Haïti avait connu plusieurs coups de force et de tentatives de renversements de gouvernements.  Au cours de cette très courte période de trois ans, il y avait eu le de coup d’Étatdu « …19-20 juin 1988, coup du général Henry Namphy contre le Professeur Leslie Manigat ; 17 septembre 1988, coup du général Prosper Avril contre le tombeur de Manigat ; 3 avril 1989, conflit au sein des FAD’H, tentative de putsch des colonels Himmler Rébu, Philippe Biamby et Léonce Qualo, supportés quelques jours plus tard par le commandant des Casernes Dessalines, le colonel Guy André François. » (1)

 Étant sur le banc de touche durant les vingt-neuf années des Duvalier pour jouer le rôle de complices des deux dictateurs dans leurs actes criminels et violations des droits du peuple haïtien, une fois arrivée au pouvoir après 1986, les militaires ne voulaient plus rester dans leurs casernes. Dans leur langage vernaculaire, le paysan haïtien vous dira : ‘’zonbi goute sèl, li pa mande rete’’

 Mais chercher à comprendre le coup de force des militaires contre le général Prosper Avril, c'est d'abord arriver à cette conclusion que ce n’était pas du poisson d’avril. C’était plutôt le début du mois d’avril qui n’était pas prospère au général. ''L'intelligent Avril’’ était dans la tourmente.

Si bien que, chercher à comprendre le mouvement de révolte des militaires contre le général Prosper Avril au mois d’avril 1989, c’est aussi chercher à comprendre qui était derrière ce coup, qui le supportait financièrement et, qui ne l’était pas. Et, on ne peut pas faire semblant de comprendre cette tentative de renversement d’un pouvoir militaire par des militaires, si on ignore pourquoi il avait échoué.

Les rumeurs d’un coup d’État qui circulaient au mois qui a le même nom que le président, plus particulièrement au début d’avril, laissait plus d’un de penser à un ‘’poisson d’Avril’’.   Ce dernier est, dans la culture haïtienne, une façon de faire courir, le 1er avril, de fausses information sur n’importe quoi.  Mais, les activités militaires qui prenaient cours dans la nuit du 1er au 2 avril n’étaient pas du poisson d’avril contre le pouvoir du général.  C’était un vrai coup de force contre son administration.

Les leaders du coup avaient pour noms les colonels: Himmler Rébu, Léonce Qualo et Philippe Biamby.  Quant au colonel Guy François qui était, lui aussi, un allié, il venait tout juste d’être nommé comme commandant aux Casernes Dessalines, en remplaçant le puissant colonel Jean-Claude Paul qui avait trouvé la mort mystérieusement en sa résidence un dimanche matin de novembre 1988.    

Comme il était planifié, dans la nuit du 1er au 2 avril, sous les ordres des leaders du coup, le président de la République et les membres de sa famille étaient arrêtés par un groupe de militaires. Ils furent alors prisonniers au camp des Léopards situé sur la route des frères. Pour un coup qui était planifié par des jeunes tacticiens compétents de l’institution militaire, aujourd’hui encore, beaucoup se posent des questions sur les vraies raisons de son échec. 

Pour comprendre les raisons d’un tel échec, un haut gradé de l’armée qui était opposé au coup et qui ne voulait pas que son nom soit cité, déclarait que tout était en place pour la réussite du mouvement de ces officiers rebelles. Ces derniers manquaient une seule chose et c’était la plus importante.  Ces jeunes officiers n’avaient pas eu le support de l’ambassade américaine à Port-au-Prince, disait le haut gradé. 

Quoi qu’il en soit, le coup avait échoué grâce aux interventions des unités loyales du Palais national.  « Le coup ayant échoué piteusement grâce à la réaction des troupes de la Garde Présidentielle et du Corps des Engins Lourds, je pus regagner le Palais National et reprendre le contrôle du pays. » (2)

Si certains commandants de troupes solidaires à ce coup de force étaient, pour des raisons inconnues, restés au pays. En revanche, les trois leaders du putsch n’avaient d’autres choix que de se réfugier, temporairement, de l’autre côté de la frontière. 

Aux premières interventions d’Avril, il mentionnait l’implication des anciens barons du duvaliérisme dans le coup manqué du 1er au 2 avril. Questions, probablement, de désamorcer les raisons évoquées par les leaders du coup de force contre lui.

Selon le général Prosper Avril, le mouvement était organisé par les jeunes officiers au profit du Dr Roger Lafontant, ancien homme fort et ministre de l’Intérieur du gouvernement de Jean-Claude Duvalier qui, au moment de la tentative du coup de force, était en République dominicaine.  Pour quelqu’un qui était à l’école de papa Doc, et faisant toute sa carrière militaire non seulement sous le régime des Duvalier, mais particulièrement au Palais national, Avril savait comment tirer sur la corde de la manipulation, avait déclaré un analyste politique qui ne voulait pas croire aux déclarations du général. 

Compte tenu de fortes critiques que la population avait faite à l’idée de se voir diriger par un macoute/duvaliériste, particulièrement quelqu’un comme Roger Lafontant, donc l’accusation d’Avril sur les officiers d’être à la solde de celui-ci, avait été un argument, temporairement, valable dans une situation de crise de coup d’État. Pour le commandant des forces armées, questions, probablement question de forcer le peuple à se ranger autour de lui au cas où il devrait faire un choix entre le duvaliérisme, Lafontant et le militaire, Avril.  

Cependant, les révélations du colonel Rebu dans son livre l’échec d’Avril allaient dans une certaine mesure, soit confirmer ou créer encore beaucoup plus de confusions quant aux déclarations qu’avaient faites par le général Prosper Avril. « Dix-sept heures ! On nous annonce une visite. C’est le docteur Roger Lafontant. Souriant, fraternel, paternel, le docteur philosophe. Un reproche filtré, sournois : ‘’Pourquoi vous ne m’avez pas mis au courant ?  Je vous aurais aidé.  Vous êtes parti avec vos cœurs à la conquête d’une citadelle.  Il ne vous a rien manqué pour réussir.  Certains vicieux du Palais ont mangé pendant longtemps mon argent.  À chaque fois, ils me dénonçaient auprès de Namphy pour conserver l’argent et les bonnes grâces du général.  Je regrette que vous ayez échoué, mais je respecte votre option. Mais pourquoi vous ne m’avez pas mis au courant ? Bon c’est désormais du passé.  Il faut regarder vers l’avenir. » (3) 

La seconde visite du Dr Lafontant était pour apporter de l’argent aux officiers en difficulté en République dominicaine.  Après avoir remis une enveloppe jaune au colonel Rébu, il lui disait : « Himmler, il y a dix mille.  C’est peu, mais c’est tout ce que je peux offrir.  Partage ça avec tes camarades.  Bonne chance. » (4)

Comme le colonel Rébu refusait l’argent, Lafontant insistait pour dire « C’est mon devoir d’Haïtien.  Je sais que tu es fier et orgueilleux, mais tu en auras besoin. Et puis des hommes tels que toi, on ne les achète pas avec de l’argent. » (5) Mais si on ne pouvait pas acheter le colonel avec de l’argent, on le faisait avec quoi alors ?  Puisqu' on dit que tout homme à un prix.  À l’époque, quel était donc le prix du colonel ?

Bref, selon toute vraisemblance, il parait qu’il n’y avait pas au préalable d'arrangement entre Dr Lafontant et le colonel Rébu. Cependant, tout en essayant de bien comprendre les phrases qui suivaient la conversation du colonel au docteur, on peut comprendre, peut-être, qu’il existait une certaine affinité entre Lafontant et les autres co-auteurs du coup. 

Si oui, était-ce la raison qui poussait le général Prosper Avril a associé les duvaliéristes au coup manqué des jeunes officiers. Si c’était non, donc d’où était venu l’idée du général d’impliquer les macoutes au mouvement du renversement de son gouvernement ? 

 Bref, Rébu poursuit pour dire « Philippe et Léonce étaient bien plus habitués au docteur que moi...Philippe et Léonce le monopolisent pendant les dix minutes qu’il passe à la résidence. En partant, il laisse tomber sur la table du salon un parquet de journal qu’il a tenu jusque-là dans ses mains. » (6)

Chercher à comprendre le coup manqué des jeunes officiers, c’est aussi chercher à comprendre les relations d’amitiés de ces derniers avec les macoutes, particulièrement le colonel Rébu avec l’ancien puissant ministre de l’Intérieur de Jean-Claude Duvalier. 

Puisque pendant que Dr Lafontant était dirigeant influent du Racing Club Haïtien (RCH), colonel Rebu était préparateur d’éducation physique à la Télévision nationale d’Haïti (TNH) et des clubs de football, spécialement de la sélection juvénile des années 1980.  Mis à part de leurs passions pour le football, comment un officier comme Rébu, jeune frère de l’ancien directeur de la Banque Centrale et chroniqueur sportif bien connu n’avait pas développé de relations d’amitié avec un grand baron duvaliériste comme l’ancien ministre de l’Intérieur. Apparemment, il était beaucoup plus facile pour Rébu d’en avoir de lien de familiarité avec Lafontant que pour les autres officiers du coup de force raté.

Mais cela peut arriver que l’ami de mon frère ou des membres de ma famille ne soit pas pour autant un ami.   Donc, on note que le colonel n’avait pas eu de complicité politique avec l’ancien ministre de l’Intérieur.          

Toujours dans son livre, colonel Rébu parlait d’un autre colonel. Mais colonel Rébu n’avait pas cité son nom.  Il avait seulement fait mention d’une forte somme de soixante mille dollars que Henri devait lui donner pour « mettre ensemble des gars de la police, du palais et des Léopards pour renverser Avril. »  (7) 

Qui était-ce personnage ?  Pourquoi Lafontant et le colonel dont le nom n’avait pas été cité étaient les deux seuls à visiter les auteurs du coup manqué ? Et ceci dans l’intervalle de quelques heures après la tentative du coup d’État.

De plus, pourquoi était-il beaucoup plus facile pour le colonel Rébu de citer le nom d’un personnage comme Roger Lafontant alors qu’il se gardait de citer le nom de l’ancien colonel ? Ce dernier faisait allusion à un certain Henry et les soixante mille dollars.  Était-ce de ce Henry-là que le colonel Rébu avait mentionné plus tôt lorsqu’il parlait de l’argent apportait par sa femme. « Trois paquets de cent gourdes haïtiennes et trois mille dollars américains. Une attention de la présidence par les bons soins de notre cher camarade Henri Robert Marc-Charles. » (8)  

Si la réponse est oui, se sentant coupable de n’avoir pas informé Rébu des soixante mille dollars du colonel retraité en République dominicaine, le très cher camarade avait voulu se racheter avec le minimum. Où était donc la vérité dans tout cela ? Le coup du 1er et 2 avril était-il vraiment supporté par des duvaliéristes ou d’autres militaires à la retraite vivant en République dominicaine ?  

Il serait peut-être difficile de trouver les noms de tous les supporteurs financiers de ce coup, mais, de près ou de loin, d'anciens duvaliéristes avaient joué un rôle important dans cette affaire.  Ceci était confirmé par les propres déclarations de l’ancien ministre des Finances du gouvernement de Jean-Claude Duvalier, l’ingénieur Frantz Merceron, rapporté par le journaliste français Nicolas Jallot.  « Parlant de l’aide qu’il eut à apporter au colonel Philippe Biamby lors de ses déboires avec les autorités américaines à la suite de l’échec du coup d’État du 2 avril 1989, monsieur Frantz Merceron déclara : C’est moi qui l’ai fait sortir de prison aux États Unis ou il (Philippe Biamby) se trouvait après le coup d’État destiné à renverser Avril et dans lequel j’avais joué un rôle non négligeable, ainsi que mon ami Jean-Marie (Chanoine), car on estimait qu’Avril avait dépassé les mesures. » (9)   

En tout état de cause, donc on comprend que quelque part, les déclarations du général Avril n’avaient pas été une simple machination politique, mais peut-être quelque chose qui remontait à bien et plusieurs façons de faire les choses par les anciens militaires et hommes politiques en dehors du pouvoir et, surtout en exil.

Entre-temps au Champ de Mars à Port-au-Prince, la garde présidentielle du Palais national qui était opposée au coup, elle se regroupait pour faire obstacle aux alliés du colonel Rébu et consorts qui étaient encore restés sur le terrain.   Ce qui avait donné lieu à une confrontation entre les unités les mieux équipées et préparées des Forces armées d’Haïti (FAd’H). 

Pour pouvoir se défendre aux assauts de l’ennemie, pendant des heures, des hommes en uniformes abritaient derrière les arbres et voitures entourant le Champs de Mars.  Selon le général Avril, « de la confrontation entre les troupes des Casernes Dessalines, Camps des Léopards et le Corps des Engins Lourds du Palais National, six militaires ont été tués et soixante-quinze blessés, dont trente-deux civils. » (10)

Les détracteurs du président Aristide lui reprochent le démantèlement des Forces armées, particulièrement de la façon arbitraire et inconstitutionnelle dont il avait mis à pied les soldats et officiers de cette institution. Mais l’histoire retiendra aussi que le général Avril était le premier à avoir déposé la première pierre conduisant à la dissolution de l’Armée.  

Puisque, premièrement le plein pouvoir du puissant sergent Hébreux posait des problèmes d’ordres hiérarchiques aux structures mêmes de l’institution militaire. Si bien que, dans le gouvernement d’Avril, officieusement, le sergent était considéré non seulement comme le numéro deux, mais il jouissait aussi de privilèges très importants dans l’armée.  Mis à part le problème hiérarchique que posait le rôle et pouvoir avec des privilèges du sergent, mais quand on a pris des mesures pour dissoudre deux grandes unités comme le Corps des Léopards et les Casernes Dessalines qui avaient un très fort pourcentage de militaires bien entrainés dans l’effectif des forces armées d’Haïti, donc il ne restait pas grand-chose au président Aristide de démettre de cette institution.  

Comment une armée qui était unifiée autour de leurs généraux lors du massacre des élections générales du 29 novembre 1987 aussi bien du coup d’État contre le président Manigat, avait pu, en plein jour, s’exploser en plusieurs morceaux jusqu'à même s’affronter entre elles.  

Mais de tous les questionnements, était-ce, et aujourd’hui encore, comment un coup d’État planifié par des militaires comme celui de Rebu et alliés avait-il pu échouer ?  

Comment un coup d’État qui regroupait les unités les mieux équipées et préparées comme les Casernes Dessalines et le Corps des Léopards contre la seule unité du Palais national avait-il pu échouer ?  

Les officiers avaient-ils échoué dans leur coup parce qu’ils étaient des mercenaires travaillant à la solde du duvaliérisme notoire Roger Lafontant ou parce que tout simplement ils n’avaient pas eu la bénédiction des puissantes ambassades étrangères dans le pays ?  

Ajouté à cela, pourquoi et comment des militaires, après avoir essayé de renverser un régime dans leur propre pays, étaient obligés d’être emprisonnés aux États-Unis ?  Était-ce une façon à Washington de dire que le gouvernement américain ne tolérera pas aucun coup d’État qui n’a pas été planifié par l’ambassade même des États Unis en Haïti ?  

Ce sont autant de questions sans réponses que le coup d’État manqué du 1er et 2 avril avait laissées aux experts et analystes commentant la politique haïtienne. 

Mais il a fallu cinq ans plus tard, plus précisément après le retour du président Aristide au pouvoir pour comprendre pourquoi.  Pour un coup de force avorté, les colonels Rebu, Qualo et Biamby ont été arrêtés et incarcérés dans des prisons aux États-Unis, tandis que les auteurs criminels du coup d’État 1991 n’ont pas été arrêtés.  

Ils ont destitué un gouvernement légitime. Et pendant trois ans, ils arrêtaient, incarcéraient, violaient et tuaient les partisans du président Aristide qui était en exil. Comme récompense, au moment où ils quittaient le pays, ces putschistes voyageaient comme des touristes qui étaient venus passer trois ans de vacances dans l'île de la Caraïbe.  C’est comme dans la fable de la Fontaine des animaux malades de la peste.  Selon que vous soyez puissants ou misérables, les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs.       

Quoi qu’on puisse dire ou penser, le coup des colonels Rebu, Qualo et Biamby avait été piteusement échoué.  Les putschistes étaient partis en exil, mais, même lorsqu’ils étaient en prison, comme beaucoup d’autres Haïtiens, ils grossissaient à l’extérieur du pays, la liste des opposants au gouvernement d’Avril. 

Pendant que Biamby, Qualo et Rébu étaient en prison aux États-Unis, en Haïti, ils avaient laissé des compagnons d’armes dans la tourmente. Avril, entre-temps, restait encore au pouvoir avec ses pairs militaires, et surtout avec le soutien de ses amis de l’international, pour continuer de corrompre, d’arrêter, de violer les droits de la personne et de manipuler politiquement certains leaders de la cité.  Et, c’était à cette période aussi troublée et mouvementée de la vie politique haïtienne qu’était arrivé au pays, l’ambassadeur américain Alvin Adam (Bourik chaje).  Cet envoyé spécial avait une importante feuille de route.

 

Prof. Esau Jean-Baptiste

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1-Hérold Jean-François. Le Coup de Cédras

2-Prosper Avril. L’Armée d’Haïti, Bourreau ou victime ? 

3,4,5,6,7 & 8. Himmler Rebu. L’échec d’Avril 

9&10-Prosper Avril. L’Armée d’Haïti, Bourreau ou Victime ? 

 

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