Reddition de comptes

Quel chroniqueur serais - je si j'avais à écrire quotidiennement sur la débâcle et la déchéance actuelles de notre pays?  De la matière, pour sûr, il y en aurait même si à la longue elle finissait par devenir redondante en parlant et en ressassant les mêmes sujets lesquels comme dans un «  playlist » diffuseraient inlassablement les mêmes chansons again and again

Départs pour l'exil, crises politiques, coups d'État, occupations, choléra, décote de la gourde, violence et guerre des gangs, kidnappings, assassinats spectaculaires du simple citoyen au Président de la République, impossible fusion des désaccords politiques justement pour ne pas avoir d'accord, grèves, scènes de déportations et de «déchouquages» périodiques et le clou, les rafales d'armes automatiques qui de jour comme de nuit accompagnent nos quotidiens feraient certainement partie des sujets sur lesquels tout chroniqueur qui se respecte aurait eu à opiner.

 Que n’a-t-on pas vu ou entendu dans ce Port-au-Prince la capitale devenue tout simplement République asphyxiante et prédatrice tuant et mangeant ses propres enfants comme c'est le cas chez certaines espèces pratiquant le cannibalisme puerpéral. Ce qui a peut-être fait dire à l'autre que "la révolution mangera ses propres fils"

   De 1986 à nos jours nous avions eu 7 présidents élus, 7 présidents provisoires, 1 président assassiné et 26 Premiers ministres, dont 2 femmes seulement qui ont eu à gouverner le pays. Quel est le regard de ces décideurs sur la situation actuelle du pays? Quelle a été leur responsabilité dans la débâcle actuelle ? 

La première tentative de réponse à laquelle il faut s'attendre c'est qu'ils seraient tous animés de bonne foi et comme pour danser le tango il faut être deux, il faudrait aussi poser la même question à nos opposants qui croient fermement que le meilleur opposant est celui qui s'active le plus  pour faire tomber un président élu pour, par la suite, collaborer avec celui qu'ils auront eux-mêmes légitimé. Chez nous la légitimité ne s'acquiert pas uniquement et nécessairement à travers les élections, mais aussi en délégitimant l'élu du moment pour le renverser et gouverner à sa place. Étrange paradoxe et tout ceci pendant que "Rome brûle" !  

J'aurais donc noté dans cette chronique de la descente aux enfers le silence assourdissant de ceux qui nous ont gouvernés et les aurais interpellés sur leur rôle et responsabilité dans notre déchéance. Ceux qui sont encore en vie devraient pouvoir éclairer l'opinion sur les causes de leur échec et témoigner. L'histoire ne se nourrit pas seulement de la succession des faits vécus par les différents acteurs, mais aussi des témoignages vivants de ces derniers offrant ainsi des pistes qui aideraient à mieux contextualiser leurs vécus et expériences permettant de dégager une compréhension plus objective de la situation dans laquelle ils dirigeaient.

Je leur aurais demandé aussi pourquoi dans cette période difficile ils n'ont pas jugé bon de se parler, de dialoguer pour, dans une démarche forte de symbolisme, indiquer et proposer la voie de la réconciliation et d'union à suivre et à encourager. À moins que quelque part certains d'entre eux plus intelligents comme d'habitude pensent béatement qu'ils sont déjà tout désignés pour "faire du neuf avec du vieux" perpétuant ainsi la pratique de l'exclusion aux dépens d'une culture de  collaboration et d'intégration qui nous fait tant défaut.

 Quand le chroniqueur du quotidien « Le Nouvelliste » avait inauguré sa chronique, désormais célèbre, « la transition qui n'en finit pas » il n'avait pas certes imaginé qu'il était en train de prophétiser et que la transition, tel un Phoenix, renaîtrait des cendres des gouvernements constitutionnels régulièrement renversés ou mis en incapacité de gérer la République.

1er aout 2022

Samuel E. Prophète

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