Comprendre les relations développées entre Pestel et Jérémie

Si à travers l’histoire, on a pu voir que la commune de Pestel avait entretenu des relations très serrées avec Jérémie, il est à constater que celles-ci finissent par se détériorer avec le temps. Les  observations de tout et chacun indiquent que les deux villes ne sont plus liées ni par le commerce ni par le  football. Sur le même rang,les informations font état d’un pourcentage insignifiant de Pestelois qui occupent un poste à Jérémie ou qui la fréquentent pour l’école ou pour l’université. Le constat n’est  pas aussi différent du nombre de Pestelois qui visite annuellement la ville de Jérémie; un sondage en ce sens confirmerait que moins de 5%  de Pestelois connaissent la ville de Jérémie comparativement aux possibles résultats pour des communes telles que Corail, Beaumont, Roseaux, Anse d’Hainault ou les Irois.


Préoccupés, certains n’arrêtent pas de se poser cette question: «Pourquoi Pestel entretient-elle peu de relations avec Jérémie?»
À cette question, je formule l’hypothèse selon laquelle Pestel cesserait de s’échanger avec Jérémie par manque d’intérêt.
Mon article cherche à exposer en basant sur l’histoire les raisons pour lesquelles les deux communes ne s’échangent plus convenablement comme auparavant.

Un regard sur l’histoire des relations entretenues entre les deux communes
Référons-nous   à l’histoire pour indiquer que les deux communes ont établi leurs relations sur la base des intérêts de clan.
François Pestel, le colon français qui a fondé le bourg de Pestel vers 1770, avait son premier domicile, ses premières plantations à Jérémie. Il la quitte quand il est nommé commandant des milices des Cayemittes. Installé, il fait  venir   à Pestel  son épouse Julienne-Anne Morel, son neveu Nicolas Pestel et quelques de ses amis qui allaient peupler après sa mort toute l’étendue qui forme plus tard la communauté pestéloise. Rappelons qu' on parle, à cette époque, du canton des Cayemittes et du canton de Plymouth, les deux réunis forment plus tard la commune de Pestel.

À la suite, on verra que les colons de Pestel se rallient à toutes les causes où les planteurs de Jérémie se sont aventurés. C’est ainsi qu’ils ont eu la même position en ce qui a trait à l’Accord du 04 avril 1792 établissant les mêmes droits entre les Blancs et les Affranchis. Ils l’ont rejeté pure et simple. On se rappelle les différentes batailles menées contre l’armée dirigée par le général Rigaud à Pestel et à Jérémie pour mettre en déroute la contestation des Planteurs de la Grand’Anse.

C’était pareil lorsque la Grand’Anse était envahie en 1794 par les Anglais à la suite de l’affaire de Borel. Pestel et Jérémie étaient les deux zones à tenir sérieusement tête aux envahisseurs. La dernière bataille mettant fin à la tentative d’occupation des Anglais s’est alors déroulée à Camp Thomas de Pestel où le Général Peste, commandant en tête de peloton, a été tué.

Les habitants des deux bourgs ont gardé cette même réaction quand s’est déclarée  la guerre du Sud en 1801 au lendemain de la mort par asphyxie de 29 noirs dans une prison à Corail. Ils étaient solidaires à leur chef André Rigaud.

Toujours est-il, les habitants de Pestel et ceux de Jérémie, bien qu’ils n'aient pas partagé la même position relative à la révolte de Goman, vont se retrouver, en 1843, côte à côte au premier rang au sein du mouvement ayant causé le départ de Jean Pierre Boyer au pouvoir.

En 1883, au premier rang du soulèvement de la Grand’Anse contre le président Lysius Félicité Étienne Jeune Salomon, c’était les deux à conduire la lutte. Si bien que Pestel et Jérémie étaient rasés par le bombardement de l’armée gouvernementale à cause de leur résistance.

Ramenons-nous vers les années 1940/50. Pour question d’intérêt de classe, en 1946, les notables de Jérémie ont réclamé la candidature de Louis Delorme Gilles aux élections sénatoriales du 12 mai. Louis Delorme était connu comme un habitué des salons de la ville de Jérémie.

Les deux communes se sont rapprochées  jusqu’à l’arrivée de Duvalier au pouvoir.Toutefois, soulignons  qu’il y a eu quand même certaines animosités déclarées en certaines occasions lorsqu’elles n’avaient pas les mêmes intérêts dans un événement. C’est bien le cas de la révolte de Goman (1807-1820) où l’élite jérémienne a tourné le dos à Pestel pour son soutien à ce mouvement qu’elle ne la vit pas de bon œil. Il y avait un malaise entre eux quand a éclaté le mouvement des piquets des années (1863-1870) contre Sylvain Salnave où Pestel était en dissidence. En 1902, il se passe la même chose entre les deux communes lorsque le président Antoine Simon a préféré Duthel Beauboeuf comme député de Pestel (Jérémien) à Louis Delorme Gilles (Pestelois) pressenti suite à son implication active dans la lutte conduisant Antoine au pouvoir. Cela a débuté un long règne de la domination de Jérémie sur Pestel. De la 26e à la 29e législature, Pestel a eu pour représentants à la chambre des députés des Jérémiens. Pendant toute la période de l’occupation américaine, les représentants de Pestel au parlement étaient majoritairement des hommes de Jérémie. Tout cela va donner suite à une relation fragile entre les deux zones.

Revenons à la période des Duvalier que j’ai évoquée en haut comme le  point de départ de la détérioration observée dans les relations entre les deux communes; pendant cette époque, pour des contentieux politiques, la relation développée dans le temps entre Pestel et Jérémie se trouve affaiblie. L’on assistait à de moins en moins de jeunes Pestelois  qui rentraient à Jérémie pour l’école.

Il apparaît que le refus des parents pestelois d’envoyer à Jérémie leurs fils pour l’école était une des suites de la situation politique qui prévalait entre les deux communes. Il en est aussi l’exil des membres des familles  avec qui les Pestelois ont eu des liens très serrés. Le système répressif institué par le pouvoir de François Duvalier est aussi en cause.

L’antagonisme entre les deux communes était exacerbé par  une affaire de pouvoir. Les Citoyens de Pestel voyaient de mauvais œil la forte domination des hommes de Jérémie sur leur commune. Ils se sentaient mal à l’aise en voyant Pestel se représenter à la Chambre des députés par des Jérémiens ou des Roselais. C’était pour eux une grande humiliation subie. C’était une façon à François Duvalier de faire payer à Pestel pour son fils Daniel Fignolé en lutte avec lui pour le pouvoir.

En plus de cela, bien des causes entrent en ligne de compte. Les Jérémiens n’ont pas toujours apprécié l’attitude des Pestelois qui refusent leur domination. Pour cette cause, ils ont tendance à les faire payer pour ça. Sur ce point, disons mieux que les Jérémiens se sentent  plus à l’aise pour s’entendre avec les Abricotins, les Beaumontois, les Roselais qu’avec les Pestelois. Ces derniers ne voulaient pas se laisser manipuler à dessein par les autorités de Jérémie.

Parlant de cela, des anecdotes illustrent l’insoumission des Pestelois face aux tentatives de manipulation de certaines autorités de Jérémie. Ce sont des anecdotes à travers lesquelles on raconte comment plusieurs autorités de Pestel n’ont pas accepté de se rabaisser lorsque leurs Supérieurs à Jérémie leur exigent de les verser des faveurs ou des redevances pour des services généralement non rendus.

Les années 95-2000 sont inscrites dans les annales comme l’époque qui marque une étape ultime dans la détérioration des relations entre les deux communes. Pour cause, l’entrée en force de la nouvelle structure politique départementale dénommée KOREGA au niveau du département était mal vue par un groupe de Pestelois. La prétention de faire mainmise par des leaders de ce parti sur la politique de la commune était vue comme une menace et un affront. À la tête du mouvement de contestation, on retrouve Ronald Étienne.

Un tel mouvement de rébellion a donné lieu à des affrontements. On se rappelle les interventions musclées de la police de Jérémie à Pestel pour procéder à la réouverture du bureau électoral fermé par Ronald Étienne. Des événements qui laissent  des séquelles dans l’esprit de certains Pestelois.

Le contrôle de l’électorat de Pestel était toujours visé par les Jérémiens en tenant compte que Pestel a la deuxième population du département. S’ils l’ont, c’est bien une assurance pour leur candidature aux élections sénatoriales. En cherchant à instrumentaliser les leaders de la commune, Pestel est souvent plongée dans la division.

Il importe de dire que Pestel dès le départ a eu une telle importance aux yeux des hommes de Jérémie, c’est par rapport à sa position géographique. Étant Portail d’entrée du département de la Grand’Anse, les Jérémiens ne pouvaient pas se passer d’eux quand ils ont entamé un mouvement. D’ailleurs, c’était par là  où les troupes de l’armée gouvernementale étaient appelées à passer avant de gagner les rives de Jérémie. Les expériences de la révolte de Gorman l’ont prouvé. Une fois Pestel cédée, la Grand’Anse fut capitulée. Le mouvement tira à sa fin.

Regard sur les liens généalogiques des familles


Référons-nous à la généalogie pour indiquer que les liens de parenté importent beaucoup dans l’établissement des relations entre les deux communes.
Les recherches généalogiques effectuées par Didier Gilles et Fernand Bernard déterminent les liens familiaux de certaines familles de Pestel avec quelques-unes de Jérémie. Ils ont fait apparaître dans leurs travaux les liens de consanguinité des Bernard de Pestel avec les Cayemitte, les Lizaire, les Duvivier, les Legagneur, les Bourdeau de Jérémie,  les Gilles de Pestel avec les Pierre Noël de Jérémie, ainsi que les Laplanche de Jérémie avec les Bruyère, les Alcégaire de Pestel avec les Boucher de Jérémie.


 Il est aussi à faire remarquer que les Gilles de Pestel et les Gilles de Jérémie sont de même lignage. Louis Gilles Il, allié du président Salomon et père de Delorme Gilles est celui de qui est venue toute la grande ascendance de cette famille. Il a enfanté à Jérémie Louis Marc, à Pestel Delorme, Sauboker et bien d’autres.
Il ne faut pas oublier que des familles tels les Tham, les Renois, les Chéron, les Bélizaire de Pestel ont leurs ancêtres à Jérémie. On pouvait énumérer plusieurs autres familles de Pestel qui ont dans leur parentèle des enfants d’une famille de Jérémie. À titre d’exemple les Douzable, les Janvier, les Bélance.
Grâce à autant de liens de parenté, Pestel et Jérémie sont parvenus à se connecter parfaitement.

Malheureusement, la dictature des Duvalier a désorganisé les liens parentaux. L’on assiste à un vide dans le rapport entre les deux communes étant donné les familles notables des deux communes interconnectées ont laissé la Grand’Anse pour un pays étranger. Ce qui allait ralentir le rapport du bon commerce des deux communes. Ce sera aussi un maillon brisé dans la chaîne des intérêts facilitant le rapprochement des communes.

La ville de Jérémie est envahie par les habitants de leurs périphéries, de même que Pestel. Les nouvelles familles immigrées des deux côtés ne se sont pas aussi rapprochées comme c’était le cas auparavant.
La ville de Jérémie doit aux pêcheurs de Pestel une certaine redevance pour avoir participé à l’extension du bourg. Poussés par la famine au lendemain des dégâts causés par le cyclone Hazel en 1954, de nombreuses gens des zones côtières de Pestel élisent domicile à Jérémie. Ce sont eux qui ont posé les premiers jalons de la fondation du quartier Sainte Hélène. Dans ce bidonville habitent plusieurs éléments des  familles (Bélance, Laurent, Janvier, Guerrier, Dimanche).

Regard sur le rôle joué par le café dans le rapprochement des deux communes


Référons-nous au café pour indiquer le rôle que ce produit a joué dans le rapprochement entre les deux communes. Ce n’est pas un secret pour personne que Pestel était l’une des zones du pays jouissant d’une grande réputation dans la production caféière. Une prémisse historique fait mention du café comme étant la cause de la colonisation de la zone. À ce stade, on a parlé du général Léveillé qui a eu des plantations à Pestel, voire du général André Rigaud.

Très connu pour son or vert, certaines  grandes familles de Jérémie se sont embarquées pour Pestel pour pouvoir en profiter. Les recherches ont indiqué que les Chéron, les Bruyère sont entre autres débarqués vers la moitié du 20e siècle avec le désir de faire fortune dans la spéculation.

Eu égard à cela, le  café a établi dans le temps des relations durables entre les familles notables de Jérémie et celles de Pestel. Beaucoup de familles jouissant d’une certaine notabilité à Pestel sont en quelque sorte le prolongement de certaines familles de l’oligarchie jérémienne.

Le commerce de café  aurait aussi fait tourner certains Pestelois évoluant dans la spéculation vers les hommes de négoce de Jérémie lorsqu’ils auront manifesté l’intention d’emprunter de l’argent. Une telle chose  a servi d’occasion pour les deux élites d’avoir des rapports politiques.

Le café a par ailleurs facilité le développement du service de cabotage entre les deux communes. L’embarcadère de Pestel a souvent reçu des bateaux assurant le trajet Jérémie-Port-au-Prince; les bateaux étaient passés pour embarquer des sacs de café à destination de Port-au-Prince. Pestel était par conséquent une escale pour les Jérémiens en voyage. On note à cet effet plusieurs Jérémiens restés sur place qui par la suite ont fondé des foyers. Cela a aussi participé à l’élargissement des liens entre les deux communes.

La chute libre connue au niveau de la production caféière dans le pays principalement à Pestel à partir des années 80-90 a eu des impacts directs sur les  relations développées entre les deux zones. Le cabotage de Jérémie sur Pestel a considérablement ralenti. Moins de Jérémiens vont connaître Pestel étant donné que c'était la principale voie offerte aux Jérémiens de faire connaissance avec la ville de Pestel. La consultation des hougans pour affaires personnelles a aussi amené des Jérémiens à pestel, sans oublier des emplois.

Nous concluons que la chute du café est une bonne cause essentielle marquant un pas dans la détérioration des relations   Pestel Jérémie. Car Pestel n’est plus la commune Eldorado qu’elle l’était  dans les années 50-80.

Regard sur l’absence de l’école de qualité à Pestel jouée dans les relations


Tout au long du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe, Pestel était privée d’une école primaire de qualité et des établissements scolaires de rang secondaire, la majorité des familles notables se voyaient dans l’obligation d’envoyer leurs enfants ailleurs. Jérémie était à l’époque leur première destination. L’institution des  Frères Paulin, réputée pour sa qualité d’enseignement, a attiré les jeunes de Pestel à Jérémie.

L’école des Frères Paulin a davantage renforcé les relations déjà établies par le café entre les familles notables des deux bourgs. Plusieurs jeunes de Pestel envoyés à Jérémie étaient placés chez des familles en connexion. Le chapitre I du livre Mémoire d’un Jérémien, Tome2 de l’écrivain Eddy Cavé donne un aperçu des liens de camaraderie développés entre Jérémiens et Pestelois. Il décrit comment ses parents ont reçu un jeune Pestelois chez eux et comment leurs relations ont gardé jusqu’à la mort de son complice. En plus, il indique combien son frère et lui étaient intéressés à aller en vacances à Pestel. Il y avait aussi ces liens tissés entre les Cavé et les Bernard, les Wèche, les Edmond, les Janvier, les Picard.

Les liens de camaraderie se perpétuent également en football. Durant toutes ces époques, Jérémie a eu des relations de foot avec Pestel. Qu’on se rappelle bien, des clubs tels que Dynamo de Jérémie ont disputé des matchs avec des clubs de Pestel dont Olympia.

Avec  la fermeture en 1977 de l’école Frére Paulin, école de référence, Jérémie n’est plus la destination des jeunes écoliers de Pestel. Ils se dirigent en premier lieu vers Port-au-Prince, puis vers les Cayes.

Notons bien que tout n'était pas rose pour les jeunes de Pestel lorsqu’ils se sont scolarisés à Jérémie. Ils ont été souvent objet de stigmatisation et de discrimination de la part de certains Jérémiens. En ces époques, Jérémie possédait une des aristocraties bourrées de préjugés. C’étaient des choses qui ont laissé des séquelles chez les jeunes de Pestel.  
Regard sur l’enclavement du département et le manque d’espaces pour écouler des produits


La Grand’Anse est le rare département où toutes les communes ne sont pas connectées avec le chef-lieu. L’état des tronçons de route en est bien la cause. Pestel se trouvant à une distance évaluant à plus de 50 km de Jérémie  est l’une des communes présentant un réseau routier en piteux état. Par conséquent, cela décourage bon nombre de Pestelois de se rendre à Jérémie et vice versa.


Si la route était bonne, il y aurait une plus forte présence des Pestelois dans plusieurs activités programmées à Jérémie.
À cause de l’enclavement, les Pestelois se tournent de préférence vers les Cayes, Port-au-Prince et parfois Miragoane. Disons aussi que Jérémie ne dispose d’un marché viable pour permettre aux planteurs de Pestèl d’écouler leurs produits. En cas d’activités économiques intenses, Jérémie serait attirée par un nombre important de Pestelois à la recherche d’un pain quotidien.


Il en est de même pour Pestel qui n’a grand’chose à offrir aux Jérémiens pour les attirer, sinon sa verdure, sa beauté naturelle, ses couloirs écologiques. La route en fait défaut.
Nous retenons bien que le manque d’activités économiques est toujours au premier rang des causes qui expliquent le ralentissement au niveau des relations entre les deux communautés. Si les relations entre Pestel et Jérémie appartiennent historiquement au domaine de la politique, l'accent devrait être tout aussi mis de plus en plus mis sur le domaine économique ou commercial. Il se trouve que les deux zones n’ont pas développé ce type de rapport. Les conséquences de cela se développent au fur et à mesure sur d’autres angles.
Doit-on reconnaître cependant que l’élection de Guy Philippe (en 2015)  a rétabli un certain rapprochement entre les deux communautés.


James Saint Germain
Sociologue

 

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