Premier anniversaire du Séisme dans le Grand Sud d’Haïti: Une occasion pour réfléchir sur la gestion de l’aide

À l’initiative de l’ONG internationale ActionAid Haïti, évoluant dans la Grand’Anse, de la CAEC/CLIO[1] et de PADED[2],  une cinquantaine de personnes issues de différents secteurs (institutions publiques, autorités locales, organisations de la société civile, ONG), se sont rencontrées, le 12 août 2022,  à la bibliothèque municipale de Jérémie, fraichement reconstruite, pour parler de la « Localisation de l’aide », le  nouveau thème à la mode dans le jargon humanitaire.  Ce concept est encore peu connu en Haïti et on n’a pas encore trouvé le mot juste pour traduire dans le contexte tout son contenu.  La commémoration du premier anniversaire du séisme qui avait fortement frappé le Grand Sud d’Haïti le 14 août 2021 a été l’occasion pour ouvrir un débat sur ce sujet.

D’entrée de jeu, après une minute de recueillement en mémoire des disparus du tremblement de terre et la présentation des initiateurs de l’activité, Mme Angeline Annesteus, directrice Pays de ActionAid, a commencé à expliquer ce que c’est que « La localisation de l’aide ».  C’est un processus collectif qui cherche à mettre les communautés les plus concernées au centre de l’aide.  Ces dernières doivent savoir comment l’aide est organisée, participer aux décisions, définir elles-mêmes les besoins, etc. pour que l’aide soit efficace », a-t-elle déclaré en substance.  Ce concept, dit-elle, a été l’une des recommandations du Sommet humanitaire mondial (2016) en Turquie  où l’on a discuté de la nécessité de mettre les structures locales au centre des interventions humanitaires.   En bref, « la localisation de l’aide » prône entre autres, l’inclusion des communautés affectées par les crises, la reddition de compte, le renforcement des capacités locales, la coordination avec les autorités locales et l’accès direct des organisations locales à au moins 25% des fonds disponibles pour la prévention et la réponse aux crises humanitaires.

Même si le thème n’est pas bien connu dans le milieu, son contenu commence cependant à pénétrer les communautés haïtiennes et cela est perceptible à travers des demandes de reddition de comptes, des efforts pour donner plus d’espaces aux structures locales, particulièrement suite aux critiques sur la gestion de l’aide après le tremblement de terre de 2010.  Cependant, fait remarquer Mme Annestéus, les relations de pouvoir demeurent aussi bien au niveau local qu’international quand il s’agit de discuter de l’aide.  D’un autre côté, les structures locales ont encore beaucoup de difficultés pour répondre aux exigences de la gestion de l’aide.

Prenant la parole, M. Alix Percinthe, Coordonnateur Programme Terrain à ActionAid Haïti, a parlé de six(6) grands principes promus aujourd’hui pour renverser les relations de pouvoir dans le domaine:   le partenariat, le financement suffisant, le renforcement des capacités, la coordination, la visibilité et la responsabilité.  S’attardant un peu sur ce dernier principe, il a expliqué que l’aide doit contribuer à réduire les crises et non à les aggraver, à renforcer la stabilité et non à déstabiliser.  Elle doit rendre visibles les actions de prévention réussies, faire la promotion de l’égalité de genre et le renforcement de l’autonomie des femmes et de filles.  En gros, l’aide doit améliorer les conditions de vie des gens et non la compliquer. Pour cela, les différentes parties prenantes ont un rôle fondamental à jouer pour encourager la participation des communautés concernées, la culture de reddition de comptes et le renforcement des capacités.

M. Gilot Velan, un cadre du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) de la Grand’Anse, est intervenu sur les défis et opportunités que représente cette vision de « localisation de l’aide »  pour un développement durable en Haïti.  Comme défi au niveau des institutions étatiques, il a signalé la grande distance entre ce qui est prévu/écrit sur papier et ce qui se fait dans la réalité et le manque de synergie entre différentes institutions publiques pour coordonner l’aide.  Du côté des ONG, il a pointé du doigt le comportement de certaines d’entre elles à vouloir tout faire sans se soucier de l’existence des institutions publiques ; la duplication dans une même zone tandis que des communautés avec de grands besoins sont délaissées. 

Il a critiqué cette tendance notée chez des ONG, surtout internationales, à vouloir rechercher à tout prix la « visibilité » pour « leurs actions » tandis que des apports importants sont carrément ignorées ou minimisés, surtout quand ils viennent des communautés et/ou organisations locales. Il a aussi parlé des difficultés pour acheminer l’aide là où les besoins sont les plus pressants ainsi que le manque de synergie entre ONG humanitaires et ONG dit de développement, la disproportion entre disponibilité de financement pour l’humanitaire et celle pour le développement et le déséquilibre entre financement des ONG locales et les internationales.  M. Verlan voit aussi des opportunités que peut apporter cette nouvelle démarche, parmi elles, le renforcement de la gouvernance locale.

Mme Marie Jeanne Haubois, directrice en Haïti de l’organisme suisse EPER, voit quelques avancées dans la gestion de l’aide en Haïti.  Par exemple, après le passage de l’ouragan Matthew, elle a constaté des efforts pour mettre les acteurs locaux au cœur des actions.  « Dans le cadre des réponses au tremblement de terre du 14 aout 2021, les acteurs étatiques haïtiens ont joué un plus grand rôle dans la coordination des actions », a-t-elle fait remarquer.  Mais souligne-t-elle, de très nombreux défis persistent parmi eux : le manque de transparence de la part de l’Etat dans l’utilisation des fonds publics, la centralisation des pouvoirs de décision à Port-au-Prince, versus le terrain ; plus grande capacité des organisations internationales que nationales pour attirer des fonds, le non-respect des fondamentaux des ONG, le manque de compréhension de la notion d’intérêt public de la part de certains acteurs, etc..

Comme propositions pour améliorer la gestion de l’aide, Mme Haubois propose un plus grand effort pour investir dans le renforcement des organisations locales et rendre plus visibles leurs contributions dans les actions humanitaires.

Après ces présentations, des représentantes de deux organisations de femmes de la Grand’Anse ont pris la parole pour donner leurs témoignages sur la gestion de l’aide humanitaire dans la région.  Mme Marie Françoise Innocent, de Solidarité Fanm Ayisyen (SOFA) regrette que des victimes de catastrophes le soient encore au moment des distributions.  Elle a conté l’expérience de son organisation qui est parvenue à mobiliser les acteurs pour améliorer la planification et la distribution de l’aide après le tremblement de terre du 14 Aout 2021. Elle encourage les acteurs humanitaires à utiliser davantage les ressources locales tant humaines que matérielles dans les réponses aux catastrophes et à créer des espaces sûres pour les femmes dans ces situations.  De son côté, Louisiane Nazaire de l’organisation Fanm Tèt Ansanm Grandans (OFTAG) a présenté toute une liste de réalisations de sa structure après deux catastrophes ayant secoué le département de la Grande’Anse et qui ont réussi grâce à une grande implication de la population locale.  Elle a témoigné du renforcement de son organisation du point de vue des capacités de gestion et encourage les ONG à poursuivre dans cette voie en mettant en pratique les principes de la « Localisation de l’Aide ».

M. Jean Leçon Mecil, membre du Conseil d’Administration de la 4e section de Roseaux, a témoigné des efforts des autorités des quatre sections de sa commune pour aider à une meilleure coordination de l’aide.  Il regrette cependant que l’aide n’arrive pas toujours aux populations les plus en besoins et les difficultés que cela génère par après pour les autorités locales.  Il critique la lenteur de l’État qui ne met pas à temps et en quantité suffisante les ressources nécessaires après les catastrophes et l’utilisation parfois par la Police de la force disproportionnée dans certaines circonstances.  Ce qui renforce les frustrations qui peuvent parfois dégénérer en conflits difficiles à gérer par  les autorités locales.  Le CASEC encourage les ONG à toujours planifier les distributions avec les structures locales et à vulgariser les principes de la localisation de l’aide auprès des organisations de base pour que tout le monde puisse en être informé et en mesure de comprendre certaines décisions comme la priorité accordée aux groupes les plus vulnérables.

Les débats

Plusieurs participants et participantes ont pris la parole pour poser des questions ou faire des commentaires et suggestions sur un ensemble de points cruciaux soulevés lors des interventions des différents panélistes.  Le besoin de renforcement des capacités, la problématique de la visibilité des structures locales, de l’identification et priorisation des groupes les plus vulnérables, de la coordination avec les autorités locales, ont été les principaux points abordés.  Certains intervenants ont été très critiques envers les ONG internationales qui affichent parfois, selon eux  un certain complexe de supériorité et qui refusent de collaborer avec les structures locales.  D’autres ont remercié les ONG qui vont dans la bonne direction et espèrent qu’en cas de catastrophes les notions de Localisation de l’aide vont désormais servir.  Ils/elles encouragent les organisations locales à se mettre en réseaux, à lutter contre l’émiettement et la dispersion et à se montrer plus responsables pour pouvoir mieux jouer leur rôle et dialoguer avec les autres acteurs.

Concernant le renforcement des capacités, une participante a rappelé qu’il ne s’agit nullement d’une question de formation ou d’un projet, mais de tout un processus d’implication et de responsabilisation qui va permettre l’aboutissement de cet objectif.

Pour terminer, plusieurs personnes ont proposé la poursuite de ces genres de réflexions pour que le concept de la « Localisation de l’aide » soit mieux connu, accepté et pratiqué en Haïti.

Colette Lespinasse

Modératrice,

Correspondante de la Coordination Europe Haïti (COEH)

15 Août 2022


[1] CAEC= Commission Agriculture et Environnement.  C’est l’une des commissions du CLIO (Comité de Liaison Inter-Organisations) ;

[2] Plateforme d’Agroécolégie et de Développement Durable

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