Faut-il une nouvelle mission onusienne de stabilisation en Haïti ?

Depuis le déploiement de la mission civile internationale conjointe ONU-OEA en 1993, les Nations unies n’ont cessé de multiplier les missions de paix en Haïti. Le premier quart du vingt-et-unième siècle à lui seul en compte déjà trois : la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti), la MINUJUSTH (Mission des Nations unies pour l’appui à la Justice en Haïti) et le BINUH [Bureau intégré des Nations unies en Haïti ( suite de la MINUSTAH)]. Ces missions ont un dénominateur commun, elles sont toutes censées travailler à la stabilité de la première République noire.

Cependant, force est de constater que la situation ne s’est aucunement améliorée. Dans un rapport rédigé pour le compte de l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix en décembre 2021, Michel Liégeois résume ainsi le tableau : « Les rapports du Secrétaire général de l’ONU sur la situation en Haïti en rendent compte avec une régularité désespérante : la stabilité politique est loin d’être acquise, aucun signe de décollage économique n’est perceptible, l’insécurité chronique règne et la corruption demeure endémique[1].» Pour faire court, les missions des Nations unies ont tout simplement échoué en Haïti. Par ailleurs, beaucoup d’acteurs sur le terrain croient qu’un coup de pouce de la communauté internationale nous serait utile, voire nécessaire. Faut-il donc une nouvelle mission onusienne en Haïti ?

Ce serait tordre le cou de la  logique si nous n’arrêtions pas notre marche un instant,  en vue  d'un coup d’œil rétrospectif sur le bilan des différentes missions des Nations unies en Haïti, notamment la plus longue ( la MINUSTAH). En effet, parallèlement aux rapports bourrés d’euphémismes du Secrétariat général de l’ONU dont parlait Michel Liégeois plus haut, il faut revenir  sur le vrai bilan de ces missions. «Une étude menée par deux universitaires, Sabine Lee et Susan Bartels, publiée sur The conversation et notamment relayée par le New York Times témoigne de crimes sexuels commis par des soldats de la MINUSTAH», peut-on lire dans les colonnes de L’Express[2]. «Des centaines d’enfants seraient nés à la suite d’abus sexuels de Casques bleus sur des femmes haïtiennes ; des filles de onze ans seulement ont été abusées sexuellement», affirment Sabine Lee et Susan Bartels dans leur étude. Quid de l’épidémie du choléra ? Introduite en Haïti par des Casques bleus népalais, le choléra a tué plus de dix mille personnes. Épidémie pour laquelle l’Organisation des Nations Unies reconnaîtra finalement sa responsabilité[3], d’une part ; et dont les victimes n’ont jamais été réparées comme promis, d’autre part.

Loin d’insinuer que les missions de l’ONU n’ont rien accompli de positif sur le terrain, ce rappel invite de préférence à ne pas prendre l’arbre pour la forêt. Il invite à considérer le fossé entre ce qui se dit dans les bureaux à New York et la réalité du terrain pour ce qu’il est réellement. Cette inadéquation est l’expression la plus pure d’un échec qu’il est temps d’admettre.

À ceux qui, désespérés face à la situation, parlent de choisir le moindre entre deux maux – insinuant qu’une mission de l’ONU est préférable à la situation qui prévaut dans le pays -, rappelons que les récents écarts[4] du  Bureau intégré des Nations Unies en Haïti sont caractéristiques du non-respect dont la communauté internationale a toujours fait montre à notre endroit. En effet, la cheffe du BINUH, Madame Helen Meagher La Lime a tout dit en saluant l’initiative de certains «gangs » de la zone métropolitaine de se fédérer[5].

Pourquoi persister avec  la même  formule en quête d’un autre résultat ? Pourquoi une nouvelle mission onusienne en Haïti, alors que les cicatrices des dernières sont encore là, béantes à donner la gueule de bois ? Pourquoi persister à voir dans la communauté internationale le Messie attendu depuis mille huit cent quatre ?  Aux grands maux les grands remèdes, dit l’adage. La profondeur de notre mal nous invite à discuter le long terme, quitte à admettre qu’il faut en même temps penser sur quoi faire dans l’immédiat pour atténuer la situation ? À cet effet, la «Conférence nationale » dont parlait constamment le sénateur Turneb DELPE est plus que jamais nécessaire. Car nous devons tous nous asseoir pour faire le point, condamner s’il le faut, pardonner quand c’est possible et avancer suivant de nouvelles orientations et vers de nouveaux horizons. Les élites haïtiennes, du moins ce qu’il en reste, doivent travailler à ce que nos relations avec la communauté internationale se portent sur un nouveau paradigme. Nous les Haïtiens, et seulement nous, sommes véritablement capables de changer le cours de notre histoire. La coopération peut être une bonne chose, mais non à la mise sous tutelle – voilée ou à découvert- et l’assistanat.

Pudens REMEDIN


[1] O.B.G. ( Observatoire Boutros-Ghali), «Transition Post-MINUSTAH et consolidation de la paix en Haïti : Défis et leçons apprises», Décembre 2021, 10 p.

[2] Article disponible sur ce lien : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/en-haiti-des-casques-bleus-auraient-abandonne-des-centaines-d-enfants_2112148.html

[3] Martine Valo, « l’ONU admet sa responsabilité dans l’épidémie de choléra en Haïti », Le Monde, 19 août 2016.

[4] La cheffe du BINUH a indiqué que la fédération des gangs armés de la région métropolitaine sous l’appellation de « G-9 en famille et alliés » a contribué à y faire baisser le taux de la criminalité ;

[5] Rapport du BINUH au Secrétariat général de l’ONU en date du 25 septembre 2021.

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