La bestialisation

Si l’on veut comprendre à quoi ressemble l’Haïtien en 2022, il faut aller l’observer dans les pompes à essence: en sueurs, essoufflé, menaçant parfois, se débattant comme si sa vie en dépendait. Il s’agite telles ces bêtes mises en cage, que l’on affame et à qui on lance quelques grains de subsistance pour qu’elles ne meurent pas de faim, mais qu’il faut maintenir dans la privation, sorte d’expérience sordide visant à déterminer leur réaction face aux grains qu’on leur lance occasionnellement.

 

C’est une image effrayante et avilissante de l’homme réduit à la déshumanisation donc à la bestialité. Ce processus dure depuis quelque temps. Il est nourri par un petit groupe d’individus qui ne sont eux-memes plus humains. Mais ils vont forcer sur la corde jusqu’à la rompre parce qu’ils n’ont aucun sens de la mesure, parce qu’ils ne peuvent comprendre à quel point l’Haïtien souffre, parce qu’ils sont immunisés de la souffrance humaine, parce qu’ils ne sont pas capables d’humanité.

 

L’effacement de la démocratie et de l’état de droit, l’instauration de la peur et de la violence, l’oppression et la privation constituent justement une bestialisation graduelle des sociétés. Jusqu’à ce que les individus, voulant tellement se préserver de la mort, en arrivent à se considérer comme des ennemis les uns pour les autres et donc à se refermer dans leur petit cocon, devenant ainsi des néophobes.

 

Plus aucune parole de changement, de révolte, de réveil collectif, plus aucune volonté de résistance ne résonne dans leur tête. Ils ne pensent plus. Ils sont désormais préoccupés à préserver la vie. Et alors ils deviennent, tels des rats de laboratoire, des objets d’expériences immondes.

 

Mais comme les être généralement se régénèrent, et comme il existe toujours quelques irréductibles, il y a donc, au-delà de la désespérance, au-delà de l’abjection, une percée de lumière à l’horizon qui luira perfas et nefas, peu importe le temps que cela prendra. Parce qu’il y a des peuples de légende qui ont contribué à construire l’histoire héroïque du monde qui ne peuvent disparaître.

 

Jackson Joseph

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