Si l’on veut comprendre à quoi ressemble l’Haïtien en 2022, il faut aller l’observer dans les pompes à essence: en sueurs, essoufflé, menaçant parfois, se débattant comme si sa vie en dépendait. Il s’agite telles ces bêtes mises en cage, que l’on affame et à qui on lance quelques grains de subsistance pour qu’elles ne meurent pas de faim, mais qu’il faut maintenir dans la privation, sorte d’expérience sordide visant à déterminer leur réaction face aux grains qu’on leur lance occasionnellement.

Jovenel Moïse est mort : un président est assassiné dans son lit, chez lui, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Aucune résistance à ses assassins. Ses gardes étaient tous présents. Je laisse donc aux analystes et enquêteurs de décrypter les tenants et aboutissants de cette mort et d’en déterminer les mobiles immédiats et directs.

Que révèle cette mort du président de la République? Cette mort du président de la République ne révèle absolument rien. Alors, que nous dit-elle, du moins que nous répète-t-elle ? Elle nous dit et nous répète très fort notre mise à mort. Qui nous tue ? Nous-mêmes et nous-mêmes au travers d’étrangers. Il ne manque pas d’analyses sérieuses dans la littérature des sciences humaines et sociales sur le kòkòday de certains Haïtiens et d’étrangers – notamment les politiques entre eux qui vont à contre-courant des intérêts des représentés - pour la mise à mort continue de la nation et du peuple haïtiens.

On a passé notre temps à occulter la force, productrice de bonté et de dignité, créatrice et transformatrice que nous a léguée 1804. 1804 est quasiment devenu un non-sens, mis en relation à ce que nous sommes aujourd’hui. Je préfère préciser évidemment  que ce que nous sommes est un construit socio-historique par les choix politiques et économiques qui ont été et qui sont les nôtres. Je préfère de plus préciser que nous ici fait référence à ceux qui ont eu le pouvoir de donner une direction à la nation. Ce nous est aussi choisi pour la raison qu’ils ont été nos représentants, donc les pourvoyeurs de l’image de qui nous sommes aux yeux de nous-mêmes et des autres. Plus généralement et dans les meilleurs des cas, nous sommes ce que nous représentons à travers qui nous avons choisi pour nous donner une direction décente et respectueuse de nos desiderata dont l’essentiel est le bien-être de nous-mêmes en tant que nation.

Que sommes-nous devenus par processus de constructions socio-historiques est synonyme de qui sommes-nous aujourd’hui. En effet, nous sommes qui et quoi ? Nous sommes devenus, donc nous sommes un vaste merdier. Laissez-moi éviter une question bête : nous pouvons donc devenir une vaste beauté ; nous pouvons être une vaste beauté. Nous ne sommes plus dans un merdier ; nous constituons un vaste et profond merdier. Cette mort ne nous permet pas de franchir une étape, mais de produire avec plus de finesse la laideur dont nous sommes l’image. Nous sommes producteurs d’un cycle excluant le visage bon ou positif de l’humanité. On a souvent dit que l’animalité est le côté obscur de l’homme quand il produit des bêtises. Moi, je pense que c’est une erreur d’analyse en ramenant l’animalité à l’opposé de l’humanité, comme quoi du côté de la seconde il n’y a que bonté  et a contrario la première est constitutive du mauvais. Les animaux possèdent un état qui les fait agir différemment de nous, mais en aucun cas on ne peut dire que l’animal est humain quand il s’agit de la manifestation de la bonté et tout ce qui s’en suit. Les signes évidents de la bonté chez les animaux ne sont nullement l’apanage de l’être humain Cet animal est humain en posant un acte de bonté et bienveillance. Absurde, non ? En fait l’animalité n’est pas le contraire de l’humanité. Ce sont deux ordres différents de l’existence dont les possibilités d’agir ou les modes d’agissement  peuvent se croiser.

Nous entendons de la mort du président le cri un peu plus strident que nous sommes un vaste merdier et nous l’organisons davantage en le perfectionnant de plus en plus. Nous entendons que nous jetons un discrédit sur 1804. Nous entendons le remuement, nourri de honte et surtout de colère, de nos ancêtres dans leurs tombes. Nous entendons nos pas qui s’éloignent de plus en plus de l’idéal de bien-être de 1804, alors que c’est la boussole. Nous entendons le soupir de notre dénuement. Nous entendons le silence de notre grande nuit, prolongée. Nous entendons le grognement de nos ventres affamés et le picotement de nos esprits enveloppés. Nous entendons le ronflement de notre sommeil suffoqué. Nous entendons que nous sommes morts, presque définitivement…

 

Welsman Gaspard,

Université Paris Nanterre.

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