Comprendre l'Haïti d'aujourd'hui à partir des retombées négatives du coup d'État du 30 septembre 1991

Partie 3

Le coup d’État du 30 septembre 1991

 

Le coup d’État du 30 septembre 1991 contre le président Aristide avait un double aspect politique. À court terme, il visait à saboter toutes formes de changement que l’administration voulait initier. Dans le long terme, il visait aussi à casser le mouvement grandissant du secteur populaire acquis depuis le départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986.   Le message des masses populaires lors des élections générales de décembre 1990 était clair. Ces dernières avaient signé leur entrée avec fracas sur la scène politique et entendaient devenir un acteur majeur sur un échiquier politique séculairement pris d’assaut par les élites traditionnelles, en majeure partie. Donc l’idée derrière ce coup de force était de s’assurer de la démobilisation des têtes de pont des mouvements syndicaux, étudiants et organisations populaires pour que dans le futur ces mouvements sociaux ne puissent jouer un rôle aussi déterminant dans l’avenir politique d’Haïti. Car leur émergence dans les grandes décisions politiques du pays menaçait, en quelque sorte, les centres traditionnels de pouvoir que représentaient certaines institutions dominantes d’Haïti et de la communauté internationale. Par conséquent, le secteur populaire, les associations de jeunes et d’étudiants, les paysans et les mouvements syndicaux étaient, au-delà de la personne d’Aristide, les principaux groupes ciblés par les militaires putschistes du coup d’État du 30 septembre 1991 qui faisaient les sales besognes pour le compte du statu quo local et international. 

 

 

Bref, pour justifier son coup contre l’élu du 16 décembre, le général Cédras reprochait au président d’Aristide, les violations de la Constitution. Plus tard, comme les accusations du général de facto n’avaient vraiment pas d’arguments solides, il rectifia que l’armée n’avait pas fait de coup d’État, c’est plutôt « une correction démocratique, face à la dictature naissante du président Aristide. »  Arguments vides de sens à la manière d’un officier sous-développé du tiers-monde, soumis aux diktats de l’international, puisqu’il n’était écrit nulle part dans la constitution haïtienne de 1987 qu’un militaire doit destituer un président au cas de dérives démocratiques.

 

Dans son texte « La dignité d'un peuple, Christophe Wargny écrit : « ...Prêtre maudit pour les évêques, les généraux et les oligarques, le président s'employait à expliquer à un peuple en haillons que les miracles qu'on attend, résignés, ne sont que des miroirs aux alouettes, qu'il ne peut donner ou rendre que la justice ou la liberté. C'était déjà la sortie de l'enfer. Pour une poignée de privilégiés et pour la classe militaire, c'était trop. Il n'a eu qu'un seul tort : préférer la persuasion à la contrainte. Le général Cédras, digne successeur de Duvalier, Lafontant, Namphy, Avril, n'est ni plus ni moins parjure et félon. Son humour est aussi vil et macabre que celui de ses devanciers : il promet « le respect de la Constitution et des élections. » On nous apprend même qu'il s'agit d'un « modéré ». Modérément tortionnaire ? Encore loin des records de Duvalier ? Son premier geste est significatif : utiliser les macoutes (venus de République dominicaine) pour terroriser la population. »  (15) 

 

Cependant, il y a une grande différence entre ce qui était écrit dans la constitution et ce que pensait   un officier de facto supporté par l’international et la bourgeoisie rétrograde haïtienne.  C’était ce contexte culturel ou cette relation socio-politique qui permettait aux officiers de la hiérarchie militaire de stopper le processus démocratique enclenché après l’investiture d’Aristide le 7 février 1991. 

 

Effectivement, dans la nuit du dimanche 29 au lundi 30 septembre 1991, l’armée d’Haïti avait entrepris des actions de forces pour destituer l’élu des élections du 16 décembre 1990.  De fait, général Raoul Cédras avait, à travers un acte en violation de la légitimité constitutionnelle de 1987, renversé le président Aristide le 30 septembre 1991.

 

Le coup sanglant du général Raoul Cédras et consort n’avait pas seulement mis fin aux expériences démocratiques que connait Haïti, mais il avait aussi mis fin au rêve de changement que voulaient les gens défavorisés dans les bidonvilles.  Car le gouvernement d'Aristide avait promis d'améliorer la situation sociale et économique des couches défavorisées de la population certes, mais surtout une stabilité politique au processus démocratique initié depuis le départ du dictateur Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986.  Car, parler de développement durable nécessite une stabilité politique dans le long terme. 

 

 

Ce qui explique que durant son gouvernement éphémère de sept mois, le régime Lavalas avait commencé à introduire des réformes relativement aux droits de la personne. Mais « le 30 septembre 1991, un coup d'État militaire a mis fin au gouvernement de Jean-Bertrand Aristide, le premier président élu de façon démocratique en Haïti. Ce renversement de pouvoir a déclenché une nouvelle période d'instabilité et d'agitation politique dans un pays qui commençait à peine à se relever de 29 années de dictature duvaliériste. L'élection du père Aristide en décembre 1990 avait réveillé chez les Haïtiens l'espoir de retrouver un pays égalitaire et économiquement viable : le gouvernement éphémère d'Aristide avait promis d'améliorer la situation sociale, politique et économique et avait commencé à introduire des réformes relativement aux droits de la personne. La popularité du père Aristide avait eu également une incidence marquée sur le climat politique du pays. Certains observateurs doutent de la volonté du père Aristide de mettre en œuvre les réformes promises ; quoi qu'il en soit, il est difficile d'évaluer ses échecs et ses réalisations son gouvernement ayant été déposé par les militaires neuf mois seulement après avoir été porté au pouvoir par le peuple haïtien. »  (16)

 

 

Ils sont nombreux ce que les putschistes et alliés ont reproché au Président Aristide.  Pour certains, l’élu du 16 décembre était trop intransigeant dans son discours.  Pour d’autres, le leader du mouvement Lavalas faisait de la promotion du “père Lebrun’.  On peut tout lui reprocher.  Si certains de ses reproches peuvent être considérés comme des causes occasionnelles, dans la foulée il y avait des causes beaucoup plus profondes que les putschistes peuvent expliquer pour justifier leur coup de force du 30 septembre 1991. « La cause principale du "putsch" de septembre 1991 est le résultat de l'enchaînement de plusieurs causes secondaires, des incidents relativement importants, remontants des mois précédents le coup. En effet, l'élection de Jean-Bertrand Aristide le 16 décembre 1990, était le commencement d'un long cheminement vers un "putsch" militaire. Dès le commencement de la campagne électorale, les ennuis commençaient. En effet, le 5 décembre 1990, lors d'un ‘rassemblement à Pétion-ville une grenade explosait faisant 5 morts et 16 blessés. Durant toute la campagne de 1990 des accrochages fâcheux se sont survenus entre les sympathisants d'Aristide et ceux de (U.R.N) de Roger Lafontant qui n'était d'ailleurs pas dans la campagne électorale, car le K.E.P(Konsèy Elektoral Proviswa), en Français Conseil Électoral provisoire) lui avait donnée Carte rouge. Mais dans l'ensemble la campagne s'était bien déroulée. Il convient de préciser que Jean-Bertrand Aristide axait sa campagne contre l'exploitation de la masse populaire par une élite bourgeoise étrangère ; la lutte contre la corruption, la fraude, les pratiques illicites des fonctionnaires. Donc certains membres de la bourgeoisie traditionnelle nourrissaient une haine haineuse contre le futur président. C'était la première cause du putsch militaire de septembre 1991. »  (17)

 

 

Finalement, mis à part de sa bonne volonté, le nouveau chef d’État, avait-il de l’expérience pour opérer les réformes nécessaires tant souhaitées par les masses défavorisées ? D’activiste militant au verbe enflammé de « makout pa ladan l, aba enperyalis » à la présidence, le père Aristide devenu chef de l’exécutif, le savait-il exactement les responsabilités qui l’attendaient au lendemain même de l’investiture du 7 février 1991 ? Vu le poids ou la dimension des défis à relever, Aristide ne devait-il pas faire le dépassement de son passé d’activiste enflammé pour devenir un chef d’État réfléchi et pragmatique ? Mais, malheureusement, avec le coup d’État sanglant du 30 septembre 1991, les oligarques n’avaient pas laissé le temps au président élu de prouver de quoi il était capable, sinon que de se battre en exil pendant presque tout son mandat pour se retourner au pays.  

 

 

Le soir du 30 septembre, au Grand Quartier Général de Port-au-Prince, par suite de négociations entre les militaires, dirigé par le brigadier général Raoul Cédras, et les ambassadeurs de France, du Venezuela et des États-Unis, Aristide s’envolait pour le Caracas au Venezuela. De là, le président s’était provisoirement réfugié pour finalement aller s’établir à Washington aux États-Unis.  C’était pendant ce long séjour à la capitale américaine qu’Aristide avait commencé le long processus de négociations qui allait être l'objet d'attentions entre lui, de son exil à Washington, et les acteurs politiques haïtiens et alliés de Port-au-Prince, particulièrement les hommes en uniformes au Champs de Mars. « La communauté internationale a réagi avec force, condamnant le coup d'État et les violations des droits de la personne perpétrées par la suite par le régime militaire. L'Organisation des États américains (OEA) a exigé le retour du président Aristide et imposé des sanctions économiques à Haïti pour forcer les militaires à satisfaire à son exigence. » (18)

 

 

Si le soir du putsch, le leader Lavalas n’avait pas été assassiné au Palais national, dans la foulée, le capitaine Fritz Pierre-Louis, un des gardes rapprochées du président, il n’avait pas eu cette chance.  Il y a plusieurs versions sur la mort de ce jeune officier.  Certains disaient qu’il s’était suicidé parce qu’il ne voulait pas retourner en exil pour une autre fois. Peu importe la vraie version sur la mort du capitaine, il faisait partie des premières victimes du coup de force des militaires de l’armée d’Haïti. Cet assassinat fut le début de toute une très longue série de tuerie et de persécution politique sur des sympathisants d’Aristide. 

 

Lors du putsch de Roger Lafontant le 7 janvier 1991, le peuple était mobilisé dans les rues pour dire non au pouvoir macoute que voulait imposer l’ancien ministre de l’Intérieur de Jean-Claude Duvalier, mais dans la nuit du dimanche 29 au lundi 30 septembre 1991, les militaires avaient perpétré un massacre sur la population où plusieurs dizaines de personnes, notamment des sympathisants du président Aristide ont été tués. « Pour éviter un avortement du coup d’État, les dirigeants militaires ont pris certaines précautions : dès le soir, ils ont placé des soldats dans tous les quartiers stratégiques de la capitale. Ces soldats ont reçu l'ordre formel de tirer sur tout ce qui bouge. Les militaires n'ont pris aucun risque possible. Ils ne voulaient surtout pas avoir le même scénario que Roger Lafontant. En apprenant, la nouvelle du coup de force, les sympathisants d'Aristide habitant dans la capitale ont essayé, en vain, de se regrouper afin de prendre d'assaut les rues de la capitale. Les petits soldats sous les ordres de leurs supérieurs ont ouvert le feu ; et la résistance du peuple haïtien (des jeunes surtout) a été anéantie dans effusion de sang. » (19)

 

Port-au-Prince, capitale du pays où se trouvait des bataillons militaires, était aussi la commune ou Aristide avait autant de supporteurs, particulièrement dans des zones comme : Cité Soleil, La Saline, Solino, Carrefour-feuilles et Bel-Air, etc.  C’était dans cette commune du département de l’Ouest et dans d’autres régions avoisinantes dans l’air métropolitain que les militaires de Raoul Cédras et de Michel François avaient fait beaucoup de victimes. « Dans les rues de Port-au-Prince gisaient des milliers de morts, des milliers de blessés. On dirait, ce jour- là que nos rues étaient transformées en une morgue géante. Des blessés conduits clandestinement à l'Hôpital d'État ont été retrouvés et exécutés sur place par les militaires. Des Ninjas portant des Cagoules noires et circulant dans des Pick-up rouges ont pris la relève des militaires. Les militaires et les groupes Paramilitaires ont ramassé certains cadavres et s'en allaient les jeter à "Titanyen" ; les blessés trouvés parmi les cadavres ont été aussi jetés au même endroit. Bref, devant la détermination des militaires de réussir ce coup de force, la résistance héroïque du peuple haïtien a été vaincue ce jour. » (20)

 

Dans son éditorial au Quotidien le Nouvelliste en date du 30 septembre 2013, titré : il y a de cela 22 ans, Frantz Robert Duval, lui aussi, expliquait cette journée macabre des militaires. « Un 30 septembre. Un lundi. Comme aujourd'hui. La nuit recouvrait Port-au-Prince sans étouffer les détonations, les râles d'agonie, les pleurs, les cris ni le cliquetis joyeux des flûtes de champagne. Ce jour-là, en 1991, sept mois après la prestation de serment du premier président démocratiquement élu de l'après 7 février 1986, le pouvoir changeait de mains. De façon sanglante et brutale. La démocratie naissante s'était fait manger par ceux qui pensaient n'avoir pas encore fini de jouir des bienfaits du pouvoir. La démocratie naissante mourait au berceau faute des soins attentifs de ceux qui en avaient la charge. » (21)

 

Frantz Robert Duval n’est pas le seul à pouvoir commenter le coup contre l’élu lavalas, puisque selon d’autres observateurs avisés « le coup d’État du 30 septembre 1991 contre le président Aristide reste et demeure l’un des plus grands coups d’État orchestrés par des militaires des forces armées d’Haïti, dans toute l’histoire du pays. C’était un véritable coup de force qui désarçonnait les racines de l’espoir de tout un peuple. JBA était la figure emblématique de la nouvelle marche de cette société qui venait de subir les atrocités de la dictature. Les petits soldats du régime ont laissé des souvenirs indélébiles dans le mental des gens. L’homme qui symbolisait la rupture à ce sinistre passé n’était autre que lui, JBA. » (22)

 

Pendant que les militaires arrêtaient, emprisonnaient, puis tuaient les supporteurs d’Aristide, pour la consommation de leurs patrons dans l’international, dans une mascarade d’un semblant constitutionnel, le 9 octobre 1991, Joseph Nérette, juge à la Cour de cassation fut installé comme président provisoire d'Haïti et la nomination de Jean-Jacques Honorat, Directeur général du Centre haïtien des Droits et Libertés publiques (CHADEL), au poste de Premier ministre provisoire. Ces dirigeants, tout en étant des autorités de doublure sans pouvoir politique réel, mais de préférence des marionnettes sous le contrôle des militaires et des oligarchies locales et internationales, donc ils ne pouvaient pas empêcher les persécutions politiques massives contre tous ceux qui réclamaient le retour à l’ordre constitutionnel au pays.

 

 

Comme ils intimidaient et tuaient les masses pour leur arrogance d’avoir pensé à un lendemain meilleur, dès les premières heures, semaines et mois du coup d’État du 30 septembre, sous les ordres d’un état-major corrompu et esclave de l’oligarchie locale et internationale, les petits soldats, pour qui Aristide rêvait un changement social, avaient, systématiquement, mené une campagne de répression contre les sympathisants du président en exil. Il y eut plusieurs morts pendant les semaines qui suivirent le coup de force.  Puis vint le tour des membres de l’escadron de la mort du FRAPH. Créé en 1991, le « FRAPH (Front révolutionnaire armé pour le Progrès d’Haïti, puis devenu Front pour l'Avancement et le Progrès haïtien), fut une organisation para militaire d'extrême droite, de type escadron de la mort qui terrorisa, avec les mêmes méthodes violentes des sinistres Tontons macoutes, la population haïtienne en commettant de nombreux crimes, exécutions sommaires, enlèvements et viols. » (23)

 

 

Avec le coup d'État du 30 septembre 1991, tout en mettant fin au gouvernement de Jean-Bertrand Aristide, pour empêcher tout mouvement de mobilisation des sympathisants du prête, les militaires faisaient sérieusement peur à tous ceux-là qui voulaient le retour du président au pouvoir.

 

 

Comme Aristide a été envoyé en exil au Venezuela, avec un gouvernement civil, mais symboliquement de nom, puisque, officieusement les militaires contrôlaient tout, donc l’armée, sous le commandement du général Raoul Cédras, avait pendant trois ans déclenché une période d'instabilité et d'agitation politique qui avaient fait peur non seulement aux supporteurs d’Aristide dans les quartiers populaires, mais aussi les militaires censuraient la diffusion d’information de certaines stations de radios dites indépendantes.

 

 

Prof  Esau Jean Baptiste

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