Comprendre l'Haïti d'aujourd'hui à partir des retombées négatives du coup d'État du 30 septembre 1991 Texte 7

L’intervention des militaires américains pour restaurer Aristide dans ses fonctions de chef d’État

Pendant les premières heures du coup de force de Raoul Cédras et de Michel François, les ambassadeurs français (Raphaël Dufour) et américain (Alvin Adams) en Haïti avaient, apparemment aidé le président Aristide face aux menaces physiques et verbales de la part des militaires au Grand Quartier Général de Port-au-Prince. Mais cela n’avait pas pour autant empêché les lavalassiens à impliquer la CIA dans le coup de force du 30 septembre 1991. Selon des sympathisants zélés du président, comment des militaires peuvent oser renverser un gouvernement non seulement élu démocratiquement, mais aussi populaire comme Aristide, s’ils n’avaient pas toutefois les bénédictions de Washington. Pour soutenir leurs arguments, ils remontaient au coup d’État avorté du colonel Himmler Rébu et consort contre le général Prosper Avril en 1989. Comme ses officiers rebelles n’avaient pas eu le soutien de l’ambassade américaine à Port-au-Prince, leur coup avait échoué, ce qui plus tard, avait conduit à leur arrestation et incarcération dans des prisons américaines.  Il est évident, disait un haut cadre Lavalas, que le colonel et ses complices étaient arrêtés et emprisonnés pour avoir osé destituer le gouvernement du général Prosper Avril qui avait le plein soutien de Washington. De toute façon, quoi qu’on puisse dire et penser à propos du rôle qu’avait joué la CIA dans le coup de force du 30 septembre contre Aristide, l’histoire avait retenu qu’officiellement, le gouvernement américain comme beaucoup d’autres ‘’pays d’amis d’Haïti’’ de la communauté internationale avaient ouvertement condamné le coup de force des militaires.   « Les   États-Unis   ont   formellement condamné   le putsch et ont fait appel pour la réintégration éventuelle du président d’Aristide dans ses fonctions de chef d’État. » (57)

 

Ce qui explique que par sa position politique et économique, officiellement, Washington était partie prenante ou engagée dans toutes les négociations devant aboutir au retour d’Aristide au pouvoir. Si les premières tentatives de négociations de l’organisation hémisphérique (OEA) n’avaient pas porté de résultats escomptés, c’était à l’organisation mondiale, en l’occurrence l’ONU, qu’on avait confié la mission de négocier diplomatiquement le retour d’Aristide au pouvoir. Ces deux organisations ont respectivement leur quartier général à Washington, la capitale américaine et à New York. De plus, si après le coup de force des militaires, Aristide était immédiatement réfugié au Venezuela, ce périple devait être pour une courte durée, puisque, c’était à Washington, aux États-Unis qu’il devait continuer son long séjour d’exil. C’était aussi dans la capitale américaine qu’il avait multiplié tous ses contacts avec des leaders locaux, diplomates des pays étrangers aussi bien des institutions internationales pour discuter de la crise haïtienne, et éventuellement son retour au pouvoir. 

Ce qui fait, par sa position géopolitique et ses influences mondiales, les États-Unis avaient joué un rôle important dans les prises de décision pouvant conduire au retour du président Aristide au pouvoir.  Ainsi, le 19 septembre 1994, après trois ans de va-et-vient diplomatique sans vraiment de résultat concret, les États-Unis, « avec l’aval du Conseil de Sécurité des Nations Unies, lancent l’opération “Restaurer la démocratie”.  Pour la première fois, une intervention est ainsi justifiée, sous l’égide de l’ONU, par la nécessité de rétablir la démocratie dans un pays. 16.000 soldats débarquent en Haïti et, le 15 octobre, le président Aristide, renversé trois ans plus tôt par un coup d’État sanglant, rentre dans son pays. Leur nombre sera porté à 21 000 pour décroître progressivement à partir de décembre 1994. » (58)

 

 

L’action militaire américaine

 

 

Effectivement, au lendemain du discours du président américain Bill Clinton sur la crise haïtienne vieille de trois ans, trois importants émissaires étaient, avec de grandes missions, envoyés à Port-au-Prince.  L’ancien président James Carter, le général Colin Powell et le sénateur Sam Nunn avaient l’ultime mission de forcer les putschistes d’Haïti à quitter pacifiquement le pouvoir. « Le 16 septembre, Jimmy Carter, Colin Powell et Sam Nunn sont envoyés à Haïti pour proposer aux membres de la junte de quitter le pays. »

 

 

Comme les militaires hésitaient à le faire, « Fort de ces concessions, Bill Clinton a ordonné le déploiement de 20,000 marines pour forcer le départ du « groupe de leaders haïtiens des plus prometteurs », soudainement perçu pour ce qu'il était, le « régime le plus brutal et le plus violent de notre hémisphère, exécutant des enfants, violant des femmes, tuant des prêtres et assassinant des orphelins. » (59)

 

 

Lâchés par cette frange de l’international qui les supportaient depuis le coup de force du 30 septembre 1991 et finalement coincés dans leurs casernes, les militaires avaient, « le 18 septembre, à travers leur commandant en chef, Raoul Cédras accepté de se retirer.  Ce qui aboutira à son départ pour le Panama le 13 octobre 22. La force multinationale, composée d'Américains et de soldats de 19 autres pays, connue sous le nom de code américain opération Uphold Democracy, débarque à Haïti à partir du 19 septembre. À part un combat qui fait 10 morts haïtiens à Cap-Haïtien, le déploiement se fait sans résistance. » (60)

 

 

Ce qui mettait fin au coup d’État de trois ans des militaires et de leurs alliés que ce soit sur le terrain et de l’international.  Enfin, sous certaines conditions réunies dans le Plan de Paris comme : « l’amnistie pour les putschistes, la formation d’une nouvelle force policière contrôlée, Aristide est retourné au pouvoir ‘’ grâce’’ à l'administration Clinton. »

Aristide rentrait au pays le 15 octobre 1994 

 

Qui aurait cru que l’ancien prêtre de Saint Jean Bosco, de tendance anti-impérialiste, aurait pu retourner dans son pays sur les ailes protectrices des marines américains en octobre 1994 ? Dans ses messes dominicales à l’église Saint Jean Bosco, les prises de position dans les manifestations populaires et interventions dans les stations de radio, le capitalisme était toujours critiqué par le père Aristide comme un péché mortel. C’était ce dernier qui était devenu brusquement un grand ami salvateur du président Aristide.  Bref, on dirait que les conjonctures du nouvel ordre mondial obligeaient les Américains à le faire. Peu importe, sous couvert des Nations unies, avec des milliers de soldats étrangers sur le sol d’Haïti, Aristide était retourné au Palais national pour finir le reste de ses cinq ans de mandat. 

 

 

Si avec le retour de ‘Titid’, l’idole d’alors du peuple haïtien, la population était dans les rues pour acclamer celui qu’il avait voté lavalassement le 16 décembre 1990, dans la foulée, le retour était très controversé par certains proches du chef de l’État.  Il y avait des sympathisants et cadres du mouvement Lavalas qui étaient pour le retour à l’ordre constitutionnel et ceci sous n’importe quelle forme. Tandis que, d’autres qui se réclamaient comme étant des nationalistes, ils ne voulaient pas le retour de leur président avec une force étrangère sur le sol de Jean-Jacques Dessalines. Peu importe la position des uns et des autres sur le retour du président, il était retourné pour finir les derniers mois restants de son mandat, et du même coup, bien entendu, avec le support sécuritaire des soldats américains, démanteler les Forces Armées d'Haïti. Institution qui, pendant longtemps, particulièrement depuis sa création par les Américains, était trop présente sur la scène politique. À noter, avant même le démantèlement de l’armée d’Haïti, une fois que le retour du président était imminent, de son exil de Washington, avec le support des alliés de l’international, spécialement les États-Unis et la France, des structures ont été mises en œuvre pour une force de police pouvant soutenir le processus démocratique.

 

 

Alors que le général Raoul Cédras, le major Michel François et certains hauts gradés de l’armée étaient envoyés en exil, « le retour du gouvernement constitutionnel requérait l’obéissance aux dictats du FMI, excluant de la sorte toute possibilité d’une alternative « progressiste » au planning néo-libéral. De plus, les troupes américaines allaient rester dans le pays jusqu’en 1999. Les forces armées haïtiennes furent dissoutes et le département d’État américain loua les services d’une société de mercenariat, la Dyn Corp, pour fournir des ‘’conseils techniques’’ à la restructuration de la Police nationale haïtienne (PNH). » (60)

 

 

Dans l’intervalle, ils étaient nombreux, non seulement du groupe des lavalassiens et des analystes politiques nationaux et internationaux qui pensaient que « La restauration du gouvernement constitutionnel avait été négociée en huis clos avec des créanciers extérieurs de Haïti. Avant la restauration d’Aristide au poste de président du pays, le nouveau gouvernement fut obligé d’apurer les arriérés de la dette du pays vis-à-vis de ses créanciers étrangers. » (61)

Si avant, durant et après le coup de force du 30 septembre 1991, il n’y avait pas d’autres intérêts cachés de la communauté internationale, particulièrement des États-Unis, avait-on vraiment besoin d’une intervention militaire de la plus grande armée du monde pour forcer les misérables putschistes de Port-au-Prince à quitter le pouvoir et ainsi permettre le retour au pays d’un président qui avait été élu démocratiquement lors d’un scrutin fiancé et supervisé par cette même communauté internationale ?  N’était-il pas dans le plan de Washington de rentrer officiellement de force au pays quand on sait qu’un simple coup de fils sous forme d’ordre passer à Cédras et ses hommes aurait suffi pour mettre fin à leurs mascarades dilatoires de trois ans ?

 

 

Les Américains et leurs alliés dans l’international, viseraient-ils les ressources minières du pays ? Particulièrement les Américains, voulaient-ils rentrer au pays officiellement pour terminer ou poursuivre ce qu’ils avaient commencé en 1915 ? Autant de questions pour autant de réponses.  Mais une chose est, s’il n’avait pas été écarté du pouvoir, puis affaibli pendant les trois ans d’exil à Washington, un fougueux Jean-Bertrand Aristide élu légitimement avec plus de 67% de voix, mais de plus, avec sa tendance de gauche ou anti-impérialiste américain, serait un obstacle aux ambitions de Washington ?

 

 

Quoi que l’on puisse en dire ou penser, avec des troupes d’occupation et des « gardiens de la paix de 20.000 soldats, le 15 octobre 1994, après trois ans d’exil, Aristide retournait au pays comme président d’Haïti pour finir le reste de son mandat de cinq ans le 7 février 1996. « Des réformateurs du « libre marché » furent introduits dans son cabinet. Une nouvelle fournée de mesures politiques et macroéconomiques mortelles fut adoptée sous l’étiquette d’un prétendu Plan d’urgence de relance économique (PURE) « qui cherchait à réaliser une stabilisation macroéconomique rapide, à restaurer l’administration publique et à parer aux besoins les plus pressés. » (62)

 

 

Prof Esau Jean Baptiste

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