Comprendre l'Haïti d'aujourd'hui à partir des retombées négatives du coup d'État du 30 septembre 1991

TEXTE 8 Conséquences à court et à long terme des trois ans du coup d’État du 30 septembre 1991

L’instabilité politique qui suivait la chute du régime des Duvalier le 7 février 1986 avait eu des conséquences désastreuses, certes, mais dans la foulée, le coup d'État du 30 septembre 1991 contre le président Aristide et son équipe reste un handicap majeur non seulement au processus démocratique que voulait initier les dirigeants haïtiens et leurs alliés de l’international, mais il tuait aussi le rêve d’un lendemain meilleur pour les classes défavorisées dans les bidonvilles. « Le temps des coups d’État - La première élection générale sabotée dans le sang par les militaro-macoutes en novembre 1987 sera suivie de celle imposée le 17 janvier 1988, un scrutin au pas de charge : tout le monde élu au premier tour le 17 janvier 1988. - Un coup d’État en juin 1988 du général Namphy effacé par un autre coup d’État du général Avril au cours de la même année. Un protocole d’accord mis au point par l’Assemblée de concertation, un rassemblement de circonstances en lutte contre le coup d’État et formé d’organisations politiques parmi lesquelles le KONAKOM, l’ANDP, le PDCH, le PUCH et le groupe Honneur Respect Constitution, animé par le père Antoine Adrien, très actif au sein du Mouvement démocratique. Elle obtient la démission du général Avril le 10 mars 1990 et la formation d’un gouvernement provisoire présidé par la juge Ertha Pascale Trouillot le 13 mars. Il s’agit pour ce nouveau gouvernement de mener à bien le processus de la première normalisation démocratique post-Duvalier. - Des élections générales réussies avec la participation de l’ensemble des partis politiques (décembre1990- janvier 1991), mais inachevées. - Nouveau coup d’État le 30 septembre 1991 contre le président Aristide provoquant une vive réaction de la communauté internationale » (63)   

 

En mettant fin au gouvernement de Jean-Bertrand Aristide le 30 septembre 1991, les militaires avaient, pour empêcher toute mobilisation de la population contre leur régime de facto, déclenché, comme il est mentionné dans les textes précédents, une vague de répression dans les quartiers populaires, fiefs de Jean-Bertrand Aristide. Cette période de répression et d'agitation politique intense dans un pays fragile et instable qui commençait à peine à se relever des 29 années de dictature duvaliériste rendait Haïti et les masses défavorisées encore plus vulnérables tant les problèmes sociaux devenaient plus aigus. Avec l'élection du père Aristide en décembre 1990 et l’investiture de son gouvernement le 7 février 1991, il promettait d'améliorer la situation sociale, politique et économique.  Pendant les sept mois au pouvoir, le processus de changement initié par la nouvelle administration donnait espoir au peuple haïtien, particulièrement les gens des classes défavorisées de retrouver un pays égalitaire et économiquement viable. 

 

Malheureusement, durant les trois ans du coup de force des militaires putschistes, les partisans du prêtre président étaient persécutés sur tous les fronts par les escadrons de la mort de Cédras et de Michel François. Ainsi, dans bien des cas, pour se mettre à couvert contre ces cannibales, ils étaient obligés, dans des petits voiliers de fortunes, de risquer leurs vies en haute mer.  

Le phénomène des ‘’Boat people’’

Pour se mettre à couvert contre la répression des militaires, des milliers de personnes avaient, sur des petits bateaux, quitté Haïti pour aller se réfugier soit aux États-Unis ou dans d’autres pays de la région.  

Entre-temps, pour dissuader les Haïtiens à ne pas rentrer illégalement aux États-Unis, le gouvernement américain classait les Haïtiens comme des « réfugiés économiques » plutôt que des « victimes de répression politique » (AFP 28 nov. 1991, 1).  « La plupart des Haïtiens ont quitté leur pays dans l'espoir de trouver refuge aux États-Unis. Le gouvernement américain a toutefois mis en œuvre une politique d'interdiction qui vise à empêcher les Haïtiens d'atteindre ses côtes. Jusqu'au 24 mai 1992, la Garde côtière des États-Unis interceptait en eaux internationales les réfugiés de la mer des Haïtiens et les envoyait à la base navale de Guantanamo Bay, à Cuba, pour y faire étudier leurs demandes. Le 24 mai 1992, le président Bush a déclaré qu'en raison de l'entassement des réfugiés à cet endroit, la situation était devenue « dangereuse et difficile à maîtriser », et il a émis une ordonnance administrative autorisant la Garde côtière à intercepter les Haïtiens en mer et à les refouler dans leur pays (AP, 24 mai 1992). L'ordonnance, entrée en vigueur le 25 mai 1992, ne vise pas les 12 000 Haïtiens qui se trouvent actuellement à la base navale de Guantanamo Bay (ibid. 25 mai 1992). » (64)

Tout en faisant semblant d’ignorer les vraies raisons qui avaient poussé les Haïtiens à risquer leurs vies en haute mer, à savoir : les répressions des militaires, le président américain minimisait le déplacement en disant que c’est « La misère qui est à l'origine de vagues de boat-people haïtiens qui cherchent à immigrer aux États-Unis. L'US Coast Guard renvoie 538 Haïtiens dans leur pays le 15 novembre 1991. Le Kennebunkport Order qui prévoit de renvoyer systématiquement les boat people à Haïti, signé par George H. W. Bush en mai 1992, est contesté par le candidat Bill Clinton. » (65)

« Le gouvernement Bush a déclaré que cette ordonnance a pour objet de dissuader les Haïtiens de se rendre aux États-Unis. On incite plutôt les chercheurs d'asile à présenter leur demande à l'ambassade des États-Unis à Port-au-Prince (The Washington Post, 25 mai 1992). Selon le New York Times, « le gouvernement haïtien appuyé par les militaires a déclaré qu'il ne persécutera pas les réfugiés qui procèdent de cette façon » (25 mai 1992). » (66)

Bien que les raisons ayant poussé les Haïtiens à risquer leurs vies en haute mer étaient complexes, il était toutefois évident que le déplacement en foule des supporteurs Aristide avait eu ses racines dans le coup de force des militaires. Un fait est certain, après le coup d’État, les militaires putschistes persécutaient jours et nuits les partisans d’Aristide. Ce qui entrainait un va-et-vient général dans le pays.  Quand les gens ne se déplaçaient pas d’une ville à des zones très reculées du pays, ils avaient pris le risque de s’embarquer dans de petits voiliers de fortune, question de trouver refuge à l’étranger. « Au lendemain du coup d'État militaire de septembre 1991, un nombre considérable d'Haïtiens ont fui le pays pour trouver refuge à l'étranger.  Comme semblent l'indiquer de nombreux cas de violation des droits de la personne commis sous l'égide des militaires, il y a suffisamment de preuves que la crainte d'être maltraité en Haïti est un motif de fuite important ; il faut aussi tenir compte des effets dévastateurs des sanctions économiques imposées par l'OEA sur ce pays déjà pauvre. Les Haïtiens font maintenant face à des pénuries de nourriture et de médicaments, et ce sont les régions rurales les plus démunies qui sont les plus touchées. » (67)

En raison de leur proximité géographique, plusieurs pays du continent américain accueillaient la plus grande partie des chercheurs d'asile haïtiens. Mais, vu l’histoire récente de voyages clandestins, surtout durant les années 1980, entre Haïti et les États-Unis, il était beaucoup plus facile pour ces Haïtiens qui étaient persécutés par les putschistes à cause de leur appartenance politique de se faire embarquer du côté de la Floride. Ainsi, les États-Unis, le grand voisin de la région était, à l’époque, le plus sollicité. « Les États-Unis procurent un refuge temporaire à des milliers d'entre eux, d'autres pays ont accordé l'asile (définitif ou temporaire) aux Haïtiens, et des organismes internationaux, comme le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et la Croix-Rouge internationale, jouent un rôle important pour ce qui est d'aider les chercheurs d'asile. Ces organismes ont incité des pays à accueillir les chercheurs d'asile haïtiens et ont offert de défrayer une partie des programmes de réinstallation et de participer, dans la mesure du possible, à l'exécution des programmes de rapatriement. » (68)

« Peu de temps après le coup d'État, le gouvernement des États-Unis et le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont demandé à plusieurs pays d'Amérique latine d'accueillir un certain nombre d'Haïtiens se trouvant à la base navale de Guantanamo Bay (Reuter, 15 nov. 1991, 1). Certains de ces pays ont acquiescé à cette demande, d'autres l'ont rejetée. » (69)

« La Barbade et la République dominicaine sont deux des états qui ont refusé de recevoir des chercheurs d'asile haïtiens. Bien qu'un nombre important d'Haïtiens se soient réfugiés en République dominicaine depuis le coup d'État, le gouvernement de ce pays ne veut pas ou ne peut pas les protéger. Dans son rapport du mois de novembre, la Commission d'enquête haïtienne sur le coup d'état du 30 septembre écrit ce qui suit sur le traitement réservé aux Haïtiens en République dominicaine. » (70)

« Les réfugiés sont arrêtés, battus, volés et pourchassés par l'armée dominicaine, au lieu d'être accueillis comme des personnes qui fuient un régime de terreur. Pendant ce temps, les auteurs de la violence, des militaires, sont autorisés à franchir librement la frontière et à obtenir des réserves de nourriture et de carburant, ce qui viole l'embargo international contre le régime illégal (28 nov. 1991, 1). » (71)

« Jamaïque est un des pays qui ont accepté d'accorder l'asile temporaire à des chercheurs d'asile haïtiens ; à la demande des États-Unis, ce pays a accueilli une centaine d'Haïtiens en novembre 1991 (BBC Summary, 23 nov. 1991). Trinidad et Tobago a aussi convenu d'accueillir, à titre temporaire, entre 100 et 500 des Haïtiens interceptés en mer par La Garde côtière des États-Unis ; cependant la politique de ce pays à l'égard des chercheurs d'asile demeure ambiguë. Après l'élection d'un nouveau Premier ministre, le 16 décembre 1991, le gouvernement a déclaré qu'il n'accueillerait aucun Haïtien (BBC Summary, 19 déc. 1991 ; ibid. 18 nov. 1991). On ne sait avec certitude si, à ce jour, Trinidad et Tobago a ou non accueilli des chercheurs d'asile. » (72)

« Au nombre des pays qui ont convenu d'accueillir des chercheurs d'asile à titre permanent figure le Bélize, qui a accepté de procéder à la réinstallation d'une centaine d'Haïtiens « à la condition qu'ils subissent un test du virus [VIH] et que le résultat soit négatif » (Reuter, 15 nov. 1991, 1). Cuba a accepté d'accorder le statut de réfugié à 62 Haïtiens à la condition que le HCR examine leurs demandes (AFP 11 mars 1992). Selon le sous-ministre cubain des Affaires étrangères, Cuba a « donné refuge à 1 441 Haïtiens qui avaient fait naufrage au large des côtes de Cuba, à l'extrémité orientale de l'île » (ibid.). La Guyane a aussi accueilli une centaine d'Haïtiens, encore qu'en février 1992 on n'avait pas confirmé la réinstallation de ces derniers dans ce pays.» (73)

« Selon le ministre des Affaires étrangères du Honduras, le HCR a demandé que le gouvernement hondurien accorde l'asile à un certain nombre d'Haïtiens, déclarant qu'il partagerait les coûts qu'engendrerait l'accueil des réfugiés (Inter Press Service, 15 nov. 1991). Bien que les informations divergent quant au nombre exact d'Haïtiens que le Honduras a accueilli, on estime qu'au mois de février 1992, entre 250 et 350 chercheurs d'asile y avaient été acceptés (AFP 28 nov. 1991, 1; Xinhua 11 fév. 1992). Outre ces personnes, un nombre indéterminé d'Haïtiens dont la demande de statut de réfugié aux États-Unis avaient été rejetée ont été envoyés au Honduras le 22 novembre 1991 à la demande du HCR ; ces personnes provenaient vraisemblablement de la base navale de Guantanamo Bay (The Christian Science Monitor, 6 fév 1992, 4). Bien que l'on n'ait pas accordé le statut de réfugié aux chercheurs d'asile, ils sont autorisés à demeurer au Honduras « jusqu'à ce que la crise à Haïti soit résolue » (ibid.). En revanche, les conditions de vie au Honduras seraient insatisfaisantes ; les chercheurs d'asile vivent dans un camp placé sous la garde des militaires honduriens et « ne peuvent partir sans l'autorisation du gouvernement » (ibid.). » (74)

« Après avoir accordé l'asile au président Aristide, le Venezuela a proposé d'accueillir une centaine de chercheurs d'asile (AFP 16 nov. 1991). Cependant, les informations varient quant au nombre exact de réfugiés qui ont été accueillis » (75)

Le coup d’État du 30 septembre n’avait pas seulement forcé les gens, particulièrement les supporteurs d’Aristide à quitter le pays, il avait aussi des conséquences négatives sur l’économie haïtienne.

 

L’embargo imposé aux putschistes avait, et en a encore aujourd’hui, plus de conséquences sur les masses défavorisées. 

 

Afin de faire pression sur les leaders du putsch aussi bien que leurs alliés qui faisaient du sur-place en Haïti, la communauté internationale avait, lors des trois ans du coup d’État, imposé un embargo contre les chefs rebelles d’Haïti.  Malheureusement, au lieu de forcer les autorités de fait de Port-au-Prince de faire marche arrière, au contraire, cet embargo avait, à court terme, de sérieux impacts négatifs sur les gens de la classe défavorisée qui vivaient au jour le jour d’une économie haïtienne déjà moribonde, mais dans le long terme, il paralyse le pays économiquement pour de longues et de très longues années. Dans l’intervalle, les putschistes et leurs alliés s’enrichissaient par le truchement de la contrebande, entre autres. « Entre-temps les prix pour les produits alimentaires et autres biens de consommation ont monté en flèche, lorsque les amis du régime ont saisi l’occasion pour en profiter. Il a paru que l’embargo n’était pas du tout dirigé contre le régime militaire haïtien, mais visait plutôt à obliger les ouvriers et les paysans appauvris de passivement accepter tout régime que les États-Unis veulent imposer » (76)

Histoire de l’embargo durant le coup de force des putschistes

 

Le 8 octobre 1991, l'Organisation des États américains, suivie par la Communauté européenne, met en place un embargo pour sanctionner le coup d'État de Raoul Cédras contre le président Jean-Bertrand Aristide, fraîchement élu (77).

 

Le 3 juin 1993, le Conseil de sécurité des Nations unies par la résolution 841 met en place un embargo sur les produits pétroliers1, ainsi sur l'armement contre Haïti. (78)

 

En juillet 1993, Raoul Cédras et Jean-Bertrand Aristide signe un accord, en réaction en août le Conseil de sécurité par la résolution 861 annule ses sanctions. Mais l'accord est annulé peu de temps après, à la suite du revirement du régime militaire. Après cet épisode, en octobre, le Conseil de sécurité par la résolution 875 remet en place l'embargo sur les produits pétroliers et les armes. (79)

 

Le 7 mai 1994, le Conseil de sécurité des Nations unies vote un embargo quasi complet prenant effet le 21 mai contre Haïti, à la suite de l'absence d'évolution de la situation politique. Cet embargo exclut les produits alimentaires, l'essence et les produits médicaux. Ces sanctions incluent également des interdictions de voyager pour la personnalité du régime militaire, et une interdiction de vols pour les avions militaires d'Haïti (80)

 

En septembre 1994, l'embargo est suspendu par le conseil de sécurité, puis cette suspension est définitivement actée en octobre 1994 (81)

 

Ces sanctions et notamment les différents embargos sont vivement contestés étant donné leur impact sanitaire et humanitaire sur la population civile haïtienne. En novembre 1993, une étude d'Harvard nommée Sanctions in Haïti : Crisis in Humanitarian Action parle d'une forte augmentation de la mortalité infantile de l'ordre de 33 %, avec plus de 100 000 cas de malnutritions supplémentaires. L'étude affirme que si l'embargo ne porte pas légalement sur les produits alimentaires et médicaux, en pratique ces produits sont soumis à l'embargo. De plus, la distribution humanitaire est mise en difficulté du fait du manque de matériels pour assurer le transport de nourriture notamment. (82)

 

On se demandait, comment les militaires et leurs gouvernements civils de doublure avaient pu survivre aussi longtemps à un embargo imposé par la communauté internationale ? Pour que l’embargo puisse donner les résultats escomptés, à savoir, forcer les militaires à quitter le pouvoir pour le retour d’Aristide, il fallait un contrôle strict sur la frontière haïtiano-dominicaine, mais c’était le contraire. On dirait que quelque part, il y avait une complicité de la communauté internationale pour permettre aux putschistes de rester beaucoup plus longtemps au pouvoir. Durer pour faire quoi ? Peu importe la réponse, ils étaient nombreux ceux-là qui reprochaient à la communauté internationale, particulièrement les États-Unis, leur laxisme et incohérence dans ce dossier.

 

Du départ de Jean-Claude Duvalier en février 1986 à l’arrivée de Jean-Bertrand Aristide à la présidence en février 1991, avec consécutivement des coups d’État et des gouvernements éphémères, Haïti avait expérimenté une instabilité politique chronique.  De cette instabilité continue, l'économie haïtienne avait connu de profondes mutations. Et cela, fort souvent, dans la mauvaise direction. L’arrivée d’Aristide à la présidence n’avait pas pour autant changé les données politiques.  Puisque quelques mois seulement après son investiture le 7 février 1991, il y avait eu un coup d’État sanglant contre son régime.  Selon Thomas Lalime de 1990 à 1999, « cette décennie n'a pas été plus calme sur le plan politique. Économiquement, elle a été la pire des quatre dernières décennies avec un taux de croissance moyen de -0,12 %. Cette décennie coïncidait avec l'élection démocratique de Jean-Bertrand Aristide à la présidence de la République d'Haïti. Ce dernier allait être renversé 7 mois plus tard par un coup d'État des Forces armées d'Haïti. Ce coup d'État va avoir des conséquences néfastes sur l'économie haïtienne puisque les États-Unis d'Amérique, l'un des tout premiers partenaires commerciaux d'Haïti, avait décrété un embargo commercial à son encontre. L'économie haïtienne a enregistré durant cette période d'embargo son pire taux de croissance sur les quatre dernières décennies, -11,9 % pour l'année fiscale 1993/1994, peut-être la pire performance depuis que le pays a commencé à comptabiliser son PIB réel. » (83)

 

 

 « Haïti continue de souffrir des conséquences du coup d'État de 1991. Les politiques économiques et financières irresponsables des autorités de facto ont grandement accéléré le déclin économique. À la suite du coup d'État, les États-Unis ont adopté des sanctions et l'Organisation des États américains a institué des sanctions volontaires visant à restaurer le gouvernement de droit. Les sanctions internationales ont culminé avec l'embargo des Nations unies sur les biens, excepté l'aide humanitaire, en mai 1994. » (84)

 

« Le secteur manufacturier, grandement dépendant des marchés américains pour leurs produits employait environ 80 000 salariés dans le milieu des années 1980. Pendant l'embargo, l'emploi manufacturier diminuera de 33 000 salariés en 1991 à 400 en octobre 1994. » (85)

 

Selon le constat de certains économistes, il a fallu seize ans à l'économie haïtienne pour dépasser la valeur du produit intérieur brut (PIB) réel de 1991, celui d'avant le coup d'État militaire « En clair, l'économie haïtienne avait connu seize ans de récession si l'on compare les niveaux de PIB de 2006/2007 à celle de 1991/1992 aux prix constants de 86/87. Pour l'année fiscale 1991/1992, le PIB réel était de 13 390 millions de gourdes alors qu'en 2006/2007, il était de 13 529 millions de gourdes. Cependant, si l'on tient compte du taux de change gourdes/dollar américain, le PIB réel en 2006/2007 (356 millions de dollars) demeure très inférieur à celui de 91/92 (1 625 millions de dollars) ; puisque ce taux de change est passé de 8,24 à 38 gourdes pour un dollar américain au cours de la période en question. On peut ainsi dire que l'économie haïtienne a pris plus de 16 ans pour se refaire une santé à la suite des méfaits du coup d'État et de l'embargo.  (86) 

 

 « L'aide extérieure est essentielle pour le futur développement économique du pays, le moins développé dans les Amériques. Les indicateurs sociaux et économiques comparatifs montrent qu'Haïti traîne derrière d'autres pays en développement à faibles revenus (en particulier dans l'hémisphère ouest) depuis les années 1980. La stagnation économique provient de mauvaises politiques économiques, de l'instabilité politique, une pénurie de bonnes terres arables, une détérioration environnementale, l'utilisation continue de technologies obsolètes, la sous-capitalisation et le manque d'investissement public dans les ressources humaines, l'émigration de grosses portions de la main-d'œuvre qualifiée, et un taux d'épargne national faible. » (87)

 

Comme tant d’autres aspects de la vie nationale, l’instabilité politique, le déplacement des gens d’une ville à une autre ou du pays vers l’étranger, ajouté aux crises économiques, ces effets négatifs avaient et continuent d’avoir de conséquences graves sur l’agriculture du pays. 

Le sort de l’agriculture haïtienne

Tout en quittant leur terre, avec le départ, soit forcé ou volontaire des paysans dans d’autres zones, du pays agricole qu’il était, Haïti, de jour en jour « s’installe dans une nouvelle identité : pays de potentiels immigrés, essentiellement. Il y a plus d’Haïtiens émigrés qu’il n’y en a d’actifs dans l’agriculture. Les revenus transférés vers Haïti par la diaspora dépassent la part de l’agriculture dans le produit intérieur brut (PIB). Si partir attire de plus en plus d’Haïtiens, l’agriculture peine à trouver des bras pour ses champs. » (88)

 

« L'instabilité politique qui règne dans le pays depuis toujours est défavorable au développement du secteur ; aucune politique agricole durable n'a pu pas être mise en place sur le fond des conflits internes. La préoccupation des gouvernants a toujours été loin d'être celle de s'occuper des besoins du monde rural qui se retrouve jusqu'ici livré à son propre sort. Les maigres productions sont parfois restées sur les exploitations à cause du blocage des routes ou de l'inaccessibilité des zones urbaines en proie à une constante insécurité. » (89)

 

Ainsi, comme beaucoup d’autres crises précédentes et d’instabilité politique qui régnaient dans le pays, le coup d’État du 30 septembre 1991 avait aussi des conséquences négatives sur l’agriculture haïtienne. En un mot, l’agriculture avait, en quelque sorte, elle aussi, subi les frais du putsch de septembre 1991.  Comme les partisans du président Aristide étaient persécutés dans tout le pays, ils étaient nombreux ceux qui avaient laissé leurs morceaux de terre soit pour se mettre à couvert dans d’autres villes ou des pays de la région.  Dans la majeure partie des cas, même après le retour du président de l’exil en octobre 1994, ces gens ne s’étaient plus retournés dans les zones respectives, ainsi ces terres étaient abandonnées et cela entraînait un impact négatif sur une économie déjà fragile.

 

Le coup de force des militaires putschistes et leurs alliés de l’international n’avaient pas seulement des conséquences négatives sur l’agriculture haïtienne, il avait aussi affaibli le pouvoir de l’idole du peuple haïtien. Avec le coup d’État du 30 septembre 1991, quoique retourné après trois ans d’exil, les négociations et la feuille de route imposées par l’international allaient diminuer sinon empêcher la concrétisation du rêve fou que le peuple nourrissait lavalassement à l’endroit de son idole.

 

 

Prof Esau Jean Baptiste

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