Comprendre l'Haïti d'aujourd'hui à partir des retombées négatives du coup d'État du 30 septembre 1991 Texte 9

Aristide était forcé de partir pour retourner affaibli

 

 

Certes, il y avait des persécutions politiques sur les partisans du président Aristide par les hommes de main de Cédras et de Michel François. La presse, elle aussi, n’avait pas été épargnée. Le coup d’État du 30 septembre avait, à travers des persécutions politiques, forcé les gens dans les quartiers populaires, les grandes villes ou les zones les plus reculées du pays à risquer leurs vies sur des petits voiliers d’embarcation vers les rives floridiennes aux États-Unis ou vers d’autres pays de la région. De plus, l’embargo imposé aux putschistes et leurs alliés dans le secteur des affaires pour les forcer à quitter le pouvoir et du même coup permettre à Aristide de retourner au pays faisait, dans le domaine de l’économie, beaucoup de mal au pays, comme le constatent des économistes.

 

 

Mais ce n’est pas seulement cela, puisqu’avec le temps, le coup de force des militaires avait changé aussi certains hommes du secteur populaire, particulièrement le leader du mouvement Lavalas, le président Jean-Bertrand Aristide. En quoi l’homme qui sortait de l’exil était différent du jeune activiste fougueux, obstiné à l’idée de changement qui était élu le 16 décembre 1990 ?

 

 

Ce n’était plus le même Aristide qui était retourné au pays le 15 octobre 1994. Était-il dépassé par les conjonctures de la politique internationale ?  Ou le mode de vie qu’il vivait à Washington, la capitale américaine pendant les trois ans d’exil était suffisant pour le forcer à négocier avec le capitaliste ‘’péché mortel’’ ?  Ou mieux, était-il le prix à payer aux packages pour prendre le transport du retour au pouvoir sous les ailes de l’aigle ? 

 

 

Peu importe les causes ou raisons derrière ce changement, Aristide n’est pas ou ne serait plus jamais le Titid de Saint Jean Bosco qui réclamait une rupture du pouvoir ‘’peze souse’’ d’un gouvernement en général de l’État haïtien qui a toujours été antinational, antipopulaire et lié aux intérêts impérialistes. Il ne parle que rarement.  Il a grandi, disent ses supporteurs. 

 

 

Mis à part de ses déceptions avec des politiciens traditionnels du pays, comme il a vieilli, c’est normal qu’il n’ait pas les mêmes énergies, diraient plus d’un. Ou s’il est encore le même Titid qui rêve d’un changement social et économique pour les pauvres, dans la foulée, il n’a plus de marges de manœuvre voire la même fougue. Il est coincé.

 

 

Autant d’explications ou de tentatives de réponses.  Cependant, pour Camille Chalmers : « Le mouvement populaire en Haïti a reçu des coups très durs, en particulier par suite du coup d’État de 1991. Ce mouvement a également souffert d’une polarisation énorme autour de la question d’Aristide puisqu’une partie du mouvement est restée fidèle à Aristide et qu’une autre partie s’est rendu compte de sa soumission au projet impérialiste. »  (90)

 

Avec le retour du président Aristide sous les ailes de l’aigle impérialiste ou des soi-disant amis de la communauté internationale après trois ans d’exil dans la capitale américaine, c’était une force étrangère qui « a dû intervenir pour arrêter le mouvement qui était en train de mettre en place une démocratie plus participative et une économie plus populaire, »

 

Dans le texte La crise en Haïti, lors d’un entretien en date du jeudi 16 février 2006, Camille Chalmers pense que « des puissances étrangères appréhendent les conséquences de ces élections pour leurs intérêts. Les États-Unis sont particulièrement inquiets et, comme souvent quand leurs « intérêts stratégiques » sont menacés, des mesures radicales sont mises en place : ils appuient un coup d'État pour contrer la démarche d’Aristide. » (91)

 

 Alors que les membres de la junte militaire étaient envoyés en exil, le retour du gouvernement constitutionnel requérait l’obéissance aux dictats du FMI, excluant de la sorte toute possibilité d’une alternative « progressiste » au planning néo-libéral. De plus, les troupes américaines allaient rester dans le pays jusqu’en 1999. Les forces armées haïtiennes furent dissoutes et le département d’État américain loua les services d’une société de mercenariat, la Dyn Corp, pour fournir des « conseils techniques » à la restructuration de la Police nationale haïtienne (PNH). (92)

 

Au beau milieu des années 1980, Jean-Bertrand Aristide était un jeune et conflictuel curé qui dans ses discours était très amer contre les bailleurs de fonds internationaux. C’était ce genre de discours ou de messages conflictuels à l’église catholique Saint Jean Bosco dans un quartier pauvre de Port-au-Prince qui, au côté d’autres batailles politiques que menaient des combattants sur le terrain, avaient aidé à l’effondrement de la dictature des Duvalier le 7 février 1986.  Comme il continuait dans ses prises de position contre l’impérialisme américain et les bailleurs de fonds internationaux, plus tard, Aristide était devenu le porte-parole d’un mouvement populaire grandissant contre les régimes militaires qui avaient dirigé́ l’Haïti post Duvalier. Depuis, beaucoup d’eau avait coulé sous le pont. Ainsi, il était devenu président. Puis vint le coup de force des militaires et l’exil à Washington.

 

Comme les années passent, mais ne se ressemblent pas, ainsi était le président qui revenait de son exil de trois ans de Washington, la capitale américaine. Ce qui fait, pour se retourner au pays «la restauration du gouvernement constitutionnel avait été négociée en huis clos avec des créanciers extérieurs de Haïti. Avant la restauration d’Aristide au poste de président du pays, le nouveau gouvernement fut obligé d’apurer les arriérés de la dette du pays vis-à-vis de ses créanciers étrangers. En fait, les nouveaux prêts consentis par la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de Développement (IDB) et le FMI furent utilisés pour honorer les obligations de Haïti vis-à-vis de ses créanciers internationaux. De l’argent frais fut utilisé pour rembourser d’anciennes dettes, ce qui provoqua une spirale de la dette extérieure. » (93)

 

Définitivement, l’Aristide qui était retourné en 1994 était différent de celui qui avait quitté le pays le 30 septembre 1991. On dirait que la copie est bien différente de l’originale. « Le pays, au retour du Président Aristide, sortait de trois années de répression des militaires putschistes de Port-au-Prince. De nombreux programmes d’aide immédiate ont été mis en place, notamment avec les fonds publics, comme les ‘petits projets de la Présidence.  Ces projets loin d’avoir donné les résultats escomptés, en particulier à cause de détournements et gaspillages de toutes sortes, ont également créé un clientélisme dans la tradition ‘présidentielle’ du pouvoir (Duvalier lançait de l’argent à la foule sur son passage, Aristide distribue chèques et dons), qui va rendre la phase d’austérité encore plus difficile à accepter par des secteurs désormais habitués á la manne étatique. » (94)

 

 

Selon l’ancienne Première ministre Michèle Duvivier Pierre Louis, «il y a une ambiguïté au retour d’Aristide.  Ambiguïté faite d’abord au fait qu’il soit revenu avec 20,000 soldats américains. Lui qui avait été très critique envers l’impérialisme américain. Donc on peut comprendre qu’il avait un compromis ou ce retour a été négocié non en faveur du pays, mais au profit du président en exil. » (95)

 

 

Et pourtant, quoique le retour était critiqué par des sympathisants et pseudo-nationalistes proches du régime, ils étaient nombreux ceux-là qui pensaient que, dans une certaine mesure, des progrès avaient été réalisés par l’équipe gouvernementale qui était retournée au pouvoir après le 15 octobre 1994. Leurs arguments se basaient sur les élections législatives organisées sous l’administration du Premier ministre Smack Michel dans un premier temps, et dans l’autre, le scrutin présidentiel de décembre de la même année (1995) qui s’était déroulé sous le gouvernement du Premier ministre Claudette Werleigh.  

 

 

Mais à quoi ou comment pouvait-on attribuer le succès du retour au pouvoir d’Aristide et de son clan à seulement des élections présidentielles et législatives ? Si les élections sont considérées, à juste titre, comme un signe de progrès de toute démocratie, on a le droit de croire qu’on était sur la bonne voie dans la mesure où elles avaient été organisées selon les échéances constitutionnelles. De plus, les élus avaient pu, selon les lois électorales d’alors, prêter serment à temps. Au vu et au su de ce qui s’était passé avant le coup d’État et après le retour à l’ordre constitutionnel, n’est-on pas en droit de se demander où donc est passé le progrès économique et social ?  En tout cas, si progrès économique, il y en avait, c’était seulement au bénéfice des ténors du mouvement lavalas.  Le peuple avait-il été aux urnes le 16 décembre 1990 ou risquait-il sa vie pendant les trois ans du coup d’État sanglant des militaires pour pouvoir créer seulement de nouveaux riches ?

 

 

Quoiqu’il en soit, pendant que dans les bidonvilles de Cité Soleil, Solino, La Saline (Port-au-Prince), Raboteau (Gonaïves), La Fossette (Cap-Haïtien) et Saint Hélène (Jérémie) des masses défavorisées croupissent dans la crasse, certains proches du pouvoir qui, avant les élections de décembre 1990 étaient considérés comme des pauvres, étaient passés de statut de pauvres à millionnaires. C’est probablement ce changement économique que certains proches du pouvoir avaient estimé comme progrès économique. « Dans les cercles proches du pouvoir, on estime que des progrès ont été accomplis sur les plans politique et économique. Ils évoquent que des élections législatives démocratiques se sont tenues pendant l'été 1995, malgré quelques difficultés d'ordre logistique. Les élections présidentielles se sont déroulées sans entrave le 17 décembre 1995 et le transfert sans heurts des pouvoirs au nouveau président a eu lieu le 7 février 1996. » Et « À la demande du Président d'Haïti, le mandat de la MINUHA a été prorogé jusqu'à la fin de juin 1996. » (96)

 

Beaucoup se demandaient : comment un homme aussi populaire et proche des classes défavorisées n’avait pu rien faire pour ses supporteurs tant l’attente et la confiance qu’elles avaient placée en lui étaient si grandes ?  Les opposants au régime du président Aristide trouveraient, à leurs façons, des arguments pour expliquer l’échec de l’élu du 16 décembre. D’autres diraient que celui qui était retourné en Haïti le 15 octobre 1994 était complètement différent de celui qui avait prêté serment le 7 février 1991.  

 

Oui, comme tous ceux-là qui l’avaient précédé et qui n’avaient pu rien faire pour les classes les plus pauvres de ce pays, Aristide avait lamentablement échoué. De toute évidence il faut être aussi de ceux-là qui opposaient à son avènement au pouvoir avant même son investiture le 7 février pour ne pas reconnaître aussi que le prêtre des bidonvilles était animé de bonne volonté. Oui, on peut tout lui reprocher pendant les sept mois de gouvernance de son mandat.  Mais, l’histoire retiendra, mis à part qu’il avait à faire face au statut quo d’un petit groupe de réactionnaires qui, depuis 1804 a toujours voulu toutes les richesses du pays, il était aussi, coincé par les grandes puissances économiques du monde. 

      

Dans l’intervalle, pendant que certains analysaient les raisons et conséquences du retour d’Aristide avec les marines américaines en Haïti 1994, d’autres dans leurs compréhensions, estimaient que les soldats de la plus grande puissance militaire au monde étaient aussi au pays pour d’autres missions officieuses à savoir :  

 

Prof Esau Jean Baptiste

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