Occupation ou intervention des mots à nos maux

Si la propagande est à la démocratie ce que la violence est aux dictatures pour Chomsky, comme linguiste nous pensons que le choix de ses mots n’est pas innocent. Toutefois, la propagande, dans le pays Orwellien, a tout un ministère à elle seule où les régimes totalitaires étudient et mettent en place des mécanismes de contrôle de la pensée collective, d’orientation de l’opinion publique. Si l’on revient à la citation de Chomsky on pourrait déduire qu’il y a une différence entre la violence et la propagande, mais pas du tout ou presque pas. La propagande sert la même fonction que l’on soit dans un régime totalitaire ou dans un régime démocratique. Faire accepter la violence comme légitime quand ce n’est pas également légale.

Chaque mot charrie une charge sémantique qui lui donne tel ou tel sens par rapport à un ensemble de facteurs que l’on peut résumer dans un cadre spatio-temporel. Qui a dit quoi, quand, pourquoi, dans quelle circonstance? La position de l’émetteur, sont entre autres des situations qui peuvent contribuer à donner un sens à un mot, une phrase, un discours et ajouter à tout cela, la situation du récepteur au moment du message sans vouloir reprendre le schéma classique de la communication de Jakobson avec tous ses éléments constituants. 

Depuis la semaine dernière l’actualité politique, la seule qui existe depuis un certain temps, en Haïti est dominée par certains mots qui vont dans un avenir proche engendrer des maux dans un camp ou l’autre ou bien dans les deux. Et les maux engendrés n’auront pas la chance d’être explicités par les mêmes mots. Il y a encore des confusions autour de la question qui devrait être éclaircie par le gouvernement, mais l’imprécision est une bonne qualité du communicant gouvernemental. Certains parlent d’occupation, d’autres d’intervention militaire. On a connaissance d’une lettre qui a été adressée au secrétaire général des Nations unies, mais les États-Unis s’en charge déjà à un certain niveau. Tout comme en 1915 ils sont là pour protéger les investissements américains. Et on connait la suite. L’Amérique aux Américains des États-Unis d’Amérique. Par le Hard Power ou le soft Power. Tous les mécanismes sont en place pour obtenir ce qu’ils veulent et quand ils le veulent.

Certes, une demande a été adressée aux Nations Unies par le gouvernement haïtien et dans la dernière session de l’OEA, la situation d’Haïti était sur la table des discussions. Tout cela dans un cadre multilatéral. À cette préoccupation de plus d’un sur la question de savoir si c’est une occupation ou une intervention. Que dire ? Dans le cas où il s’agirait d’une force multinationale, que ça soit régional au niveau de l’OEA ou intercontinental à travers une décision du Conseil de Sécurité de l’ONU il serait mieux de parler d’intervention militaire étrangère. Mais dans un cadre bilatéral qui ne serait autre que les États-Unis d’Amérique, on parlerait plutôt d’occupation. Même s’ils ont les stratégies et assez d’influences pour donner la vraisemblance d’un consensus multilatéral. Le vocabulaire est   assez riche pour trouver des mots et des euphémismes qui nous feront avaler la couleuvre.

Personnellement, je suis contre cette démarche qui est un aveu d’incapacité, d’inapplicabilité d’un principe fondamental dans l’existence d’un État sur la scène internationale. Le principe de l’autodétermination des peuples. Nous nous déclarons État, c’est-à-dire Puissance dans le langage des relations internationales, une entité indépendante qui devrait pouvoir exercer sa souveraineté sur un territoire donné. Pourtant nous sommes incapables aujourd’hui d’avoir le contrôle de ce territoire. Je crois fermement que nous devrions tenter de résoudre notre problème par nous-mêmes. J’en ai fait une pétition pour dire non à cette intervention ou occupation. Un ami m’a demandé quelle est la force d’une pétition dans cette circonstance. Je sais bien et pertinemment que sa force est très faible dans une telle conjoncture. Moi, j’ai dit NON et j’ai fait ce que je peux. Cet article est la continuité de ma démarche.

S’ils doivent venir, je ne vais pas tenir tête ou me faire tuer en martyre. Toutefois l’expérience des interventions des troupes étrangères me pousse à nous avertir de nous préparer à ces styles souples dans les discours à venir.

Une perte collatérale sera une façon pour nous dire que les civils non armés qui n’étaient pas des cibles ont été tués. Aujourd’hui, principalement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, dans notre voisinage il y a un gang, un membre influent ou un chef. Je ne pense pas que quelqu’un soit prêt pour les pertes collatérales. Puisqu’il y a ses proximités géographiques. On va peut-être entendre parler des « frappes chirurgicales » cela voudra dire bombardement qu'on espère précis en raison de la proximité de civils. Pour parler de l’intervention américaine en Somalie que nous connaissons sa situation aujourd’hui, on parlait d’« Effort pour soulager et Mission de compassion ». Craignons aussi que les chefs rebelles pour qui l’intervention ou l’occupation a été demandée ne soient pas des martyrs ou des révolutionnaires dans l’histoire future.

Je termine donc avec cette citation de Léo Ferré dans La solitude : « Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l’appellerons «bonheur», les mots que vous employez n’étant plus«les mots», mais une sorte de conduit à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience ».

 

Jean Odelin CASSEUS

Politologue

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