Haïti : comprendre l’insécurité ambiante

D’aucuns parlent de sécurité en termes de présence de forces armées légitimes occupant un espace géographique avec une capacité d’opposition efficace aux dérives nuisibles au bien-être collectif. Une telle approche semble être très loin d’une jugulation de l’insécurité lorsqu’elle peut se manifester en des formes beaucoup moins perceptibles aux institutions et aux gens armés. Donc, dans le cadre de l’insécurité ambiante en Haïti, aucune réponse sérieuse ne semble pouvoir adresser cette problématique en dehors d’une approche historique. Le présent cadre analytique propose un repère temporel de trois périodes : de l’indépendance haïtienne à l’occupation américaine (I), de l’occupation américaine à 1964 (II) et de 1964 à nos jours (III).

 

I. De l’indépendance à l’occupation américaine. -

 

Durant cette période, tout le paradigme sécuritaire s’articulait autour d’une occupation militaire périphérique du territoire d’Haïti avec des infrastructures de fortification et des hommes aux aguets toujours en préparation contre un possible retour des Français. Tandis que de l’intérieur se dessine un découpage géographique digne d’un labyrinthe que seuls les chefs de guerre régionaux ne maitrisent, sans partage ni mise en commun. Chaque chef ou commandant bénéficiait d’une grande marge de manœuvre pour veiller, avec sa troupe et en bon père de famille, au grain de la liberté générale. Ainsi, les  stratégies, les cachettes  d’armes et de munitions sont gardées jalousement secrètes comme des trésors des Templiers. Tout ceci, pour préserver la liberté et  contourner des fréquentes battues organisées dans le passé par l’ennemi sous  l’instigation des traitres avec des chiens de chasse .

 

Donc, après l’indépendance cette même réalité  de terrain demeure inchangée  et devient la plus grande entrave à la construction de la sécurité nationale du jeune État-nation en devenir. Par ailleurs, les mêmes réflexes, les mêmes peurs sont restés intacts et, souvent, de banals mécomptes entre famille ou membres de même régiment peuvent engendrer des situations d’insécurité chaotiques impactant toute la collectivité.

 

Au lendemain de l’Indépendance, dès les premières heures, le ver de l’insécurité était déjà dans le fruit de la construction de ce nouvel État-nation, en raison de l’incapacité des dirigeants à canaliser les moyens et ressources vers les objectifs qu’impose la nouvelle donne. Les mêmes tactiques de guérilla à foyers autonomes qui ont emmené à la victoire haïtienne vont militer contre les pouvoirs politiques. Les nouveaux dirigeants, pour leur survie et celle de l’État,  par rapport aux revendications et à de possibles implosions, ont dû, au lendemain même de la victoire , se précipiter à exporter la guerre de libération des esclaves vers d’autres régions esclavagisées pour casser un peu la pression intérieure . 

 

Tandis que le gros des troupes, sous forme de corps expéditionnaires en mission, a dû être maintenu en dehors du centre du pouvoir politique ; tandisque, parallèlement, s’opèrent dans le rang de l’armée de  grandes purges pour dégraisser un peu sa taille  . C’est à ce carrefour que vont éclater des mutineries et des guerres intestines systématiques durant  tout le XIXe Siècle menant à de fréquentes prises d’assaut des infrastructures et des arsenaux  de l’État . Les biens publics, par abus de fonction, sont détournés au profit de ceux qui devraient en être les gardiens, au détriment de l’État . 

 

Cette situation, en maintes fois, a exposé la souveraineté nationale à de rudes épreuves. L’émergence de groupes rebelles (véritables armées parallèles) pilleurs des villes et cités, telles les Piquets et les Cacos, des années durant ont mis le pays à feu et à sang sur fond d’intempestives autoproclamations d’indépendance des régions où l’État central en perdait le contrôle.  Après l’assassinat de Dessalines, la royauté du Nord s’est créée avec Christophe et la République de l’Ouest avec Pétion et plusieurs autres tentatives s’en suivront jusqu’à l’occupation américaine. 

 

II. De  l’occupation américaine  à 1964.-

 

Conséquemment à une période tumultueuse sanglante, les Marines américains ont débarqué un soir du 28 juillet 1915 et vont y rester pendant 19 ans, laissant à leur départ, en supplantation à l’armée indigène, une gendarmerie, La Garde d’Haïti, dressée en bon chien de chasse, dirigée en majorité par des mulâtres   recyclés via une académie militaire facilitant le screening et permettant ainsi à ce groupe en voie de disparition dans les affaires des bords de mer de redorer  ses blasons tout en s’octroyant la part du lion dans tout ce qui est patrimoine et  actifs de la république . Ainsi, de plus en plus, le sommet « mulâtrisé » de ladite armée a royalement ignoré la base noire, même les rares officiers noirs qui s’y sont glissés jouaient aussi la carte des arrivistes en transfert de classe par leur mariage avec des mulâtresses creusant davantage l’écart avec la base noire en total dénuement et remplie de frustrations. Cette situation n’allait pas tarder à constituer un terreau fertile à un vaste chaos, à l’intérieur de l’armée, supporté par des slogans et des harangues noiristes, coloristes aux effets dopants rongeant ainsi l’esprit de corps de l’armée jusqu’à la guerre civile soldée par la prise de pouvoir, un peu plus tard en 1957, par Duvalier, porte-étendard du noirisme.

 

III.- De 1964 à nos jours.-

 

À partir de 1964 , pour garder le pouvoir Duvalier aura innové en  offrant aux Américains la tête de leur ennemi commun,  le vestige colonial de la bourgeoisie mulâtre des villes ( courtiers, entremetteurs, spéculateurs, commerçants et petits industriels) remplacé par l’alliage arabo-juif, digne mandataire des intérêts du comptoir américain de l’import-export et du commerce de gros des bords de mer . Cependant, pour contrebalancer la montée en puissance des nouveaux tenanciers dont les menées à l’avenir auront pu lui être gênantes, Duvalier a créé une autre stratégie de contournement. Sous couvert de formation d’une classe ouvrière urbaine, il a provoqué un exode massif de paysans pauvres vers les centres-villes, assiégeant ainsi toutes les zones commerciales d’influence par une classe de lumpen lui servant de bras armés et de chairs à canon pour châtier, agresser tous ceux et  celles qui oseraient se mettre au travers de son chemin.

 

Par la même occasion, il a pu imploser les structures militaires et de sécurité en y intégrant de petites gens analphabètes et endoctrinées pour contenir durablement les ambitions internes et opérer la grande purge dans cette armée suspecte et faiseuse de président. Et pour comble de malheur, il a monté une arrière-garde soutenue par une machine infernale d’insécurité d’État avec le SD, les VSN, les bandes armées et sociétés secrètes .

Cette méthode tentante a fait école au point que même après son départ les apprentis-sorciers vont tenter de s’y exercer : d’abord le  Haut Commandement de l’armée en des époques différentes avec les para-militaires (attachés, brassards rouges, les «  zenglendos » ,  FRAPH… ) concoctant des expéditions punitives, des vols, pillages, massacres avec une  mainmise absolue sur les ressources de l’État  et sur toutes les propriétés vacantes publiques ou privées. 

 

Les gouvernements civils de leur côté ont senti le poids de la toute-puissance de l’ambassade des USA et de leurs procureurs commerçants dans les décisions politiques ont emprunté sans gêne cette même voie en armant aussi les organisations populaires des bidonvilles  et des périphéries des grandes villes pour, dans un premier temps, contrebalancer leur influence et dans un deuxième temps les effrayer  puis calmer leur ardeur.

À partir de 2016, la donne a changé, les représentants du comptoir commercial des grandes puissances amies d’Haïti , secondés par le Core Group, ne veulent plus rester en coulisse. Ils revendiquent les devants de la scène politique. 

 

Avec de grands renforts d’argent et de moyens, par le biais d’agences de sécurité légalement créées ou par exemptions de statuts, ils se sont pourvus en armes et munitions de guerre pour protéger leurs intérêts et ceux de leurs  mandants tout en préparant un pillage en règle des ressources rares du pays. 

 

La stratégie arrêtée est : de ghettoïser les quartiers fragiles en empêchant toutes apparitions ou manifestations nuisibles sur leurs lieux d’aisance ou de commerce et même sur  les trajets de leurs marchandises ; de, parallèlement et surtout, se rendre libres de recruter tous éléments de ces ghettos pour des forfaits ou des expéditions punitives contre ceux et celles qui nuisent  à leur monopole, d’une façon ou d’une autre.  

 

A malin, malin et demi, les anciens rats des scènes politiques se voyant en voie de garage au profit des nouveaux  déjà assez riches et influents pour jouer la supériorité ils ont misé sur le nombre par  tête de bétails et en armement  jouent aux cafards et, en ce moment, tous les secteurs aujourd’hui en perdent le contrôle. Comme l’a si bien dit la romancière Marie Vieux-Chauvet dans son roman Amour Colère et Folie : « Tu armes les faibles, ils prennent n’importe quoi pour cible ; tu armes les gueux, ils ne désirent qu’une chose : se prouver à eux-mêmes qu’ils sont devenus puissants ; tu armes des imbéciles, ils cherchent justification au rôle important que tu leur as assigné et ils assassinent leur fils ou leur père » (voir p.314)

 

Alors, vu l’éclosion en Haïti du marché des armes américaines avec des firmes aux USA qui en font fortune, au moment où l’économie américaine est en dents de scie, le pays à peine sorti d’une pandémie mettant à mal son système sanitaire et étant déjà en plein dans une guerre par procuration. Sérieusement, est-ce qu’il y a d’Haïtiens qui - mis à part nos marionnettes, dirigeants de facto- pensent vraiment qu’une intervention militaire étrangère en Haïti va venir résoudre nos problèmes de sécurité ? Quelle armée étrangère viendra déranger le business des USA au profit de la souveraineté d’Haïti ? Quelle armée viendra déranger le projet global du Core Group consistant à nous retourner à nos statuts premiers de colonie  d’exploitation avec de vastes chantiers miniers ? Sérieusement, vous croyez que les Américains vont venir vous aider à éradiquer le désordre que le Core Group a fomenté, à désenclaver le territoire avec un bon maillage routier, à déplacer les populations des zones dangereuses et raser certains bidonvilles constituant un danger pour la République?

 

Ayayayyy !!!! Comme on peut devenir bête, par moments, quand on fait de la politique. Le Défunt journaliste, Jean Dominique dirait la table est servie, BON APPETIT MESSIEURS et DAMES.

 

Me Daniel JEAN

Avocat-chercheur

12/10/2022

 

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