Atelier du Jeudi soir: note de conjoncture

L’Atelier Jeudi Soir, pleinement conscient du rôle que l’écrivain peut choisir d’assumer dans la cité, joint sa voix à celles des personnalités et institutions s’opposant à toute forme d’intervention militaire dans le pays. Aucune solution dite « humanitaire » ne permettra de résoudre les problèmes structurels et conjoncturels auxquels le pays fait face.

 

Sur le plan structurel, voilà une société ayant produit trop d’inégalités pour continuer à fonctionner en toute tranquillité. L’exigence de justice sociale et d’équité est nette de la part des masses populaires et c’est une urgence historique de les entendre enfin. Sur le plan conjoncturel, la demande est claire : la démission du gouvernement de facto de M. Ariel Henry et la mise en place d’un gouvernement de transition capable d’engager un minimum d’actions dans le sens de la justice sociale et l’équité républicaine et d’organiser des élections crédibles.

 

C’est dans ce contexte qu’un gouvernement illégitime et impopulaire a doublé le prix des produits pétroliers, une hausse qui ne serait acceptée sans heurt dans aucun pays du monde, même lorsqu’elle viendrait d’un pouvoir légitime. Des intérêts mafieux aussi bien au sein du pouvoir qu’ailleurs sont sans doute entrés en jeu, et les gangs utilisés par le PHTK comme arme politique et fédérés sous l’œil bienveillant d’Hélène La Lime, représentante du Secrétaire Général des Nations unies en Haïti, ont acquis une relative autonomie et profitent de la situation insurrectionnelle créée par le pouvoir pour accroître le leur.

 

La visibilité acquise par ces gangs ne doit pas faire oublier que, depuis des années ils sévissent dans les quartiers populaires, que certains ont commis des massacres dans plusieurs de ces quartiers sans jamais être inquiétés par les gouvernements PHTK. Elle ne doit pas faire oublier non plus que c’est le pays entier qui proteste, manifeste. C’est dans tous les départements, dans toutes les villes que la vie qui ressemble tellement à la mort, s’est arrêtée. L’idée d’une quelconque force étrangère, une force militaire à vocation humanitaire, ne correspond donc pas à la réalité. 

Ajoutons à cela que le gouvernement de facto n’a aucune légitimité institutionnelle pour demander le soutien d’une force étrangère. Dans le contexte actuel, toute présence militaire étrangère serait reçue de manière hostile par la majorité de la population et serait de fait une alliée du gouvernement de facto dont la démission est une espérance nationale. Comment une telle force ferait elle le distinguo entre gangs et manifestants, entre bandits et citoyens réclamant leurs droits dans la rue, tout cadre institutionnel leur étant interdit ? Qu’est-ce qui empêcherait par exemple le gouvernement de facto de décréter le couvre-feu ou l’état d’urgence sous prétexte de  combattre les «  gangs », s’il bénéficie de l’appui d’une force étrangère ? Le gouvernement de facto, par son premier ministre, ses diplomates, son ministre de la communication a tenu un double langage auprès de la presse et des institutions internationales, prétendant tantôt comprendre les manifestants, et prétendant tantôt que ce sont les gangs qui sont dans les rues. Une telle identification (manifestan = bandi) est une offense a un peuple qui revendique ses droits et ouvre la porte à la fureur répressive si on lui en donne les moyens militaires. Les dizaines de milliers de personnes qui manifestent à Port-au-Prince, au Cap-Haïtien, à Jérémie, à Petit-Goave, aux Cayes, aux Gonaïves sont tous des membres de gangs contre lesquels on réclame un appui militaire ! Voilà donc un peuple de gangs ! Le lundi 10 octobre, ce sont des milliers de manifestants qui ont gagné les rues. Des hommes en uniforme, se disant de la police et de l’armée, leur ont tiré dessus. La demande du gouvernement de facto pour une aide militaire vise, de fait, l’augmentation de la répression, la fin du mouvement revendicatif.

Le plus déroutant pour qui a un peu de mémoire, c’est qu’au cours des vingt  dernières années la présence étrangère, de version militaire en version civile, n’a jamais été aussi forte. Des centaines de millions de dollars, pris aux citoyens du monde, ont été dépensées sans le moindre effet positif sur le plan économique comme sur le plan politique : dégradation des institutions et catastrophe économique.  L’effet le plus concret et le plus symbolique dans la mémoire populaire, c’est le choléra amené par une mission des Nations unies. La présence étrangère en Haïti fait partie du problème, non de la solution.

 

Et à ceux, nombreux sont de bonne foi, qui voient dans la possibilité de distribuer de l’essence la solution, posons la question : à quel prix ? Qui pourra la payer ? On va doubler le salaire des gens ? Les problèmes politiques n’existeront plus ? Faisons remarquer que le gouvernement de facto n’a annoncé aucune mesure sociale concrète, n’a fait montre d’aucune volonté  concrète de négocier avec les institutions civiles et politiques haïtiennes pour trouver une sortie de crise.

 

Cette éventuelle « mission militaire humanitaire » est aussi un raccourci pour la « communauté internationale » pour fuir ses responsabilités dans la situation actuelle en Haïti. C’est son soutien à des gouvernements illégitimes, corrompus et répressifs qui les a maintenus au pouvoir contre la volonté populaire.

 

Nous le réaffirmons : une force militaire extérieure serait un appui à la répression exercée par un pouvoir exécré contre un peuple qui réclame son départ. La solution aux problèmes sécuritaires ne peut être qu’un élément de la solution des problèmes politiques qui passe forcément par la mise en place d’un gouvernement issu des propositions faites par la société haïtienne.

 

Nous invitons les intellectuels, écrivains et artistes du pays à se prononcer contre la venue d’une telle force militaire. Nous demandons aux intellectuels, écrivains et artistes du monde de s’opposer à ce qu’on dépense leur argent pour envoyer ici des forces militaires qui seraient complices de la répression. Nous demandons aux institutions de défense des droits humains de dénoncer la répression exercée contre les manifestants venus pour la plupart des quartiers où sévissent les gangs. Au nom de la lutte contre les gangs, on veut réduire au silence leurs principales victimes.

 

Atelier du Jeudi Soir

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