Comprendre les mécanismes de la paix libérale au sein de l'ONU et ses enjeux en Haïti

L'Organisation des Nations Unies est une organisation internationale de typologie universelle ayant vu le jour en 1945 dont l'objectif principal est de maintenir la paix et la sécurité internationales dans le monde .

Les expériences des deux guerres mondiales ont poussé les États ,notamment les grandes puissances de l'époque, à se mettre ensemble pour donner naissance à une organisation supranationale qui a pour prétention de devenir le nouveau gendarme du monde et de maintenir l'équilibre des forces.

 

De nos jours ,ayant conscience que les guerres inter-étatiques sont de moins en moins fréquentes ,L'organisation s'intéresse davantage aux guerres intra étatiques ou situation de conflits qui émerge dans les États en crise ou défaillants.

 

A- l’émergence de la paix libérale

 

Origines : Après une série d'expériences de reconstruction d'État et une vague de démocratisation en Europe du Sud (1960-1970) et Europe Centrale et sud oriental ( 1989-1991), l'idéologie libérale a triomphé et a guidé les actions des Organisations internationales et des pays occidentaux dans les zones de conflits .

 

En 1992,le Secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros Ghali , a publié  l'agenda pour la Paix  découlant  du  consensus libéral où les normes libérales deviennent la base de toute intervention internationale visant à maintenir ou consolider la paix.

La principale mission de l'organisation dans ce contexte devient la consolidation de la paix . Ainsi le conseil de sécurité cherche à  régler les causes profondes des conflits et à  éviter le retour de la violence . Il ne s'agit plus de maintenir une paix négative en faisant  cesser les conflits, mais plutôt de maintenir une paix positive à travers des actions visant à éliminer ses causes structurelles.

Le but est d'empêcher aux escalades locales de devenir des conflits internationaux.

Pour y parvenir l’organisation utilise une méthodologie se basant sur 3 éléments : 1)Observation  2) Médiation 3) Interposition.

 

Cadre d'intervention  : Étant donné que la conception de la paix au niveau international a changé ,  l'ONU ne se contente plus d'intervenir par la force pour résoudre les problèmes ,elle inscrit son approche dans le state building.

Une évolution qui a conduit à l'élargissement de la notion de sécurité aux enjeux de Développement soutenant l'idée selon laquelle la paix peut être acquise par l'établissement d'un État démocratique par une assistance étrangère.

 

Ainsi , les opérations de consolidation de la paix se basent sur 5 grands éléments : 1) Démocratisation 2) État de Droit 3) Droit de la Personne 4) administration publique 5 ) Économie de marché.

 

B- les enjeux de ce Processus de paix

 

Le processus de consolidation de la paix par les normes libérales qui était marqué par un fort enthousiasme et d'optimisme a laissé place à un discours très critique. Ce dernier est soutenu par le fait que  dans certains cas où  l'opération qui devrait être  la solution  devient le problème.

De nombreux éléments peuvent être à la base de cet échec.

1- les faiblesses du système onusien

Dans ces opérations  , l'ONU n'a pas les moyens de sa politique. Étant donné qu'il s'agit d'une organisation internationale créée par la volonté des États et qui fonctionne par la contribution et les financements de ces derniers , elle peut être bloquée dans ses actions  lorsque son agenda ne concorde pas à celui des États contributeurs de Haut tableau ( les grandes Puissances ) .

Il faut souligner que l'ONU ne dispose pas d'une force  armée à sa disposition pour intervenir dans les pays en crise ; son budget est largement limité pour  gérer des opérations dans divers pays en Crise.

De fait ,elle a recours aux États membres qui mettent à  sa disposition  des soldats et, de bonne foi, contribuent également au financement des opérations. 

 

S'agissant de crise dans un pays où les grandes puissances ont de grands intérêts ,elles interviennent directement se référant aux  États Unis et la France. D'ailleurs on peut évoquer 3 raisons qui peuvent pousser un État à intervenir dans un conflit :1) Intérêts directement liés aux conflits ( existence d'une menace, proximité géographique), 2) Intérêts liés aux grandes lignes de politique étrangère, 3) intérêts liés à des considérations  économiques sans liens avec le conflit .

Dans le premier cas , c'est légitime, car des États voisins peuvent être impactés par une crise au niveau d'un pays en crise transfrontalier ou très proche. 

Toutefois ,lorsqu'il s'agit d'intervention motivée par la politique étrangère d'une puissance et des considérations économiques ,généralement ces dernières ne sont pas impartiales et sont marquées par une forme d'impérialisme humanitaire.  L'ONU peut être piégée dans ses opérations, car le pays qui envoie les soldats et qui finance l'intervention peut avoir son propre agenda et poursuivre ses propres intérêts au risque de ne pas résoudre effectivement le problème ou de ne pas s'attaquer aux causes structurelles.

 

2- les approches de l'ONU

Les opérations de paix de l'ONU dans ce contexte de triomphe de l'idéologie libérale veulent transplanter les normes (universelles)au niveau local. Dans de nombreux cas, ces normes ne concordent pas aux réalités locales et ne peuvent être assimilées par les groupes indigènes.

 

Convaincue que la démocratie et l'économie de marché sont à la base de la paix, l’organisation est contestée dans sa politique dans de nombreux pays qui l'accusent  de ne pas tenir compte des réalités du terrain et leur imposer un système qui leur est incompatible.

En voulant imposer aux sociétés de différentes cultures ,coutumes et  histoires les mêmes normes et valeurs qui se veulent universelles, au lieu de résoudre la crise ,elle  complique la situation.

 Pour preuve plusieurs pays d'Amérique latine ont contesté l'approche libérale qui dans certains cas ,selon des experts et politiques, tend à corrompre les institutions, les affaiblir et conduire les États à plus de dépendance.

En ce sens plusieurs pays ont appelé à plus d'appropriations locales pour pousser l'ONU à revoir leur approche descendante où les décisions viennent du haut tandis qu’elles concernent  les populations locales et auront un impact sur elles .

 

Ensuite, on pourrait évoquer également les processus de prise de décision au niveau de l'ONU très complexes en matière de paix où le veto peut empêcher ou retarder  la mise en œuvre d'une opération. Cela  peut pousser  les États voulant intervenir à adopter d'autres approches peu légitimes pour dépasser le cadre onusien en créant un couloir de coopération bi ou multilatérale d'assistance armée ; Ce qui risque de compromettre l'opération de paix au niveau de l'État en question en raison  des réserves exprimées au sein de la CI et la probable résistance locale d'une partie des acteurs.

Dans ce contexte, la résistance locale met en avant ,généralement, le manque de légitimité de la mission,  l'autodétermination du peuple et peut même encourager le Terrorisme politique où des gens armés s'autoproclament défenseurs de la nation comme cela a été le cas en Afghanistan avec les talibans.

 

Ensuite il y a la forte bureaucratisation de l'ONU où les décisions sont prises dans les directions et départements et doivent être approuvées par des responsables qui ne sont pas souvent réactifs vu le nombre de dossiers à consulter et la distance qui les sépare avec les agents sur le terrain . C'est ce qui a expliqué le drame du Rwanda: les agents sur le terrain n'avaient pas droit d'utiliser la force sauf en cas de légitime défense ;malgré le risque de la guerre et les  alertes émises  ,les gens de New York n'ont pas accordé trop d'intérêts jusqu'à provoquer la mort des centaines de milliers de civils et plusieurs Casques bleus de l'ONU sur place.

 

C- les défis de l'ONU en Haïti

 

L'ONU intervient en Haïti depuis plus de 30 ans, mais n'a pas pu s'attaquer aux causes structurelles de la violence comme expliquées en haut. Dans cette philosophie, ils ont estimé nécessaire après la Minustah ,qui a fait cesser la violence en Haïti,  de déléguer une nouvelle mission avec un mandat spécial qui vise à prévenir  les conflits .

Dans ses fonctions, le BINUH devrait aider à la réduction de la violence communautaire ; le respect des droits humains ; promouvoir la bonne gouvernance ;soutenir l'organisation des élections; support à la justice ....

 

Cependant ,force est de constater qu'au cours du mandat du BINUH aucun de ces objectifs n'a été atteint . Au contraire la situation devient pire si l'on peut se référer aux nombreux cas d'homicide,  d'enlèvements quotidiens, Assassinat du président,  absence de parlement , Absence d'élections , dysfonctionnement du système judiciaire....  ironie de l'histoire la CI qui devrait s'attaquer aux causes structurelles des conflits est en train de fermer certains  bureaux en Haïti,  d'évacuer leurs personnels, de doter leurs équipes restantes de véhicules blindés ... on se demande alors quelle était l'importance du BINUH ? Quels résultats pour des milliards dépensés dans des missions  alors que le pays s'effondre en présence des agents de la CI?

 

Somme toute , il faut préciser que l'expérience de la paix de l'ONU a fonctionné dans d'autres pays tout comme elle n'a pas été le cas dans d'autres. Le succès des opérations dépend de la volonté des États qui interviennent et également de celle des acteurs locaux. 

Il faut souligner dans de  nombreux  cas l'objectif de l'international peut-être celui de résoudre la crise alors que  les élites locales veulent de leur côté maintenir leurs privilèges et position de domination sur les ressources du territoire . Dans ce cas ils ne veulent pas coopérer en en traînant les pieds dans les démarches de négociation jusqu'à conduire les missions internationales dans d'autres agendas en passant à côté de l'objectif. Nous ne sommes pas loin de cette situation en Haïti où ce qui manque réellement est une assise locale soutenant le projet de démocratisation, assistée d'une volonté réelle de l'international. 

Les hommes politiques haïtiens ne sont pas fans de dialogue, de consensus, d'élections, d'institutions et de principes. Ils sont plus à l'aise dans l'anarchie et peuvent être un frein dans la résolution de la crise.

 

NB : aucun pays ne peut sortir un autre de la crise ou encore de la pauvreté.  C'est au pays en question avec ses élites de construire son propre agenda d'avoir un plan, une vision nationale pouvant influencer l'agenda mondial . Après la 2de GM, ce sont les Allemands et les Japonais qui ont reconstruit eux-mêmes  leurs pays même s'ils ont bénéficié d'aide. Après la guerre civile en Chine ,ce sont les Chinois qui ont reconstruit leur pays. Erreur à éviter c'est de croire que le système international est parfait ,l'étranger peut et doit résoudre la crise pour nous à notre place .

Sans un engagement citoyen au niveau local la CI  avec les meilleurs experts du monde même animés de bonne volonté n'y peut rien .

 

 

Mathias L.DEVERT

Politologue

MS Politique et Pratiques des Organisations Internationales

Sciences Po- Grenoble

mathiasdevert@gmail.com

 

Supports bibliographiques

Oliver P. Richemont A post libéral Peace ;

Teresa Almeida Cravo ,Consolidation de la Paix ,Postulats , Pratiques et Critiques;

Katia Légaré, la capture locale du programme de consolidation de la paix : entre hybridité et continuité de l'ordre politique ;

Béatrice P. Morgan, l'intervention de l'ONU dans l'histoire politique récente d'Haïti.

 

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