L'agriculture haïtienne hors de sa réalité

Désormais, il ne faut pas avoir une perception primaire en ce qui a trait aux réflexions proposées sur la problématique de l'agriculture haïtienne, donc il faut s'abstenir de tout système d’explications homogènes à la problématique ; des réflexions pertinentes s'imposent.

 

En considérant quelques facteurs essentiels qui sont hors de l'agriculture alors qu'ils demeurent tous ensemble avec de l'agriculture dans un système, la réalité que confronte l'agriculture ne peut en aucun cas s'expliquer uniquement par des facteurs intérieurs de l'agriculture comme les soins phytosanitaires, la technologie post-récolte, le climat,  la vocation des sols, l’amélioration des sols, le relief, etc. Ces facteurs sont les minimums des conditions nécessaires pour réfléchir autour de la problématique de l'agriculture dans un pays. En ce sens, se questionner de l'extériorité de l'agriculture par rapport à un ensemble d'éléments du système global se révèle crucial, surtout au milieu de l’impérialisme occidental.

 Si la géopolitique est conçue comme le rapport de forces politiques entre des pays, un facteur est déterminant, les plus forts luttent toujours pour leur dominance, et la domination est exprimée à travers plusieurs domaines y compris celle de l’économie agroalimentaire. Donc, là où domine le système capitaliste, la géopolitique devient le maxima pour penser l’agriculture. Ce n’est pas un simple hasard lorsque le marché agroalimentaire haïtien est dominé par les produits nord-américains.

Pour mieux cerner la problématique de l'agriculture haïtienne, des facteurs essentiels doivent être pris en considération tels que des facteurs historiques, économiques, politiques, technologiques ainsi que des facteurs géopolitiques. Car, l'agriculture semble être influencée par certains de ces domaines et interagir avec d'autres. Puisqu'il y a relation entre des multiples éléments considérés, la compréhension de l’évolution de l'agriculture haïtienne est soumise à l’étude de ces facteurs. Par conséquent, la réalité de l'agriculture haïtienne pourrait être normalement considérée comme extérieur à l'agriculture. Du fait de cette extériorité, la valeur réelle de l'agriculture est résidée ou associée et donc définie par rapport à ces éléments.

À cet effet, faut-il d'autres compétences parce que toutes analyses qu’ignorent ces ensembles de facteurs, au départ, elles sont inutiles parce que le problème est mal posé, de sorte que la problématique de l'agriculture haïtienne ne pourra jamais régler ; des décisions inefficaces, voire naïves, seront adressées, et des solutions aux faux problèmes seront proposées. Par exemple, comment pouvoir renforcer la production du riz dans le pays à travers un programme de gouvernance sans adresser le problème à travers une politique agricole qui prend en compte le régime commercial auquel obéit le pays. Or, par exemple, certains des accords commerciaux signés méritent d’être dénoncés. Cela nécessite un État fort et souverain parce que, pour mieux protéger ou renforcer la production rizicole, même si des terres sont disponibles et fertiles, des ressources financières et humaines disponibles, d’autres décisions ayant rapport aux structurels doivent être prises. L’affaire est beaucoup plus difficile à apprécier que l'on pensait.

Impuissance de l'agriculture par rapport aux autres éléments du système

Aux constats des faits, entre les interactions impliquant le commerce international, l'économie mondiale, l'agriculture haïtienne et les relations internationales, entre autres, on observe à une agriculture dominée. Elle a subi toute la domination par rapport aux autres éléments qui se confrontent, et le commerce international devient dominant sous la couverture de la géopolitique et l’utilisation de la technologie de sorte que la puissance de l’importation des produits étrangers a donc réduit la production agricole locale.

 L’adoption du modèle de l'économie libérale par Haïti constitue une entrave à la production nationale (production agricole). L’économie libérale n’est pas un obstacle en soi à la production, mais elle le devient par rapport à la faiblesse structurelle du pays adoptant (Haïti). Pour cela, elle est considérée comme levier destructeur de la production nationale. Libérer le marché local, dit autrement diriger le marché haïtien vers les producteurs internationaux est une offensive lancée contre l'agriculture haïtienne. Face à cet assaut, les produits alimentaires importés occupent presque entièrement le marché alors que les produits locaux tendent à disparaitre sur le marché. C’est une sorte d’invasion face au quelle les agriculteurs-paysans haïtiens ne peuvent pas résister, ils sont obligés de se battre en arrière. Ils se sont repliés parce qu'ils ont perdu la bataille des prix face aux producteurs étrangers qui eux-mêmes subventionnés par leur gouvernement. C’est ainsi que les produits importés chassent les produits locaux, et la différence de prix devient la manivelle de la domination du marché. Les prix font la différence sur le marché parce que l’offre des produits agroalimentaires étrangers augmente, ce qui entraine à la baisse le prix de ces produits par rapport aux produits locaux. En conséquence les produits importés deviennent de plus en plus accessibles à la population locale, un phénomène qu’explique bien la loi de l’économie sur l’offre et la demande.

Par contre, en dehors de ce qui est considéré comme normal étant que phénomène économique, le dumping a été quelques fois aussi utilisé par certains pays pour contrôler certains marchés dans la ribambelle commerciale, c’est à dire une forme de concurrence déloyale. Pour prendre le contrôle du marché agroalimentaire haïtien dans le XXe siècle, il y avait aussi une situation telle sur le marché. Par exemple, à l’ouverture du marché haïtien le riz américain coûtait 1,25 gourde le livre, quelques années plus tard, le prix a passé à environ 20 gourdes le livre, un dumping a été réalisé.

Haïti n'a pas été compétitif sur le plan commercial, il n’était pas en mesure pour s’ajuster avec les marchés mondiaux. La non-compétitivité est relevée du fait que les initiateurs et promoteurs des accords sur le développement du commerce à l'échelle mondial ont été déjà au sommet de l'industrialisation, ou en phase d'industrialisation alors qu’Haïti ne l'est pas encore ; c'est donc un pays sous-développé. Quant aux pays développés, les producteurs disposent d'une capacité de production inimaginable contrairement aux producteurs locaux qui, eux-mêmes dépourvus de toutes les capacités de production et de transformation massives.

Les puissances impérialistes utilisent le commerce comme l’un des nouveaux outils d’exploitation. Dans le monde moderne, c’est l’un des moyens que les pays du Nord utilisent pour exploiter les pays du Sud. Car les conditions dans lesquelles ils produisent (pays du Nord et pays du Sud) ne sont pas les mêmes, il y a donc non compatibilité entre les pays alors qu’ils se sont mis en concurrence. Le cas des États-Unis et la République d'Haïti, deux producteurs incompatibles : un agriculteur américain d’Arkansas et un agriculteur-paysan haïtien de la vallée de l’Artibonite, sous le régime néolibéral, malgré leurs incompatibilités, se trouvent en concurrence.

Libertinage commercial et production agricole

Le libertinage commercial n’est pas un fait nouveau dans l’histoire de l’économie haïtienne. Après l'assassinat de Dessalines, de  Pétion à Broyer et pendant tout le XIXe siècle, des mesures barrières instaurées par l’empereur ont été détruites. Sous la gouvernance de Boyer, le marché haïtien a été totalement ouvert aux Français, grâce à l'ordonnance de Charles X. Les ports de Nantes, de Marseille et autres déversaient des produits industriels français dans le pays de manière à outrance qu’ils soient lins, du vin, chaudières, et en retour les bateaux français partaient avec des denrées agricoles.

L’ordonnance de Charles X était une forme de pacte colonial imposé contre lequel Haïti était incapable de réagir, mais surtout avec le support des collabos nationaux et qui ont été toujours mieux placés dans l’administration publique. Si en réalité l’intention de Charles X n’était pas la continuation de l’exploitation de la jeune nation, le roi pourrait ordonner l’implantation des industries françaises dans la partie française de Saint-Domingue. Dès ce moment, Saint-Domingue (Haïti) pourrait tirer quelques avantages comme le transfert de la technologie, de la connaissance et tirer de la croissance économique, entre autres.

Ces formes d’accords n’ont jamais été au profit de la nation, au contraire ils rendent à la nation de plus en plus dépendante. Haïti (Saint-Domingue) a été toujours un déversoir des étrangers et un pourvoyeur de matières premières aux étrangers.

Il est vrai qu'à la seconde moitié du XIXe siècle, l’industrie française conçoit des produits industriels ou autres pour Haïti et d'autres pays, mais à la fin du XIXe siècle, les contextes mondiaux et géopolitiques changeaient, et cela a permis au marché haïtien de changer de maître et s’oriente vers d’autres pôles géographiques, c'est le cas de l’Amérique du Nord.

Vers la fin du XXe siècle, en Haïti le néo-classicisme orienté change en politique néolibérale dès la signature de l’accord sur le libre-échange dénommé Plan d'Ajustement  structurel (PAS) des marchés, régulé par l'OMC. À travers ce projet de développement commercial, le rôle de l’État est éliminé sur le marché, c’est la loi du marché qui règne. Un programme prétendant donner aux pays sous-développés  accès aux marchés des pays développés et vice versa. Mais, en réalité c'est un jeu de rapport de force de production. Ce programme pourrait être même assimilé à une jungle commerciale, il repose sur la force ou la capacité de produire ; il n’est ni juste ni équitable. Le coup de grâce reçu par l'agriculture haïtienne est celui donné par ce programme.

 Notons que le plan réel de l’Occident, à travers le PAS, c’était d'abord ouvrir de nouveaux pôles commerciaux pour déverser leurs industries dans des pays périphériques. Si l’on croit aux analyses de Jn Anil Louis-Juste faites sur les institutions du système des Nations Unies, dans crise sociale et internationale communautaire en Haïti, on peut considérer que le Programme d’Ajustement structurel s’est implémenté dans le pays dans l’objectif d’élargir le capital de l’impérialisme. Quoi de sérieux des pauvres pays, comme Haïti, ont à offrir à ces géants ? Ayant analysé le projet, il est nième accord contre des intérêts généraux de la nation, depuis après 1806. D’un siècle à l’autre, l’affaire passe d’une affaire de Métropole à la Colonie pour changer d’une affaire mondialisée entre le Nord et le Sud, c’est donc l’effet du temps.

En 1995, la deuxième phase du Plan d’Ajustement structurel allait être exécutée. Cependant pour que le cycle du projet soit avancé, les États-Unis ont joué un rôle important. Un embargo commandité a été donné à Haïti par l’Organisation des États américains (OEA), sous l’égide des Américains, prétextant qu’il y avait violation des normes démocratiques dans le pays. Un contexte où les États-Unis ont profité pour déboucher sur des négociations avec un ex-président haïtien, victime d’un « coup de force » en 1991. Comme résultat, le retour du président exilé de l’époque est négocié, avec pour gage,  l’implémentation de la deuxième phase du projet d'ajustement structurel.

Pour pouvoir donner une certaine légitimité au Plan d’Ajustement structurel (PAS) dans le pays, on a utilisé « la stratégie de dégradation ». D’abord on a précipité la dégradation des conditions socioéconomiques de la population afin de trouver son accord tacite pour l’implémentation du projet. Et ainsi, l’embargo a été le dernier coup pour accomplir la dégradation des conditions de vie de la population. Cela a été donc une grande avancée dans le processus de boycottage de l’agriculture haïtienne, les barrières douanières ont été tombées au profit des producteurs étrangers sous l’égide des négociations politiques, puisqu’on procédait d’abord par l'élimination des tarifs douaniers sur les produits alimentaires importés.

La main des États-Unis

On n’est pas dupe. C’est certain que les États-Unis avaient leur avantage dans la situation de misère que connaisse Haïti dans la période de l'embargo, car l’accueil des migrants haïtiens qui ont fui le pays sous le coup de la misère et la surveillance des mers afin de capturer les boat-people l’auraient coûté 150 millions de dollars, précise le livre blanc du gouvernement de consensus et du salut public de 1992. L’embargo a été l’accélérateur de la misère dans le pays. Cette sanction a fait abaisser les exportations des denrées agricoles par des restrictions émises à travers l'embargo sur les denrées les plus importantes, les prix ont été chutés et cela affecte la production. C’était le déclenchement total de la misère dans le pays. Certaines cultures d’exportation comme le café, après les 10 mois de l’embargo, ont été remplacées par des cultures vivrières dans la paysannerie.

Les faits les plus marquants, c’est que des restrictions ont été émises sur l’importation des matières premières utilisées par les industries locales ainsi que sur l’exportation des produits fabriqués par l'industrie haïtienne. À cela, l’importation des produits similaires à ceux fabriqués par les industries haïtiennes a  été permise dans le pays. Cette situation a favorisé une concurrence déloyale et a mis à genou l’embryon d’industrie locale. Une situation qui est grandement en faveur des producteurs étrangers, car dans les cinq premiers mois de l’année 1992, les produits alimentaires importés s’élèvent à 33 millions de gourdes contre 22 millions de gourdes en 1991 dans le même intervalle considéré.

 

Donc, l’objectif escompté a été réalisé pour les États-Unis et sa coalition, l’invasion du marché local et l’anéantissement de la production locale. Et pour consolider le commerce des produits agroalimentaires importés dans le pays, la libéralisation du marché de la finance a eu lieu et c’est le début du peuplement de la microfinance en Haïti, puisqu’il faut commercialiser les produits alimentaires importés à l’intérieur du pays. Ainsi le développement de la microfinance, lui, il favorise le développement de petits commerces, expliquent plusieurs penseurs haïtiens. Mais faut-il préciser que la libéralisation de la microfinance a été toujours une affaire orientée, parce que les activités agricoles n’ont pas presque financé par les micros finances, mais plutôt ce sont les activités commerciales. En plus, des documentations existantes à ce sujet, mon expérience comme agent de Crédit Agricole me le démontre.

Haïti, comme la plupart des pays du tiers-monde ont intégré le PAS contre leurs volontés, c’est à dire sous les menaces de l’international, et sous la dictature de certaines institutions financières. Ces faits observés dans l’économie haïtienne font penser à la célèbre phrase extraite d’un texte de Lénine : « Par le pouvoir de la richesse, l'impérialisme et les banques ont développé la domination, pour en fin, devenir un art moins commun, par l'alliance entre les gouvernements et la bourse dans les républiques dites démocratiques ».

L’État, sous la domination de l’international ou par la complicité de l’État, la production locale (production agricole) est dévastée. Car face à ces assauts, la production agricole n’aurait pas pu résister à la pression du flux de l'importation. Et en retour, on assiste à un rural de plus en plus misérable puisque les paysans vivaient totalement de l’agriculture.

Conclusion

Pour finir, un travail de mémoire doit être réalisé afin de combler des vides cognitifs, car des carences dues à l’absence du sens de mémoire collective sont manifestes dans le pays. Ce qui fait la problématique de l'agriculture haïtienne est mal cernée. Entre l’origine de la problématique, ses repères et ses effets dans la société haïtienne, un biais de connaissance est observé dans de modes de discours véhiculés. Un travail de mémoire doit tourner autour de l’organisation d’une idéologie ferme, en appuyant sur des repères historiques et de l’économie politique du pays, c’est à dire associer la mémoire collective à celle de l’historique pour y parvenir. Car en 1959, Maurice Halbwachs écrit dans son texte titré la mémoire collective «  Si le milieu social passé ne subsistait pour nous que dans de telles notations historiques, si la mémoire collective, plus généralement, ne contenait que des dates et définition ou rappels arbitraires d’événements, elles nous demeuraient bien extérieures ».

 

Lopkendy JACOB, Ingénieur-Agronome

Lopkendyjacobrne@gmail.com

 

Quelques références

Gouvernement de Consensus et du Salut Public de la République d’Haïti (1992). Conséquences de l'embargo décrété par l’Organisation des États Américains contre la République d’Haïti. Éditions Henri Deschamps, Haïti.

Jn Anil Louis-Juste (2003). Crise sociale et Internationale Communautaire en Haïti. Dans Alterpresse, Haïti. [En ligne].

Lénine Vladimir Ilitch (1917 ). L'État et la révolution. Presses électroniques de France.

Jean Yves Despinas (2008). La pauvreté en Haïti : contexte historique et politique d'ajustement structurel. Santo Domingo, La Rebelle.

Delphine Thizy (2011). Haïti ou la souveraineté impossible : études sur les influences néocoloniales en Haïti. Éditions universitaires européennes.

Bénédique Paul, Alix Daméus et al. (2012). Le développement de la microfinance en Haïti : un bref aperçu historique. Revue Recherche Etude et Développement, vol. 5, numéro 1 : 34 – 43.

Via Campesina (2010). Les paysans haïtiens manifestent contre Monsanto et pour la souveraineté alimentaire et des semences. Disponible sur https://viacampesina.org/fr/les-paysans-haitiens-manifestent-contre-monsanto-et-pour-la-souverainete-alimentaire-et-des-semences/

 

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