Lettre ouverte aux différents secteurs vitaux du pays

Aux partis politiques, aux structures de la société civile, de l’enseignement supérieur et du niveau classique, aux chambres de commerce, aux membres du gouvernement, au secteur religieux, aux syndicats, aux différents porteurs d’accords, aux différents corps de métier, aux organisations paysannes, aux organisations de la diaspora, aux organisations des droits humains, aux médias, etc.

Objet : Proposition

Mesdames/Messieurs les concernés,

 De l’homme nomade à l’homme sédentaire, la lutte pour la survie demeure un principe fondamental sur lequel repose l’existence de tout individu, de tout groupe d’individus. Ainsi, l’homme aménage-t-il son espace comme être en vue de satisfaire un ensemble de besoins ou de répondre à un ensemble d’aspirations. Au cours de la période esclavagiste de Saint-Domingue, nous étions (Africains) des choses appartenant à des maitres (blancs). On a beaucoup souffert. On a été torturés, humiliés, déshumanisés, ridiculisés. On a été traités comme des bêtes et des choses faisant l’objet des ventes aux enchères. Nos maitres ont eu sur nous le droit de vie et de mort, puisque nous étions leurs biens meubles. Nous étions dans ce trafic humain des produits mal emballés, mal transportés. Notre existence dépendait de nos rendements, de nos capacités de résistance. Durant ce trafic, beaucoup d’entre nous sont jetés en mer, et sur les plantations, c’était la cruauté absolue. Nous étions forcés à travailler pour enrichir les pays de l’Europe, notamment la France. Heureusement, la méchanceté de l’homme a ses limites. En dépit de tout, les maitres n’arrivaient pas à anéantir le goût de la liberté, le sentiment de révolte chez nous comme esclaves. Pour ainsi dire, la bataille sanglante pour la liberté fut enclenchée durant plus d’une décennie par nos ancêtres, et aux prix de grands sacrifices, ils nous ont légué ce coin de terre.

La volonté de construire une société fondée sur les principes d’équité, de justice sociale a été rompue au lendemain de 1804. Ce qui a entrainé assurément l’assassinat de l’Empereur Jean Jacques Dessalines. L’une des plus grandes erreurs que nous avons commises dans notre histoire. Et cela ne cesse jamais de se répéter. Albert Einstein eut à dire : « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat diffèrent. » Autrement dit, nous ne pouvons pas avec les mêmes pratiques, les mêmes comportements initier le changement. Nous devons apprendre de nos erreurs pour agir autrement. Je peux être incompris quand je parle de nous, puisque la société est caractérisée par la rivalité entre des groupes ayant généralement des intérêts divergents. Le « nous » ici, représente un peuple ayant des valeurs et des normes communes, évoluant sur un territoire, se condamnant à se cohabiter, à vivre ensemble, à défendre ensemble des intérêts communs qu’ils partagent au-delà des intérêts individuels ou de groupe.

Quand je regarde ce que nous avions accompli dans le temps, nos lieux historiques, nos forteresses, Vertières, Citadelle La Ferrière, je me suis dit, la route du progrès nous est déjà tracée, mais malheureusement nous passons tout notre temps à faire le jeu des ennemis, à être esclaves de nos egos, de la mesquinerie. Depuis l’époque coloniale jusqu’à date, la stratégie « diviser pour affaiblir et pour régner » ne change pas. Cela fonctionne à merveille. C’est le plus grand piège dans lequel on a été poussés sans arriver à nous en sortir depuis des lustres. On se bat pour des miettes alors que l’espace (Haïti) sur lequel on s’entretue, on s’entredéchire nous offre la possibilité, dans la solidarité, d’étonner le monde, de construire le bien-être collectif, de sortir de l’emprise du sous-développement.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation très délicate. La machine sociale est à l’arrêt. Le corps social est gravement malade. Le monde rural et le monde urbain sont en détresse. Notre avenir est hypothéqué. Notre existence est menacée. Nous respirons chaque jour dans nos quartiers, dans nos rues, dans nos villes, dans nos campagnes, l’odeur de la mort, de la misère, du mal-être physique et moral. On vit dans la privation : problème d’accès aux services sociaux, à l’alimentation, à l’éducation, au logement décent, aux loisirs, au travail. Nos quotidiens sont dominés par le narratif inhabituel, mais devenu courant: l’assassinat, le kidnapping, le viol, des menaces, la faim, le désespoir, la migration, l’inquiétude. Á chacun avec son lot de plaintes, de complaintes et de déboires.

Nous vivons maintenant un moment de crise se caractérisant par la terreur, la peur, l’incertitude, l’inquiétude absolue. D’aucuns se demandent : à quand sa fin ? Comment sera le dénouement ? L’effet du blocage, on le vit, on le sent, dans notre esprit, dans notre corps, dans notre âme. On se demande chaque jour : que feront les acteurs ? Finiront-ils par se rendre compte que la souffrance dure trop, que l’instabilité, si elle est bonne pour une minorité, fait souffrir le pays tout entier ? Beaucoup de nos frères et sœurs sont déjà partis pour l’éternité, non pas à cause de la maladie, de la vieillesse, mais plutôt par la faute de ceux-là qui n’assument pas leur responsabilité envers la cité. L’avidité, le cynisme des gouvernants constituent les causes majeures de leur départ. Les données effrayantes relatives au fonctionnement de tous les secteurs, de tous les domaines de la vie nationale, prouvent de façon alarmante, l’état de délabrement de notre pays. Tous les verrous de la société sont sapés. C’est la déliquescence.

Je salue l’effort consenti par chaque groupe s’inscrivant dans une démarche intéressée ou désintéressée visant à trouver une issue à la crise actuelle. Au nom de l’intérêt commun que nous partageons, chaque initiative allant vers une sortie de crise de manière honorable mérite d’être prise en considération. Il faut toutefois préciser qu’une crise a ses causes et ses conséquences. Et on ne peut l’aborder, la résoudre si on ne tient pas compte des facteurs qui l’engendrent. Sur la scène, les propositions de sortie de crise fleurissent, pleuvent de partout. Quoique certaines personnes estiment que ces démarches font perdurer la crise et la rendent difficile à résoudre, je les prends pourtant comme des acquis, des préalables, à partir desquelles, on peut initier un processus de dialogue entre les groupes d’acteurs. Ce sont des petits pas qui pourraient nous permettre de faire le pas géant, lequel devrait nous conduire vers un consensus global, un accord global, une entente mutuelle.

Le principe de neutralité est souvent utilisé pour initier un dialogue entre deux ou plusieurs parties s’impliquant dans un conflit quelconque. C’est le propre du métier de juger. C’est ce qui mettra en confiance les parties au cours du processus de recherche de compromis ou d’entente. Je n’ai pas la prétention ni l’intention de valoriser une démarche sur une autre, une initiative sur une autre, un accord sur un autre. Il est temps de faire de la stabilité politique, de la création de richesses, du développement d’Haïti, la priorité des priorités. Pour ce faire, le dépassement des intérêts de clan et le compromis obligent.

Par rapport à l’état de pourrissement de la situation, à l’urgence de l’heure, je lance un vibrant appel aux acteurs concernés, aux forces vives de la nation, à se mettre d’accord sur la possibilité de permettre à l’université haïtienne, à travers une équipe d’experts pluridisciplinaires de jouer le rôle de facilitatrice pour une sortie de crise dans l’intérêt de la nation. Il est évident que lorsque les désaccords perdurent ou s’enveniment, les parties en conflit peuvent se décourager ou se montrer incapables d’en trouver une issue. Les clichés selon lesquels on ne fait plus confiance aux institutions, les institutions républicaines ne valent rien, doivent être surmontés. Nous devons redonner espoir aux citoyens haïtiens en permettant aux institutions de tenter quelque chose, de jouer pleinement leur rôle dans la recherche de compromis, en plaçant par-dessus tout l’intérêt suprême de la nation, en prenant en compte la dimension de la complexité des problèmes et leurs enjeux.

Au nom de la science, des principes d’objectivité et de vérité, au-delà de tout fatalisme, de toute illusion, de toute utopie, de tout cliché, je demeure convaincu qu’avec la volonté des protagonistes, de toutes les forces vives de la nation, l’université haïtienne a suffisamment de ressources, pour, en toute indépendance, jouer le rôle d’intermédiaire, comme l’a fait à un moment de notre histoire récente « religion pour la paix », en vue de sortir le pays de ces situations de crise à répétions, et qui se produisent instantanément. On ne peut pas laisser bloquer indéfiniment la machine sociale dans la boue puante de la déception, de l’indignité, de la souffrance. 

In fine, si nous ne faisons rien, nous mettons en danger notre propre survie et celle des générations à venir. C’est ensemble que nous devons agir. L’avenir de notre pays est entre nos mains. Il est temps d’en prendre conscience et d’agir collectivement en conséquence.

Que l’effort de surmonter les désaccords nous permette de trouver corps à corps le véritable accord qui nous conduira vers la stabilité, et la construction du bienêtre collectif.

 

PS : Un article portant sur « Le choix de l’université comme intermédiaire pour une sortie de crise de manière honorable » a été publié dans plusieurs médias (Le nouvelliste, le national, scoop, enquête-action, explosion info...)

Dans un élan patriotique, d’humanisme et d’altruisme, je vous salue fraternellement.

Saintony FANFAN,

Professeur d’université, Responsable d’université, Chercheur, écrivain, citoyen engagé

saintonyfanfan@yahoo.fr

Port-au-Prince, le 08 novembre 2022

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