Fuite inversée des cerveaux, pièce maîtresse au puzzle de développement d’Haïti

Partie 2/3

Haïti ne sait pas tirer profit de ses compatriotes au sommet

               Dans les domaines scientifiques, artistiques et culturels, Haïti regorge tant au bercail que dans sa diaspora d’une pléiade de personnalités aptes à contribuer à son essor sous de multiples formes. Ils sont plusieurs dignes descendants de Toussaint à fouler les sols prestigieux des plus nobles institutions en Europe et en Amérique. Présidents d’université, maires, gouverneurs, conseillers à la Maison Blanche, acteurs, sportifs, etc. ; une pléiade d’Haïtiens contribuent au bonheur des pays industrialisés qui les accueillent sur tapis rouge en raison de leurs compétences et leur intégrité. Alors que les sociétés modernes partent à la recherche des talents latents partout sur le globe pour les aiguiser, Haïti expulse ses propres diamants ou les rendent chrysocales. Au cours de la dernière décennie, l’acculturation fait rage au sein de notre pays qui s’entête à imiter de nombreuses mœurs perverses de l’Occident. Pourquoi alors le pays est-il si récalcitrant à copier et coller les Best Practice de ces « pays leaders » qui captent et valorisent les ressources humaines, peu importe la nationalité ou la teinte épidermique ?

Par leurs histoires émaillées de gloire, mais aussi de vicissitudes, Haïti possède des citoyens modèles qui peuvent inspirer les jeunes pour les booster sur la voie du véritable succès. Je vous rapporte ci-après une liste partielle, mais assez sélective pour vous persuader de la richesse du capital humain solide dont dispose Haïti sur l’échiquier international.

En juillet 2021, l’ingénieur en structure et en résilience au séisme Reginald DesRoches, né à Port-au-Prince, a été élu président de la prestigieuse Rice University (voir lien 2). Le staff de « Rice University » fait l’éloge de Reggie comme un leader visionnaire, stratégique et bienveillant. Ses collaborateurs témoignent leur reconnaissance envers l’énorme contribution de l’ancien diplômé de la « Berkeley University » dans la croissance des programmes de recherche, particulièrement dans les domaines de la neuro-ingénierie et de la biologie synthétique.

En octobre 2021, l’entrepreneur à succès Frantz Saintellemy (voir lien 3), détenteur d’un postdoc à la MIT, a été nommé chancelier de l’Université de Montréal. Ce philanthrope d’origine haïtienne passionné des technologies de pointe se distingue par son esprit d'initiative et sa capacité à résoudre des problèmes sophistiqués. Doté d’une riche expérience professionnelle à la Silicon Valley, Frantz est président de la LeddarTech, une entreprise de conception de microprocesseurs et de logiciels utilisés dans l’industrie automobile. Président du conseil d’administration du Groupe 3737, Frantz développe des programmes de formation, d’accompagnement, de mentorat et un laboratoire d’innovation au profit de plusieurs centaines de bénéficiaires au Canada.

Depuis plus de deux décennies, Samuel Pierre, ancien étudiant de la Faculté des Sciences-UEH, domine le domaine scientifique au plus haut niveau (Voir liens 4 et 5). Sa vie est auréolée de succès dans une florissante carrière dans les recherches en télécommunications, informatique, réseaux mobiles et formation en ligne. Samuel est auteur et coauteur d’une avalanche de publications scientifiques. Visionnaire, leader et chercheur accompli, le docteur Pierre est à l’origine d’innovations technologiques qui influencent la vie quotidienne des Canadiens et celle du monde entier. Lauréat du prix Fellow d’Ingénieurs Canada en raison de ses trois décennies de travaux extraordinaires, la prestigieuse Médaille d’or d’ingénieurs Canada a été décernée au professeur Pierre en juin 2021. Docteur Pierre a été également couronné en 2009 de la fameuse distinction Chevalier de l'Ordre national du Québec.

Célèbre écrivain prolifique de plus d’une trentaine de romans dont plusieurs à succès, Dany Laferrière a été fièrement admis à l’Académie française en décembre 2013. Digne successeur de Montesquieu et d’Alexandre Dumas Fils au deuxième Fauteuil de l’Académie, Dany épate ses pairs et marque l’Académie Française comme un lion de ses griffes. Sur le chemin de Montesquieu, comme dans sa fameuse pièce « De l’esprit des lois » qui est un éminent héritage mondial qui donne de la matière à la politique et à la bonne gouvernance, Dany gâte les esprits de ses discours poignants qui plaident pour un monde juste et équitable. En février 2019, Dany a accompli un acte immortel, élogieux et digne de nos ancêtres en persuadant ses collègues de la Coupole sur la nécessité d’inscrire le concept VERTIERES dans le dictionnaire français. Vertières, enfin noir sur blanc dans le dictionnaire français représente une victoire magnanime du Noir sur le Blanc. Lequel triomphe culturel devait instiguer les dirigeants haïtiens à réactiver le débat sur la nécessité de la restitution de la rançon de l’indépendance estimée par Thomas Piketty à plus de 28 milliards de dollars.

Diplomateanimatrice de télévision et journaliste de carrière au Canada, Michaëlle Jean (Voir lien 6) - née à Port-au-Prince et exilée sous le régime de Duvalier - a occupé le poste de gouverneure générale du Canada de septembre 2005 à septembre 2010. À ce titre, la première Noire, Haïtienne de souche, était devenue la commandante en chef des Forces armées canadiennes. Soulignons pour les « idiots utiles » qui se croient être les seuls fils authentiques de Dessalines que lors de sa nomination madame Jean détenait la citoyenneté française. Avant son investiture en tant que gouverneure générale, Michaëlle Jean devait renoncer à ce statut européen acquis par le lien matrimonial. À la fin de son gouvernorat, le 1er octobre 2010, Michaëlle Jean a été envoyée spéciale de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) en Haïti. En octobre 2010, elle a été nommée à la présidence du Conseil d'administration de l'Institut québécois des hautes études internationales de l'Université Laval. « Grand Témoin de la Francophonie » au cours des Jeux olympiques d'été 2012, à Londres, madame Jean a été chargée de promouvoir la langue française. Deux ans plus tard, le 30 novembre 2014, elle a été élue secrétaire générale de la Francophonie.

Directrice du Programme “Hematology and Medical Oncology” au Département de Médecine de la New York University (NYU), Shella S.F. Lominy (Voir lien 7) dispense des soins de santé adaptés aux problèmes de dysfonctionnements hématologiques. Parallèlement, elle y effectue des recherches sur la leucémie. Depuis 2017, la spécialiste du cancer enseigne au Département de Médecine de la NYU - Grossman School of Medicine. Après son excellent parcours académique au Brooklyn College en 2003 qui lui a valu des bourses d’excellence du gouvernement américain pour poursuivre ses études médicales en Oncologie et Hématologie, Shella a décroché un doctorat en immunologie à la NYU. La qualité de ses travaux l’avait conduit à fouler le sol de la Harvard University pour y poursuivre une recherche bactériologique ; c’était au lors de son parcours de licence. Au cours de la pandémie de la Covid, la native de Leogane se met en quatre pour participer activement à de multiples plateformes et des émissions très prisées. En collaboration avec d’autres professionnels haïtiens du secteur médical, dont Julien Sanon, Maude Désir, Clotaire Ariste, Ludovic Labranche, etc., cette femme a énormément contribué à informer et à inciter des communautés à adopter de meilleurs comportements. De concert avec d’autres collègues de divers champs de spécialisation, Shella a conçu la fondation I-SCORE dont l’objectif principal consiste à encadrer les jeunes et les professionnels notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation.  

Médecin et auteur de plus de 300 productions scientifiques - majoritairement des articles académiques - Henri Ford (Voir lien 8) est un chirurgien pédiatre d'origine haïtienne qui entretient des liens étroits avec son pays natal. En 2010, docteur Ford s'est rendu en Haïti après le tremblement de terre pour prodiguer des soins chirurgicaux aux enfants blessés lors de la catastrophe sismique. Depuis, Dr Ford retourne régulièrement en Haïti pour soigner des patients haïtiens. On se souviendra toujours de l’exploit d’une intervention chirurgicale entièrement réussie à l’Hôpital universitaire de Mirebalais (HUM) en mai 2015 sous le leadership du Dr Henri Ford pour séparer deux fillettes nées siamoises (Voir lien 9). 

Le parcours du docteur Roger Jean Charles est couronné de plus de 45 ans d’expérience à l’échelle nationale et internationale où il a déjà côtoyé les plus illustres institutions œuvrant dans la santé publique. Au sein d’universités, d’organisations internationales, de fondations caritatives et d’associations communautaires, le docteur Jean Charles contribue à un nombre pléthorique de projets porteurs. Fidèle adepte du serment d’Hippocrate, le docteur Jean Charles est parallèlement très engagé dans les actions humanitaires. Il s’évertue en permanence à partager son expertise à des conférences- débats, à conseiller les jeunes et à apporter du soutien psychologique aux couches les plus vulnérables. À titre de professeur-chercheur, le docteur Jean Charles a déjà publié dans la presse et à des journaux scientifiques des articles et des réflexions approfondies notamment sur l’hypertension artérielle. Après son parcours universitaire à l’UEH, l’ancien diplômé de la FMP a poursuivi sa résidence académique à Boston où il y a exercé la plus grande partie de sa vie professionnelle. Il est affilié à une panoplie d’organisations médicales dont « American Society of Hypertension », « Boston University Medical Center », « World Hypertension League », « Canada International Medical Council of Lourdes », etc. Président et fondateur du centre de l’hypertension en Haïti, président de la société haïtienne de l’hypertension, la riche expérience et les nombreux réseaux auxquels appartient le docteur Jean Charles constitue un atout majeur pour Haïti.

Cette liste partielle de compatriotes qui se sont distingués dans les arènes internationales les plus compétitives n’est qu’un échantillon. Je reconnais que par oubli ou par manque d’information que d’autres personnalités de la même trempe auraient pu m’échapper. Puisse le lecteur en être bienveillant envers l’auteur dont l’objectif consistait à limiter le nombre de ces figures académiques et scientifiques notoires. Au regard de leur accomplissement international et du potentiel manqué avec Haïti, il y a évidence que ces ressources humaines sont loin d’être utilisées au profit de leur origine. Tout lecteur convaincu de la portée transformatrice du capital humain dans le développement des sociétés serait d’avis qu’Haïti ignore la maxime de Jean Bodin qui prône qu’il n’y a de richesse que d’hommes et de femmes. Nous aurions pu également présenter des fiches techniques de certains prodiges des domaines sportif et culturel pour déceler que la tendance serait similaire aux cas scientifiques dressés antérieurement. Des talents du basketball mondial tels que Mario Elie, Olden Polynice, Huguentz Dort, Nerlens Noël, Skal Labissière, Jeff Coby ; des étoiles de la mode, du cinéma, du football américain, du soccer, du tennis. Haïti pouvait recenser plusieurs dizaines de sportifs d’excellence qui montent les estrades internationales.  Quoique bien connu de tous, nous ne saurions passer à pieds joints sur ce prodige, Naomi Osaka, qui capte l’attention au sommet.

Naomi Osaka François dont le père est de Jacmel a été hissée en première position du tennis mondial à seulement 22 ans. La quadruple championne du Grand Chelem exprime un attachement viscéral avec Haïti. En témoignent sa publicité gratuite en des déclarations élogieuses qui accordent le crédit au mets haïtien qui lui garantit une remarquable robustesse. Sur son compte tweeter, Naomi a écrit après avoir remporté son deuxième titre de Grand Chelem : "Je voudrais remercier mes ancêtres car chaque fois que je me souviens que leur sang coule dans mes veines, je me rappelle que je ne peux pas perdre". Le voyage euphorique à Jacmel à l’école de son papa pour célébrer avec les enfants son sacre du premier Grand Chelem en 2020 montre de plus la gratitude de ce phénomène de la raquette envers sa souche paternelle. Dommage que les « petits » dirigeants haïtiens de la dernière décennie accouchés de la grossesse politique ectopique ne soient guère conscients de la portée légendaire de bénéficier de l’image et d’autres supports de cette digne descendante de nos ancêtres.  En plus d’être un atout susceptible de rehausser notre fierté d’une nation capable de merveille, Naomi aurait facilité entre autres des projets, des bourses sport-école, des stages de tennis et des contrats professionnels en faveur de centaines de jeunes.

N’est-ce pas que Georges Weah, Akon, Sadio Mane et bien d’autres célébrités internationales ont participé activement au développement endogène de leurs pays d’origine en y construisant stades, écoles, hôpitaux, etc. J’imagine la quantité d’infrastructures sociales qui serait érigée en Haïti si le leadership politique haïtien intégrait l’importance d’engager toutes ses ressources humaines – internes et externes – dans le développement du pays. Haïti aurait pu compter sur cette masse critique de références scientifiques et de talents culturels qui expriment leur sentiment d’appartenance à leur origine. Malheureusement, aucun effort substantiel n’a jamais été consenti pour propulser un retour d’ascenseur à la mère-patrie. Les déficits directs sont énormes. Et encore, que dire des manques à gagner. Tant vaut la politique tant vaut la coopération.

À chaque fois qu’une exquise personnalité d’origine haïtienne marque la toile en étant récompensée d’une position prestigieuse en raison de ses réalisations fascinantes, chaque Haïtien s’enorgueillit au point de propager la réjouissante nouvelle comme une bouffée d’oxygène à la vertu de désinfecter notre ciel pollué de tellement d’odeurs nauséabondes. C’est déjà une attitude positive de motiver à envahir la toile par les œuvres de nos génies locaux et internationaux. À l’instar du mouvement rassembleur contagieux en l’honneur de notre prodige Mikaben, les marques d’amour et de solidarité font du bien aux Haïtiens. Cependant, dans une perspective de changement de comportement pour la valorisation des talents, de telles mobilisations sont très insuffisantes. En effet, nous sommes conscients que des personnalités se sont démarquées dans leurs domaines respectifs par leur leadership et leur performance. Nous devons alors nous convaincre de l’impérieuse nécessité de maintenir une véhémente plaidoirie pour exiger des projets à grand impact qui rassembleraient les ressources au bercail et à la diaspora. D’autre part, la société est en droit de solliciter des réflexions universitaires à relayer constamment par la presse pour inspirer les jeunes sur la voie du véritable succès. Si seulement les gouvernants cernaient le caractère mythique de la modernité qui table sur la « magie de l’image », ils auraient créé de la valeur en faisant de leurs sommités et de leurs génies d’ici et d’ailleurs des modèles vivants pour les générations présentes et futures. 

A suivre

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com

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