Lettre ouverte adressée à Son Excellence António Guterres, Secrétaire général de l‘Organisation des Nations Unies (ONU), à l’occasion de la célébration du 74e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)

Excellence,

Nous voulons, in limine litis, saluer votre remarquable parcours en tant que personnalité publique portugaise parvenue au Secrétariat de la plus prestigieuse organisation du monde.

Vous avez été tour à tour le fondateur du Conseil portugais pour les réfugiés et l’Association de défense des consommateurs portugais DECO ; président, au début des années 70, du centre de Acçâo Social Universitário, une association mettant en place des projets de développement social dans les quartiers pauvres de Lisbonne ; vice-président de l’Internationale socialiste de 1992 à 1999 et président de cette alliance mondiale de partis politiques sociodémocrates de 1999 à mi- 2005 ; membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe de 1981 à 1983, vous avez présidé la Commission des Migrations, des Réfugiés et de la Démographie ; élu au parlement portugais en 1976, vous y avez siégé pendant 17 ans où vous avez présidé la Commission parlementaire de l’économie, des finances et de la planification, puis la Commission parlementaire de l’administration territoriale, des municipalités et de l’environnement et chef du groupe parlementaire de votre parti ; en votre qualité de Président du Conseil européen, vous avez dirigé, au début de l’année 2000, la Procédure d’Adoption de la Stratégie de Lisbonne pour la Croissance et l’Emploi et coprésidé le premier sommet Union européenne-Afrique ; vous avez été membre du Conseil d’État portugais de 1991 à 2002 et Premier ministre du Portugal de 1995 à 2002 avant votre nomination comme Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés de juin 2005 à décembre 2015.

Vos compétences avérées et vos expériences établies font de vous un homme d’État que tout citoyen du monde aimerait avoir à la tête de son pays. Et c’est, certainement, en vertu de ce long parcours auréolé de succès que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté par acclamation, le 13 octobre 2016, une résolution vous nommant au poste de Secrétaire général de l’organisation planétaire. Et tous les représentants des États ayant soutenu cette résolution doivent en être très fiers !

Excellence, vous êtes parvenu au Secrétariat général de l’ONU dans un contexte international marqué entre autres facteurs par la redéfinition des rapports entre les États. Nous admettons volontiers que la tâche est ardue : les défis à relever sont titanesques, les solutions à apporter sont nombreuses, les questions à répondre sont déconcertantes et les décisions à prendre sont décisives pour l’avenir de notre planète. Et c’est probablement pour cette raison que vous en avez appelé, juste avant la semaine de haut niveau de l’Assemblée générale de l’année courante, à la solidarité des acteurs internationaux pour relever les défis mondiaux pressants.  

Parallèlement, votre nomination comme Secrétaire général des Nations Unies est concomitante à l’aggravation de la crise haïtienne. Au moment où nous vous écrivons cette correspondance, notre pays va mal, notre pays va très mal. La crise actuelle que traverse Haïti est complexe et multidimensionnelle ; elle ne reflète pas seulement une lutte traditionnelle pour le pouvoir, mais également, et surtout, une lutte pour la justice et l’affirmation d’un pays comme État souverain capable d’établir des relations diplomatiques gagnant-gagnant avec des partenaires amis ou ennemis de ses « amis » de la communauté internationale. Ainsi, le peuple haïtien ne veut pas perdre de vue les enjeux de société plus larges qui sous-tendent la crise actuelle.

Excellence, nous voulons signaler au passage que le devoir de solidarité de l’ONU envers Haïti doit être incessamment rempli dans ce contexte actuel de crise. Que les grands manitous nationaux et internationaux responsables des maux sans mots de cette population en agonie soient identifiés, jugés et sanctionnés conformément aux lois punissant leurs infractions à l’encontre de ce peuple sans défense ! Telle est, présentement, l’une des expressions les plus fortes du devoir de solidarité de l’ONU envers notre nation. Ceci n’est pas une faveur, mais l’accomplissement d’une obligation d’assistance à l’endroit de l’un des 51 États signataires de la Charte des Nations Unies en date du 26 juin 1945.

C’est ce qui d’ailleurs nous habilite à vous adresser la présente correspondance, dans le but d’attirer l’attention de toute la communauté onusienne, dont vous assurez le Secrétariat, sur la nécessité de rétablir la vérité historique en ce qui concerne la significative contribution d’Haïti dans la matérialisation de la fameuse Déclaration universelle des droits de l’homme.

Excellence, l’ONU dont vous assurez le Secrétariat général a pris naissance le 24 octobre 1945 après la Deuxième Guerre mondiale avec pour objectifs premiers de maintenir la paix et la sécurité internationale. La fourniture de l’aide humanitaire, le développement durable, la garantie du droit international et la protection des droits de l’homme sont parmi les socles fondamentaux des objectifs premiers de l’organisation.

Excellence, l’ONU dont vous assurez le Secrétariat général, accorde une importance particulièrement élevée à la protection des droits de l’homme. D’aucuns disent combien vous vous attelez à défendre ces dits droits tant dans vos interventions publiques qu’au travers de vos actes. Comment en serait-il autrement, pour ce leader mondial dont l’ancrage idéologique s’inspire de la social-démocratie ?

Excellence, l’ONU dont vous assurez le Secrétariat général, est tellement attachée aux droits de l’homme qu’elle a adopté, en date du 10 décembre 1948, un texte à caractère universel connu sous le nom de « La Déclaration universelle des droits de l’homme ». Cette charte qui proclame les trente droits inhérents à chaque être humain est le couronnement d’un long cheminement historique témoignant de la volonté des hommes sous tous les cieux de vivre à la dimension de leur dignité originelle, tel que voulu par le Dieu créateur.

Excellence, la notion de droits de l’homme est ancienne et apparaît dans l’histoire sous des noms divers, mais conserve les mêmes valeurs sacro-saintes (liberté et égalité) depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine. Les penseurs, chercheurs, juristes, experts et institutions spécialisés en matière des droits de l’homme, dans un souci de systématisation, retiennent, du XIIIe au XIXe siècle, un ensemble de textes précurseurs de « la Déclaration universelle des droits de l’homme ».

Parmi les jalons les plus importants de cette valeur chérie par l’ONU, ils considèrent :

  • 1215 : la grande charte (Magna carta) – qui établit de nouveaux droits et soumet le roi à la loi.
  • 1628 : la pétition des droits (Bill of Rights) – qui établit les droits et les libertés du peuple.
  • 1776 : la déclaration d’indépendance des États-Unis – qui proclame le droit à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur.
  • 1787 : la constitution des États-Unis d’Amérique – qui établit la législation fondamentale du système fédéral américain ainsi que les droits fondamentaux des citoyens américains.
  • 1789 : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – en France – qui établit que tous les citoyens sont égaux devant la loi.
  • 1791 : la déclaration américaine des droits de l’homme – qui limite le pouvoir du gouvernement fédéral et protège les droits de tous les citoyens, de tous les résidents et de tous les visiteurs sur le territoire américain.
  • 1864 : la première convention de Genève – qui établit les normes du droit international.

Excellence, nous nous étonnons du fait que l’acte d’indépendance d’Haïti du 1er janvier 1804 n’ait pas été inclus dans cette liste.

Excellence, comment pourrait-on exclure parmi les jalons les plus importants en matière de droits de l’homme, l’acte d’indépendance du deuxième pays libre de toute l’Amérique et de la première république noire du monde ?

Excellence, comment pourrait-on exclure parmi les jalons les plus importants en matière de droits de l’homme, l’acte d’indépendance de l’unique pays au monde où une révolte d’esclaves a pu réussir ?

Excellence, comment pourrait-on exclure parmi les jalons les plus importants en matière de droits de l’homme, l’acte d’indépendance du pays qui a renversé avec fracas l’ordre d’un monde injuste construit et maintenu pendant des millénaires sur la déshonorante condition qu’est l’esclavage ?

Excellence, comment pourrait-on exclure parmi les jalons les plus importants en matière de droits de l’homme, l’acte d’indépendance du pays qui a ouvert la voie de la liberté à tous les peuples opprimés du monde entier ?

Excellence, comment pourrait-on exclure parmi les jalons les plus importants en matière de droits de l’homme, l’acte d’indépendance du pays dont les valeureux et courageux soldats ont combattu aux côtés des Américains pour leur indépendance (à Savannah, en Georgie), alors qu’ils croupissaient encore sous le pesant fardeau de l’esclavage ?

Excellence, comment pourrait-on exclure parmi les jalons les plus importants en matière de droits de l’homme, l’acte d’indépendance du pays qui a significativement contribué aux luttes pour l’indépendance de bon nombre de peuples de l’Amérique latine ?

Excellence, qu’il nous soit permis de vous rappeler que les États-Unis d’Amérique ont certes proclamé leur indépendance le 4 juillet 1776, mais que l’esclavage n’y fut aboli que le 31 janvier 1865. Tandis qu’Haïti s’est non seulement libéré du joug français, mais a du même coup aboli l’esclavage sur toute l’étendue de son territoire.

Excellence, qu’il nous soit permis de vous rappeler que l’Académie française a introduit dans la 9e édition de son dictionnaire le mot Vertières. Pour répéter l’écrivain Dany LAFERRÈRE, c’est le « petit lieu qui a vu la seule et vraie révolution nègre, où l’esclave a réussi à chambarder toutes les valeurs du colonialisme établies pour devenir citoyen. »   

Excellence, les Français, par le biais de leur prestigieuse académie, reconnaissent enfin l’existence de ce petit lieu où s’est tenue la dernière bataille pour l’indépendance d’Haïti. Or, l’acte d’indépendance d’Haïti, ramification conséquentielle de la bataille de Vertières, est l’expression marquée de la volonté de tout un peuple d’être libre. Conséquemment, ledit acte, comme tous les autres textes considérés comme précurseurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, est axé sur les deux valeurs fondamentales que sont la liberté et l’égalité.

Excellence, nous nous étonnons de plus de constater que les noms de Jean Jacques Dessalines, Henry Christophe et François Cappoix n’aient pas été retenus dans la liste des hommes célèbres ayant défendu les droits de l’homme.

Excellence, le philosophe français du 18e siècle, Voltaire, un polygéniste et défenseur de l’esclavagisme et, de fait, un maitre d’esclaves est considéré comme personnage célèbre en matière de défense des droits de l’homme, tandis que Jean Jacques Dessalines, Henry Christophe et François Cappoix qui ont subi l’ignominie du système esclavagiste et l’ont vaincu par leur inoubliable victoire sur l’armée napoléonienne et, conséquemment, acquis la liberté d’Haïti par le fer, le sang et la sueur ne sont pas figurés dans la liste des défenseurs de ces dits droits. L’incohérence est grotesque ! 

Excellence, au nom du rétablissement de la vérité historique et, dans un souci de justice, l’acte d’indépendance d’Haïti devra être inclus parmi les jalons les plus importants en matière de droits de l’homme et que, conséquemment, les noms de Jean Jacques Dessalines, Henry Christophe et François Cappoix soient figurés parmi les hommes célèbres en matière de défense de ces droits.

Excellence, cette correspondance vous est adressée à titre individuel, mais les six (6) organes principaux de l’organisation n’en sont pas moins concernés, à savoir l’Assemblée générale, le Conseil de Sécurité, le Conseil Économique et social, le Conseil de Tutelle, la Cour Internationale de Justice et le Secrétariat.

En fait, par notre demande, nous voulons attirer l’attention de toute la communauté onusienne sur un enjeu civilisationnel qui n’est pas des moindres, dans la mesure où il concerne la valeur sacro-sainte qu’est la justice.

Comment la grande communauté onusienne accueillera-t-elle cette légitime demande de justice ? Nous n’en savons absolument rien. Mais ce dont nous sommes sûrs, l’enjeu civilisationnel qui la sous-tend ne laissera aucun pays indifférent. Car, par elle, les anciennes puissances colonisatrices reconnaitront ou non le caractère déshumanisant de l’esclavage qu’elles ont instauré et imposé comme modèle économique dominant des temps de l’obscurantisme barbare et, du même coup, rétabliront ou non la dignité des noirs en lien avec leur apport significatif au progrès de l’être humain ; les pays victimes de l’esclavage seront enfin libérés des stigmates historiques ou continueront à subir les conséquences immatérielles et matérielles de la plus humiliante des conditions de vie que représentait l’esclavage ; les pays qui n’ont été ni colonisateurs ni colonisés se positionneront malgré eux par rapport à ce fait historique que certains tentent difficilement de nier les méfaits dévastateurs sur plusieurs générations d’individus.

Excellence, qu’il nous soit permis de vous faire remarquer, au passage, que sans l’inspirante indépendance d’Haïti, l’humanité tarderait à voir ou ne verrait jamais l’émergence de ces personnages emblématiques qui ont changé le cours de l’histoire et apporté, du même coup, un apport majeur à la consécration ou à l’effectivité des droits de l’homme. Nous voulons citer entre autres Harriet Tubman, Rosa Parks, Martin Luther King, Nelson Mandela, Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire et, plus près de nous, Barack Obama.

Excellence, notre judicieuse demande vous est parvenue à point nommé, dans la mesure où elle coïncide à la fois avec la célébration du 74e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui se déroulera cette année autour du fameux thème « dignité, liberté et justice pour tous » et avec le lancement prochain, soit le 10 décembre 2022, de la campagne d’une année devant culminer vers la célébration du 75e anniversaire de la susdite déclaration. En réponse à l’appel à l’action (#StandUp4HumanRights) de cette campagne annuelle, nous répondons énergiquement « Dignité afro-haïtienne rétablie, contribution afro-haïtienne à la liberté reconnue et justice pour Haïti, l’Afrique et tous les peuples noirs du monde. »

Excellence, Kofi Annan qui a dirigé la prestigieuse organisation onusienne pendant de nombreuses années (mars 1992-février 1993 et mars 1993-décembre 1996) a déclaré et nous citons : « C’est à vous, les jeunes du monde entier, de faire de ces droits une réalité, maintenant et pour toujours. Leur destin et leur avenir se trouvent entre vos mains. »

Excellence, avant que les jeunes des générations futures ne viennent remettre en question ces droits que l’ONU dit être la gardienne, qu’il nous soit permis de vous inviter à donner suite favorable à cette demande de justice. Car, soyez bien assuré qu’il viendra un temps – et ce temps n’est pas loin – où toutes les nations ayant été opprimées ou actuellement en situation d’oppression regarderont leurs oppresseurs droit dans les yeux. Aussi, seront-ils ébranlés les fondements de l’Organisation des Nations Unies.

L’histoire retiendra, Excellence, que vous en avez été averti par un haïtien ayant reçu l’intelligence des temps.

 

Vive la dignité de tous les humains !

Vive la cohabitation harmonieuse de tous les peuples du monde !

Vive la reconnaissance de la prouesse afro-haïtienne !

Vive une nation haïtienne rétablie dans sa dignité !

La paix de Dieu sur Haïti et sur le monde entier !

 

Carrefour, le 7 décembre 2022

 

Samuel GERMAIN

Licencié en droit, master en sciences du développement, écrivain et chargé de cours dans les universités

e-mail : germainsamuel17@gmail.com

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