De la nécessité de repenser le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ)

L'existence des trois (3) pouvoirs, la séparation de ces pouvoirs et la bonne marche des institutions qui composent ces pouvoirs sont des conditions sine qua non à tout État de droit et à toute société démocratique.

En ce qui concerne plus précisément le pouvoir judiciaire, il est une nécessité impérieuse de la part du souverain qui incarne l’État d’assurer l’indépendance de ce pouvoir à travers les structures statut- aires, juridiques et matérielles afn de garantir une administration saine et équitable de la justice aux fns de la sécurité juridique de la personne (Errilus Marc, 2016, p.1). En ce sens, les constituants de 1987 ont posé comme fondement le principe de la séparation des trois (3) pouvoirs dans la grande Charte de l’État haïtien. Plus tard, soit en 2011, ce principe a été repris dans l’amendement de la Constitution notamment en ses articles 59 à 60.2. De manière particulière, le pouvoir judiciaire est traité aux articles 173 à 184.2 dans cet amendement. Toujours, dans le même ordre d’idées, l’article 184.2 précise : « L’administration et le contrôle du Pouvoir judiciaire sont confus à un Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire qui exerce sur les magistrats un droit de surveillance et de discipline, et qui dispose d’un pouvoir général d’information et de recommandation sur l’état de la magistrature. Les conditions d’organisation et de fonctionnement du Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire sont fixées par la loi. »

En effet, ledit Conseil en l’occurrence le CSPJ a été créé bien avant, soit par la loi du 13 novembre 2007. Il a remplacé le Conseil Supérieur de la magistrature dont le rôle a été attribué par le Tribunal de la Cassation de la République par la loi du 12 mai 1920. Laquelle loi a été modifiée à deux reprises (le 12 mai et le 18 juin 1925). Le législateur a jugé bon de consolider et d’assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire tout en instituant le CSPJ. En 2012, cette institution allait être mise en place. Aujourd’hui, huit (8) ans après, le CSPJ fonctionne encore bon gré, mal gré, d’où une institution en déroute.

En fait, cela a des impacts sur la société haïtienne parmi lesquels l’on peut citer le mépris des droits humains. Également, cela empire la situation juridico-poli- tique haïtienne, à savoir le renforcement de la dépendance du pouvoir judiciaire. Du coup, des interrogations sont faites, lesquelles découlent d’une interrogation centrale. Quelles sont les causes qui sous-tendent au mauvais fonctionnement du Conseil Supérieur du pouvoir judiciaire voir son inefficacité? Afin de mieux cerner le sujet, il est question de soulever les points faisant obstacle à cette institution. Ce faisant, une analyse des règles juridiques en particulier la loi créant le CSPJ et celle de l’état de fait seront exposées.

Tout d’abord, voyons le texte légal. Selon la loi créant le CSPJ, ce dernier dispose d’une mission d’administration, de contrôle, de discipline, de délibération et non d’un pouvoir décisionnel au sens plein. Le conseil se compose de neuf (9) membres parmi lesquels l’on trouve le commissaire du gouvernement près de la Cour de la Cassation. Or, l’on sait bien que les commissaires du gouvernement sont des agents du pouvoir exécutif qui se trouvent près des tribunaux et les Cours.

Dans la pratique, ces derniers sont redevables à celui qui les nomme. Souvent, ils se contentent à agir pour le compte de l’exécutif. Ce qui remet en question la séparation des pouvoirs et en particulier l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Ensuite, le cumul des fonctions est problématique dans la mesure où l’on a de surcharge. Par exemple, on est juge de paix et membre du CSPJ simultanément. En outre, les magistrats qui font partie du CSPJ, peuvent entraver les mesures disciplinaires prises par le Conseil. Selon la logique corporatiste, ils peuvent soutenir leurs collègues (magistrats) dans le cas où ces derniers se trouvent mêlés dans des affaires de corruption.

Être détenteur d’un diplôme universitaire équivalent au moins à la licence est un des critères pour être membre du CSPJ.

Ici, il n’y a pas de précision. Ce qui laisse croire que par conséquent, un ingénieur civil ou une personne licenciée en chimie peut faire partie du CSPJ. Par exemple, la personnalité de la société civile désignée par le Protecteur du Citoyen. Cependant, ces professions-là n’ont aucun rapport avec les fonctions exercées par les mem- bres de cette institution. Tenant compte d’un cas pareil, il peut y avoir des dérives au niveau du Conseil.

De cette même loi, un autre problème survient. En l’article 33, il est dit : « Si le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire estime que les faits dénoncés constituent un crime ou un délit, il renvoie l’affaire devant l’instance pénale compétente. Toutefois, la mise en mouvement de l’action publique n’arrête pas le cours des poursuites disciplinaires. » Par contre, qu’adviendra-t-il dans le cas où les décisions rendues par l’instance pénalecompétente et celles du CSPJ sont contradictoires, puisque la loi ne dit rienrelativement à ce cas?

Le CSPJ a été créé dans le but d’assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire, or cette même loi contredit ce but. Le Ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP) partage des compé- tences relatives à la fonction judiciaire avec le CSPJ, telles que la discipline des officiers du Ministère public (Art. 35 de la loi créant le CSPJ en guise de référence).

 

[1] Selon la constitutionnaliste Mirlande

Manigat, « le ministre de la Justice se pose comme le véritable administrateur du système judiciaire parce qu’il lui appartient le pouvoir de rendre compte au Parlement du mode de fonctionnement du système judiciaire et de répondre en cas de manquements et de dérives révélées par des affaires ». Le CSPJ qui est soi-disant l’organe directeur du pouvoir judiciaire se soumet aux hauts commis de l’État à savoir le président de la République, le président du Sénat et celui de laChambre basse. Ce qui rend le pouvoir judiciaire un pouvoir subalterne à l’égard des deux autres pouvoirs. Les articles 6 et 7 de la loi créant le CSPJ peuvent corro- borer cela. [2]

Maintenant, appréhendons-nous l’état de fait. En effet, le pouvoir judiciaire se dispose d’un faible budget. Le CSPJ n’a pas un budget propre. Ainsi, il fait face à des contraintes financières, matérielles et humaines. La Direction del’Inspection judiciaire définie dans la loi créant le CSPJ ne peut pas répondre vrai- ment à ses attributions. Lesquelles sont de contrôler la discipline des juges, le fonctionnement des cours et tribunaux suivant les lois et les règlements, et de recevoir et traiter les plaintes et les doléances des justiciables. Dans le cadre de renforcer et améliorer les conditions de travail de cette structure, l’unité d’appui institutionnel de la MINIJUSTH lui a remis ainsi que la Commission technique de certification un lot de mobiliers et de bureau et d’équipements informatiques le 7 novembre 2018.

Selon le rapport du Réseau national de Défense des Droits Humains (2014), le CSPJ ne se dispose pas vraiment d’une autonomie à cause de certaines ingérences de l’exécutif. « Le 3 avril 2014, une liste de plusieurs magistrats, dont des juges de siège [...] a été acheminée au Ministère de la Justice et de la Sécurité publique par le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire avec recommandation de renouvellement. Cette liste a été ignorée par le ministre de la Justice et de la Sécurité publique Me Jean Renel SANON. Après plusieurs mois de tergiversation et plusieurs appels de la population sur la situation catastrophique des juridictions de jugement du pays, le ministre de la Justice, Me Jean Renel SANON, a décidé de renouveler le mandat de plusieurs Juges dont certains ne figurent pas sur la liste qui lui a été acheminée. Parmi ceux qui ont bénéficié de la bonne grâce du ministre de la Justice se retrouvent plusieurs Magistrats qui ont des plaintes pendantes au niveau du CSPJ » (RNDDH, 2014,p.4).

Ainsi, cette situation nous pousse à dire que le CSPJ comme son nom l’indique,n’existe pas en réalité. En fait, on n’a qu’un Conseil Supérieur de la Magistrature. Le CSPJ n’est qu’un changement de nom du Conseil Supérieur de la Magistrature. De manière plus claire, cette appellation à savoir le CSPJ n’est qu’une décoration nominale. On l’appelle Con seil Supérieur du Pouvoir judiciaire, mais dans la réalité et selon la loi, on est loin d’avoir un Conseil Supérieur du Pou- voir judiciaire proprement dit. Tenant compte des considérants de la loi créant le CSPJ [2], et de la mission même de cette institution, l’on ne peut pas parlerréellement du Conseil Supérieur du pou- voir judiciaire. Car, le CSPJ exerce un contrôle uniquement sur les magistrats.

Cependant, le pouvoir judiciaire n’est pas formé seulement des magistrats, il est composé également des huissiers, des greffiers. Or, c’est le Ministère de la Justice et de la Sécurité publique qui se charge de ces fonctionnaires. Le soi-disant CSPJ n’a aucun contrôle sur eux. À titre d’exemple, le CSPJ a gardé le silence sur les mouvements de grève déclenchés par les greffiers et les huissiers .

Pour conclure, les institutions qui devraient garantir l’État de droit en Haïti connaissent de graves anomalies, et le peu de mesures relatives que prennent les pouvoirs publics sont insuffisantes. En fait, cela ne fait que de mettre en péril. Les droits humains en Haïti. Cela sous- entend également la dépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des deux au- tres pouvoirs. De son côté, le CSPJ parait comme un déguisement de l’exécutif dans les affaires du pouvoir judiciaire. Autrement dit, le CSPJ contribue à renforcer la mainmise du Pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire. Si pour plus d’un, la mise en place du CSPJ est une condition indispensable à l’indépendance du pou- voir judiciaire, en réalité, le CSPJ est très dépendant et ne fait que de rendre plus dépendant le pouvoir judiciaire vis-à-vis des deux autres pouvoirs.

En revanche, le pouvoir judiciaire haïtien a besoin d’un organe directeur ayant les moyens structurels et économiques ef- fcaces afn d’assurer son indépendance. En ce sens, on doit repenser le CSPJ dans la mesure où l’on vote une loi qui révise son statut, ses fonctions et qui lui dote d’un budget propre. Il faut donner égale- ment certaines prérogatives au CSPJtelles que lui permettre de jouer son plein rôle dans la gestion et l’administration des ressources du pouvoir judiciaire, et lui favoriser l’indépendance et le plein contrôle sur tous les organes du pouvoir judiciaire. Ainsi, le système judiciaire haïtien pourra respirer un air plus ou moins sain et remplir sa véritable tâche qui est de « Rendre une justice saine, impartiale et équitable ».

 

Whitchler-Junior JEAN-

PIERRE

 

Notes

1-Art. 35: Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique assure la discipline des officiers du Ministère public. Il peut en cas de faute disciplinaire prendre toute sanction appropriée. Sa décision doit être motivée et également notifiée à l’Officier du Ministère public sanctionné.

2-Art. 6: Les membres du Conseil sont nommés par Arrêté du Président de la

République sur présentation par le ministre de la Justice et de la Sécurité publique de la liste établie conformément aux articles 4 et 5 de la présente loi.

Art. 7: Avant leur entrée en fonction, les membres du Conseil Supérieur du Pou- voir judiciaire prêtent au siège du Con- seil, sur la Constitution, le serment suivant devant le Président de la République et en présence des Présidents du Sénat et de la Chambre des Députés; Je jure de respecter la Constitution, les lois et les règlements de la République, de veiller au fonctionnement régulier du Pouvoir judiciaire et à la protection des droits des justiciables».

Un procès-verbal de prestation de serment est dressé. Il est signé du Présidentdu Conseil.

3-Considérant qu’il convient de rappeler aux magistrats du siège et du parquet les devoirs de leur état;

Considérant qu’il est impérieux de définir un régime strict de responsabilité,qui sanctionne les manquements indi- viduels aux obligations des magistrats dusiège et du parquet et protège les justi- ciables contre les abus;

Considérant qu’il est impérieux de moderniser l’organisme appelé à exercer la discipline des magistrats ;

Considérant qu’il convient en outre de doter la magistrature d’un organisme chargé de gérer le cheminement professionnel des magistrats du Siège et du Parquet; considérant qu’il est opportun que les nominations initiales et subséquentes des juges à des postes puissent s’appuyer sur l’avis d’un organisme professionnel et selon les principes de compétence, de mérite et d’ancienneté et qui sanction- nent leur manquement individuel;

 

Références bibliographiques

Constitution de la République d’Haïti de 1987 amendée le 9 mai 2011, Éditions Fardin, août 2012.

Loi créant le Conseil Supérieur du Pou- voir judiciaire, in Le Moniteur. No112, publié le jeudi 20 décembre 2007.

Marc, E. (2016). Indépendance judiciaire en Haïti : les règles juridiques comme facteur explicatif du malfonctionnement judiciaire. Mémoire de maîtrise présenté à l’université Laval pour l’obtention du grade de maître en droit, sous la direction de Louis-Philippe Lampron, Canada.

Réseau national de Défense des Droits Humains (2014). Fonctionnement de l’appareil judiciaire au cours de l’année 2013-2014.

Saint-Louis, L. (2004). Rapport sur l’état du pouvoir judiciaire : Haïti, 2002-2003. 26e session du Groupe de travail sur

l’EPU (2016). L’accès aux Recours judiciaires en Haïti. Rapport soumis au Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies.

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES