Interventions internationales en Haïti : limites ,faiblesses et recommandations

0
1182

Le politologue Mathias Devert propose un cadre d'analyse des interventions internationales dans la crise haïtienne

 Le Multilatéralisme est confronté à de nombreux défis aujourd’hui en matière de maintien de la paix.  Il doit incessamment répondre à une question fondamentale : comment construire la paix dans un monde tourné davantage vers les conflits intra étatiques ?

 

Or, la force militaire ne garantit nullement la réussite d’une intervention étrangère dans le cadre de la résolution de ces conflits. De plus, la puissance projetée peut faire face à un problème de légitimité en raison de la souveraineté de l’État qui peut servir de couverture aux élites ne voulant pas se plier à l’agenda international.

En ce sens, les interventions internationales dans les conflits intra étatiques ont retenu notre attention notamment dans le cas d’Haïti. Ce pays fait face à une situation de crise récurrente depuis 1991 et ne parvient pas à s’en sortir malgré diverses interventions de l’ONU.

Aujourd'hui encore la communauté internationale envisage une nouvelle intervention dans le pays pour contenir la violence des gangs qui contrôlent une grande partie du territoire national.

 

-Fondements des Interventions internationales

La Charte des Nations Unies adoptée le 26 juin 1945  définit le Conseil de Sécurité de l’ONU comme organe responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationale (article 24.1).

 Lorsqu’il y a un conflit et qu’il y voit une “une menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression”, le CS doit tout d’abord constater cette menace (art 39, chap VII). Puis, il va recommander le type de mesures à prendre.

 

Toute décision du CS, pour qu’elle soit effective, doit être votée et adoptée à la majorité de neuf voix sur quinze par les membres du Conseil de Sécurité. Les 5 membres permanents de l’ONU ont un droit de veto. Le moindre veto levé peut bloquer une décision.

Cependant,  toute cette théorie concernant les pouvoirs du Conseil de Sécurité et les possibilités d’intervention extérieure établies par la Charte en 1945 vont avoir du mal à se développer jusqu’aux années 1990. En effet, peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création de l’ONU, on rentre dans un contexte de Guerre Froide. Ainsi, le Conseil de Sécurité de l’ONU va connaître une “paralysie” car le droit de veto sera beaucoup utilisé à l’encontre de ses décisions.

 

Cette paralysie du CS va se répercuter sur l’intervention internationale et la mise en œuvre des OMP. Depuis leur création en 1948, environ 71 OMP ont été déployées. Seulement 14 ont eu lieu pendant la GF et 57 à partir de 1988. C’est la fin de la GF et l’arrivée de la notion de consolidation de la paix dans les années 1990 qui vont permettre l’essor de l’intervention internationale et celle des OMP.

L’intervention internationale ayant lieu jusqu’à la fin de la GF va surtout se traduire par des OMP d’observations notamment les trois premières qui fondent ce que Jocelyn Coulon et Michel Liégeois appellent la « triade fondatrice des opérations de maintien de la paix ». 

    Ayant conscience que dans les conflits intra étatiques, où l'État est defaillant ,il ne suffit pas uniquement d'envahir le territoire national la communauté internationale a évoqué un consensus libéral comme moyen efficace pour maintenir  la paix  et éradiquer les causes structurelles de la violence.

 Ainsi, l’ONU cherche à éviter que les escalades locales deviennent des conflits internationaux. Pour y arriver, elle utilise une méthode axée sur trois éléments : observation, médiation et interposition.

-Bilan mitigé des interventions internationales

Malgré les ressources allouées et les nombreuses interventions dans les zones de conflits, la CI peine encore à éradiquer les violences comme  prévu dans le consensus libéral. Ce constat alarmant rend pessimistes les observateurs qui voyaient en ce modèle un espoir pour la paix durable dans le monde.

.Des succès insuffisants pour légitimer le modèle 

    S'agissant des interventions extérieures selon certains chercheurs, pour qu'elles soient réellement une réussite elles doivent être limitées dans le temps, avoir l'adhésion locale et aboutir à un accord politique entre les acteurs. Dans cette perspective, comme le croit Pascal Boniface,  on peut considérer l'intervention en Côte d'Ivoire comme un succès car sa fin a été programmée en raison de l'atteinte de sa mission contrairement à d'autres qui deviennent permanentes. De plus ,elle aurait permis d'éviter le risque d'un génocide type Rwanda en Côte d'Ivoire et a facilité la signature d'un accord ayant conduit aux élections. Aujourd'hui la Côte d'Ivoire est un pays stable du continent africain.

    D'autres chercheurs en sécurité internationale croient également que les interventions en Liberia, Sierra Leone et d’autres encore  ont connu également des succès.Toutefois,les interventions internationales ont des effets pervers et peuvent fragiliser  la paix qu'elles tentent d’instaurer . Par exemple, dans le cas du Cambodge, elle a abouti à une démocratie autoritaire; au Guatemala, elle a renforcé les inégalités .

.Échecs cuisants des interventions extérieures

    Dans certains cas l'intervention qui devrait être la solution serait perçue comme le problème. Par exemple en Somalie, l'ONU et les États-Unis sont intervenus dans le conflit à partir de 1992 sans pouvoir s'entendre sur un agenda commun et en voulant surtout  imposer une solution descendante . Le chef rebelle, en compagnie des seigneurs de guerre et groupes islamistes, devient vite un héros national et a compliqué le processus de rétablissement de la paix voire de consolidation de la paix .

    Les interventions extérieures ont laissé ce pays dans un État beaucoup plus critique qu'avant leur arrivée au point que le concept de somatisation caractérise les États qui s'effondrent sans pouvoir se relever.

    Cette intervention à côté de celle du Rwanda et de l'Afghanistan constitue l'un des plus grands échecs de la communauté internationale dans les zones de conflits sans exclure les interventions en Haïti  qui datent des décennies, mais ne parvenant toujours pas à résoudre la crise .

Dans le cas des différentes interventions en Haïti , Jocelyn Coulon  fait remarquer qu'au-delà des causes internes ,politiques et sociales qui peuvent expliquer leurs échecs, l’incapacité des États et des organisations internationales à assurer une continuité des efforts et de l’aide est un facteur aggravant. De plus, elles étaient toutes contraintes par une limite de temps imposée par des autorités nationales et internationales soucieuses de ne pas s’éterniser sur place et peu disposées à y investir des ressources financières. Ajouté à ces facteurs , le personnel était parfois incapable de se déployer ou était évacué lorsque les choses tournaient mal sur le terrain. Pour lui, la segmentation de l’intervention internationale a empêché la consolidation des processus de reconstruction et de dialogue politique.

.Consensus sur l'efficacité des interventions

    Le débat sur l'importance des interventions extérieures dans les conflits a pris de l'ampleur suite à la multiplication des conflits intra étatiques et l'intervention des acteurs internationaux depuis 1990.  Ces genres de guerres hors cadre conventionnel  sont généralement difficiles à appréhender par les puissances projetées tenant compte des facteurs de territoire et de population. Elles peuvent vite tourner en cascade comme les opérations en Somalie et en Afghanistan. D'où l'origine de ses nombreuses  critiques.

    Toutefois ,les études réalisées sur cette question montrent que l'intervention internationale malgré les échecs enregistrés a aussi connu d'importants succès, bien que  limités sur certains points comme nous l'avons évoqué précédemment .

    L'élément fondamental pour le succès d'une intervention internationale est l'adhésion locale. Ajouté à cela il faut voir aussi la perception autour de la force armée internationale qui ne doit pas être considérée comme une force d'occupation et également le niveau d’engagement de la CI.

    En ce sens, l'OCDE s'accorde sur certains points pour qu'une intervention puisse réussir en zone de conflit : le nombre de militaires et de  policiers déployés ,l'assistance économique ,la durée de l'intervention et les objectifs définis. Donc ,nous pouvons conclure que  le résultat d'une intervention extérieure dépend  de la volonté de l’intervenant et de l'engagement des acteurs locaux.

 

Conclusion

La récurrence des crises en Haïti est une preuve irréfutable des limites des différentes interventions internationales qui ne parviennent pas à s’attaquer aux causes profondes de la violence. En voulant construire la démocratie dans le pays dans un cadre macro, les acteurs internationaux ont mis emphase  sur les institutions, la constitution sans pourtant songer à construire le citoyen haïtien apte à faire face aux exigences de la démocratie.

Le projet de la construction de la démocratie n’a pas été pensé par le bas pour permettre aux Haïtiens de se l’approprier. Pour preuve la démocratie est dans l’impasse en Haïti. Ensuite en matière de sécurité, ils n’ont pas construit des capacités locales dans le pays . L’armée haïtienne n’existe que de nom, la police est dépourvue de moyens ; le pays est dépendant de l’aide internationale pour assurer sa sécurité malgré les derniers efforts consentis par la MINUSTHA. Enfin l’aide est généralement articulée autour de l’urgence sans parvenir à construire des infrastructures durables sur le long terme dans le pays.

L’intervention internationale en Haïti pour  être efficace devrait s’attaquer aux causes  socioéconomiques  se trouvant à la base de la violence ;   combattre la corruption des élites économiques et politiques haïtiennes ; faciliter la construction d’une société civile pouvant soutenir le projet de la démocratisation.

Mathias L. DEVERT,  MS Politique et Pratique des Organisations Internationales ( Sciences Po- Grenoble). mathiasdevert@gmail.com

 

Références

  • Bernardin Raymond, Cinq siècles d’histoire d’Haïti, Tome3
  • Hind Zaamoun, construction de la Paix par le bas : cas de la société civile syrienne en exil, Policy paper janvier 2021
  • Jean Pierre Maulny, les interventions ont-elles militaires encore un sens ? De l’usage de la force armée dans le monde post-guerre froide, revue internationale et stratégique 2015 (N° 99)
  • Jocelyn Coulon, l’intervention internationale. Pour une éthique de l’engagement sur la longue durée, les finances publiques, vol 10 N1, 2008
  • Katia Legaré, capture locale du programme de consolidation de la paix : entre hybridité et continuité de l’ordre, Études Internationales, 2010
  • Morgant Beatrice Pouly, l’intervention de l’ONU dans l’histoire politique d’Haïti, ed l’harmattan ,1998
  • Namie Di Razza, Les nouveaux défis du processus Onusien de consolidation de la paix en Haïti, Bulletin de l’Association de Géographes Français Année 2010 87-3 pp. 293-307
  • Oliver P. Richemond, A post Liberal Peace, Routledge, 2011
  • Pascal Boniface, Les opérations militaires extérieures, Pouvoirs (n° 125), 2008
  • Petiteville Franck, Les organisations internationales, la découverte, 2021
  • Pierre Étienne Sauveur, Haïti misère de la démocratie, harmattan, 1999
  • Teresa Almeida Cravo, consolidation de la paix, Postulats, pratiques et critiques, ASPJ Afrique & Francophonie, 1er trimestre 2018

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES