Quelques vérités sur le problème de l’insécurité en Haïti

Tout le monde souffre cruellement depuis des années de l’insécurité en Haïti et à l’heure actuelle le phénomène est particulièrement aigu, se caractérisant notamment par une peur généralisée dans le pays, surtout dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince et la Vallée de l’Artibonite où sévissent les groupes armés les plus puissants et les plus violents. Il est de plus en plus impossible de sortir sans risque de pouvoir rentrer en soi sans être kidnappé ou agressé par des bandits professionnels ou encore pour les conducteurs de véhicules sans voir ses parebrises voler en éclats et même sans recevoir des jets de pierre ou de bouteilles lors des manifestations violentes. Les analyses pleuvent sur le phénomène de l’insécurité et cela souvent sur la foi de rumeurs et d’informations inexactes. Mais, il importe en cette période difficile d’essayer de répondre à un questionnement sur les capacités réelles des forces de sécurité que sont la Police nationale d’Haïti et des Forces armées d’Haïti qui se sont révélées manifestement incapables de prendre en main la situation. Il s’agira de répondre à trois questions essentielles à savoir :

Quel est le niveau réel de l’insécurité en Haïti ?

Que peut faire l’Armée d’Haïti ?

Que peut faire aussi la Police nationale d’Haïti ?

 

  1. Le niveau terrifiant de l’insécurité en Haïti

1.1 Un pays miné par des groupes armés

On estime à l’heure actuelle que sévissent environ 200 groupes armés dans le pays dont la moitié se concentre dans l’aire métropolitaine. Certains d’entre eux disposent d’une puissante force de frappe avec des armes en moyenne supérieure à celles que détient la Police nationale d’Haïti et surtout de techniques qui relèvent de celles de la guérilla. Elles sont capables de surprendre les forces de l’ordre et de mener des actions surprises sur des terrains qu’ils contrôlent de manière durable, comme la zone de Martissant qui échappe depuis deux années aux forces de défense. Il en est de même de nombreuses autres parties du territoire.

Ces groupes armés dont il est difficile de connaitre les effectifs sont organisés suivant une hiérarchie ayant à leur tête un chef principal que les subalternes appellent généralement papa, général ou commandant et un, deux ou trois lieutenants principaux qui peuvent remplacer le chef principal si celui-ci est arrêté ou décède en cours de combat ou dans toute autre circonstance. En-dessous, se trouvent la masse des subalternes pour la plupart des jeunes qui prennent le nom de soldats.

On a observé qu’à partir de juin 2020, les gangs ont commencé à se regrouper pour former deux fédérations rivales: d’une part, le G9 et fanmi e alye dirigés par Jimmy Chérizier et comprenant huit autres gangs et des gangs alliés pour former le G20, et d’autre part, le G-Pep dirigé par Ti Gabriel, chef de gang à Cité Soleil, qui englobe un nombre sensiblement égal de gangs. Il reste que l’enjeu de la formation des fédérations est de pouvoir prêễter main-forte aux membres de chacun des gangs en cas d’attaque par les forces de l’ordre ou par un membre de la fédération en face.

 

1.2 Les activités des gangs dans le pays

On peut considérer que depuis les deux dernières années pas un jour ne passe sans que l’on ait de mauvaises nouvelles concernant les activités des gangs dans le pays. Des enlèvements spectaculaires dont le mécanisme est bien huilé, puisque chaque opération doit être généralement bouclée en moins de deux minutes pour ne pas être contrariée par les agents de la Police. Tout se déroule toujours dans la violence avec des menaces contre les personnes ciblées parce que si elles opposent la moindre résistance, elles sont abattues froidement par les malfrats. Le kidnapping se fait le plus souvent par des équipes dans des voitures teintées qui ont été volées antérieurement et parfois avec l’appui d’individus à bord d’une moto. Les autres activités sont en plus des pillages, des carnages effrayants et divers assassinats d’individus, des attaques qui sont perpétrées contre les installations de la Police nationale, les bâtiments administratifs, les entreprises privées, les écoles. Ce qui est plus spectaculaire, ce sont les affrontements entre les groupes armés qui ont provoqué chaque fois et pendant plusieurs jours de nombreuses victimes, comme il en fut à Bel-Air, à Martissant, à Cité Soleil, à la Croix-des-Bouquets, à Pernier, et plus récemment dans la Côte des Arcadins, notamment dans la commune de Cabaret. Avec en plus des centaines de cas de viols sur les femmes et les adolescentes et des dizaines, voire des centaines de domiciles incendiés sans assistance à personne en danger de la part de la Police nationale d’Haïti. Ajouter aussi des détournements de camions de marchandises diverses y compris de camions-citernes à destination des stations d’essence, de véhicules de transports en commun ainsi que de containers de produits importés. Il ne faut pas oublier que les gangs ont mis au point leur propre fiscalité à travers les péages imposés aux véhicules divers sur divers axes de circulation comme à Martissant et sur la route nationale numéro 1, le paiement de droits sur les résidences des habitants dans les quartiers qu’ils contrôlent et les montants qui sont réclamés aux entreprises dans les quartiers sous l’emprise de ces groupes. Enfin, des blocages de terminaux pétroliers qui ont paralysé tout le pays à plusieurs reprises comme en octobre-novembre 2021 et septembre-octobre-novembre 2022.

 

1.3 Extension et configuration territoriale des groupes armés

Au cours des cinq dernières années, les gangs n’ont cessé d’étendre leurs tentacules dans le pays. Si jusqu’au début des années 2000, les gangs ne contrôlaient qu’environ 10% de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, ils ont maintenant sous leur emprise  plus de 70% du grand Port-au-Prince et peut-être aussi plus 60% de l’ensemble de l’espace national. Ils sont également bien implantés dans de nombreuses autres parties du pays surtout dans le département de l’Artibonite.

Actuellement, Port-au-Prince se trouve doublement encerclé par rapport au reste du pays. D’une part, par les gangs qui l’enserrent dans une couronne quasiment hermétique au nord, au sud, à l’est et à l’ouest. Cela avait commencé avec le blocage de Martissant en juin 2021, puis quelques mois plus tard avec les difficultés croissantes dues à l’emprise des 400 Mawozo sur la nationale numéro 8, c’est-à-dire de la route reliant la capitale à la République dominicaine via Malpasse. Et enfin, depuis septembre 2022 avec la pression portée par les gangs de Canaan renforcée par les actions du gang Senk Segond d’Izo sur la Côte des Arcadins. Depuis novembre 2022, la pression des gangs s’est étendue de plus en plus au nord de Port-au-Prince, englobant le port de Lafiteau, les Moulins d’Haïti, la Cimenterie nationale d’Haïti et même la commune de Cabaret où une première attaque avait causé pendant la nuit au 29 au 30 novembre la mort d’une douzaine de personnes à Source Matelas avec plusieurs maisons incendiées. Actuellement, la zone au nord de Canaan avec principalement le gang Taliban est pratiquement devenue une « zone rouge » pour les transporteurs et toutes les activités, des centaines de conteneurs se trouvant en plus bloqués dans le port de Lafiteau depuis plus de trois mois avec les marchandises qui pourrissent.

 

1.4 Conséquences des activités des gangs

Tous les secteurs d’activité ont été affectés par les déplacements provoqués par les activités des gangs armés : les établissements financiers, l’administration, le commerce, les écoles, les églises, le secteur résidentiel et même le secteur de la sécurité publique.

Dans des quartiers du sud de Port-au-Prince comme Martissant, Fontamara, les bandits ont balayé à la fois les résidents et les activités essentielles, notamment les banques, les entreprises financières, les établissements de santé ainsi que de nombreuses écoles.

L’administration a été aussi victime surtout dans la zone du Bicentenaire d’où sont partis l’Institut haïtien de statistique et d’informatique, le Centre de techniques de planification et d’économie appliquée, sans oublier le Palais de justice qui a été finalement envahi et occupé depuis le 10 juin 2022 par les bandits avec perte de mobilier, de véhicules, des archives et même du coffre-fort de l’institution. Depuis mai 2022, les locaux de la Primature et du Parlement sont pratiquement à l’abandon en raison de la toute-puissance des gangs armés dans tout le secteur du Boulevard Harry Truman. Enfin, plusieurs ministres et directeurs généraux de ministère ont abandonné leurs anciens bureaux dans le centre-ville pour s’installer dans les hôtels de Pétionville.

De même, depuis les années 2010, de plus en plus d’entreprises dont le journal Le Nouvelliste ont été obligées de fermer dans le centre-ville pour venir à Pétionville ou à Bon Repos, Clercine et Tabarre. Parallèlement, nombre de celles qui étaient implantées à Bon Repos, Carrefour Marassa, Carrefour Fleuriot, Route Neuf, Noailles, Santo, Noailles, La Tremblay ont été contraintes depuis peu de cesser leurs activités ou de se délocaliser.

On ne peut oublier les marchés publics importants du cœur de la capitale comme le marché de la Croix-des-Bossales dont les activités sont de nos jours réduites à une peau de chagrin.

Combien de commissariats et sous-commissariats de police, la PNH a perdus depuis l’année 2020, abandonnant des quartiers où les populations sont livrées à elles-mêmes ?

Les plus grandes conséquences des activités des bandits se situent surtout à l’échelle macroéconomique. Conjugués avec les turbulences politiques et la crise du carburant, les méfaits des gangs mis à mal l’ensemble du tissu économique du pays, provoquant l’effondrement d’une bonne partie du secteur privé avec disparition de plusieurs entreprises sinon le ralentissement de leur fonctionnement et à la clé une baisse sensible du PIB évaluée par l’IHSI à 1,7% pour 2022.

 

2. Que peut faire l’Armée d’Haïti ?

2.1 L’Armée d’Haïti avant sa reconstitution sous Jovenel Moïse

Après les diverses vicissitudes qu’a connues l’armée haïtienne au 19e siècle où elle a été à plusieurs reprises affaiblie par les guerres civiles à répétition, les insurrections, les renversements et les assassinats de chefs d’État avant la grande refonte décidée par les Américains sous l’Occupation du pays entre 1915 et 1934, l’institution a été profondément déstabilisée sous la dictature des Duvalier et dissoute en 1994 après le retour d’exil de Jean-Bertrand Aristide.

Depuis la campagne de Michel Martelly en 2011, l’idée était lancée de reconstituer les anciennes forces armées pour revenir aux prescrits de la Constitution. Les premiers pas du président ont été la création en 2012 d’un ministère de la Défense qui s’occupait outre des anciens militaires qui exerçaient de fortes pressions pour le rétablissement de l’armée et se livrant à  l’occupation d’anciennes casernes en plusieurs points du pays, mais également de préparer les études pour donner corps au projet. Michel Martelly avait aussi signé un accord de coopération avec l’Équateur pour la formation des futurs cadres de l’armée d’Haïti. Mais, il avait quelque peu trainé les pieds parce que parallèlement il se heurtait déjà à la réticence de la communauté internationale qui n’a jamais promis son aide pour la concrétisation du projet de résurrection des Forces armées d’Haïti.

 

2.2 La reconstitution de l’Armée d’Haïti sous Jovenel Moïse

Lors de la décision de la reconstitution de l’armée en 2017 23 années après la dissolution de l’institution par Jean-Bertrand Aristide, Jovenel Moise est revenu avec le terme de Forces armées d’Haïti. En fait,  il s’agissait simplement d’un embryon d’armée dont l’avenir est encore dans les limbes cinq années après. Cette reconstitution qui avait été opérée au nom de l’affirmation de la souveraineté nationale n’avait pas évoqué les autres forces de sécurité, comme la police, l’aviation et la marine qui constituent les éléments des forces armées dans n’importe quel pays. Le retour de l’armée d’Haïti  s’était  effectué dans l’indifférence, voire l’opposition des pays amis d’Haïti qui ont toujours émis le souhait que le pays s’en remette à une force de police dont les effectifs et les moyens sont cruellement insuffisants.

L’idée du retour de l’armée était aussi alimentée par le mythe que l’armée serait la seule force capable de rétablir la sécurité à un moment d’ailleurs où les gangs donnaient du fil à retordre à la Police nationale et cela dans la perspective du départ de la MINUSTAH. Pourtant, de nombreux pays, même quand ils disposent d’une armée ont de plus en plus recours à des unités spécialisées de police dites polices militaires.

Dans tous les esprits est encore présent le mythe de l’efficacité de l’armée sous les Duvalier. Pourtant, à l’époque, l’effectif de l’ensemble des forces armées conventionnelles s’entend de l’armée et de la police, était  insuffisant parce qu’elles ne comptaient alors que 7 700 agents pour assurer la sécurité d’une population de 5 053 792 habitants selon le recensement de 1982. Ce qui donnait pour l’époque un ratio de 1,4 agent de défense pour 1000 habitants.

En fait, sous les Duvalier, c’étaient  les forces paramilitaires qu’on appelait les tontons macoutes qui étaient le socle du système sécuritaire du régime dictatorial et qui lui avaient permis de tenir 29 années par le fer et par le sang. Ces forces paramilitaires, qui quadrillaient même les campagnes et qui semaient la terreur partout dans le pays, étaient deux fois plus nombreuses que les forces armées, soit 14 000 hommes et femmes.

D’ailleurs, cette armée d’Haïti communément « armée kraze zo », peu équipée ne fonctionnait que comme une force de police au service du régime de Duvalier. Elle était même en pointe dans les assassinats et les tortures des opposants dans les Casernes de Port-au-Prince et de certaines villes de province. 

 

2.3 La réactivation difficile de l’Armée d’Haïti en 2017

 

Dès août 2017, le ministère de la Défense avait eu recours au départ aux services d’anciens militaires démobilisés, qui eux-mêmes étaient formés par d’autres anciens militaires qui avaient peut-être tout oublié de leur savoir et de leurs pratiques et dont les premières tâches étaient de « mettre à niveau les contingents d’Haïtiens qui avaient reçu une formation en Équateur afin d’adapter leur apprentissage à la réalité haïtienne », selon le numéro du journal Challenges du 10 août 2017. L’ambition définie par Jovenel Moise était de disposer d’une armée de 3000 hommes en 2022. Mais, c’était sans compter sur l’indigence des moyens du pays dont le budget ne fait que stagner ou régresser depuis cinq années, surtout en raison des problèmes d’instabilité politique. On se trouve en 2022 face à une armée qui végète depuis cinq années avec un effectif d’un peu plus de 900 soldats et officiers, faute de moyens financiers et logistiques. Preuve que le projet de sa reconstitution était une décision tout à fait improvisée et qui donne raison aux pays amis d’Haïti.

Si, sous les Duvalier l’armée d’Haïti qui était forte de 7700 éléments  se voyait attribuer 30% du budget national, l’armée mise en place sous Jovenel Moise ne comptait que 150 soldats au départ en 2018 pour passer à 400 soldats en 2019, à 500 soldats en 2021 et à moins de 1000 soldats en 2022.

Le budget qui lui était attribué à sa réactivation en 2018 était cruellement bas, soit 520 millions de gourdes ou environ 8 millions de dollars américains.

Cinq années après sa résurrection poussive, la situation financière de l’armée d’Haïti a peu changé, puisque le budget qui lui est alloué pour l’année 2021-2022 s’élevait à 1,3 milliard de gourdes, soit 11 millions de dollars. Les choses paraissent encore plus dérisoires quand on ramène le coût unitaire de cette armée qui ne dépasse pas 110 gourdes ou moins qu’un dollar par habitant.

Youri Latortue avait sévèrement critiqué en mai 2022 le montant affecté à l’armée d’Haïti qui n’autorisait que des dépenses de fonctionnement et qui ne permettrait point d’investir dans l’équipement de cette institution pour faire face aux défis de l’heure, notamment la lutte contre le banditisme. Mais, où trouver objectivement des montants consistants pour financer cette armée ?

Le commandant en chef de l’armée, le général Lesage avait confié à la presse en 2021 que son institution « faisait face à des problèmes même pour l’entrainement des militaires » et qu’il y avait de la frustration au sein de son personnel. En plus, il avait mentionné que les matériels qui ont été commandés pour équiper l’armée ne lui ont jamais été livrés parce qu’ils étaient plutôt affectés à la Police nationale d’Haïti à leur arrivée dans le pays.

Le ministre de la Défense, Enold Joseph avait aussi le 18 novembre 2021 qualifié l’armée d’Haïti d’être dans une situation embryonnaire.

Combien de temps faudra-t-il pour que cette force de défense possède un effectif honorable afin qu’elle soit véritablement opérationnelle et qu’elle soit capable d’intervenir sur les champs de bataille qui ne manquent pas à cause des activités des groupes armés ?

 

3. Que peut faire la Police nationale d’Haïti ?

3.1 Des effectifs et des moyens de travail insuffisants pour remplir sa mission

Le seul corps de sécurité d’une relative efficacité est la Police nationale d’Haïti. Cependant, sa capacité opérationnelle s’est avérée souvent inférieure à celle des gangs lors des affrontements qui les opposent. En cause, son effectif est nettement insuffisant puisqu’elle ne comptait que 14 161  policiers en octobre 2022, un chiffre en diminution par rapport au chiffre de 2020 qui se situait autour de 16 000 agents en raison des nombreuses démissions et révocations ainsi que des départs à l’étranger de plusieurs de ses agents. Ce qui correspond à un ratio de 1,06 agent de police pour 1 000 habitants, un ratio qui est largement inférieur à la norme internationalement reconnue de 2,2 policiers pour 1000 habitants en plus de divers autres corps de défense.

Si la Police nationale d’Haïti est relativement bien représentée dans la capitale, les services de sécurité sont aux abonnés absents dans les campagnes où les habitants doivent régler les litiges de manière coutumière ou à l’amiable. En plus, les policiers n’ont pas les moyens matériels de se rendre dans certaines zones très isolées en raison de problèmes logistiques.

Il faut aussi ajouter que les moyens de travail de cette police sont très faibles. À preuve, elle n’a jamais pu éradiquer un seul gang depuis qu’elle intervient contre le phénomène du kidnapping. Tout au plus, quand elle crie victoire après une intervention, c’est toujours pour une courte durée, puisqu’une fois qu’elle a quitté le théâtre d’opérations, les belligérants reviennent de plus belle sur le terrain. Et puis, c’est comme si de rien n’était.

 

3.2 Un grand problème financier

Le budget alloué par l’État à la Police nationale d’Haïti est loin de lui permettre de fonctionner correctement. Elle n’était dotée en théorie que de 15 milliards de gourdes pour l’exercice fiscal 2021-22, soit 13,4 milliards de gourdes pour les dépenses de fonctionnement et 1,6 milliard pour les dépenses d’investissement. Un grand paradoxe eu égard à la situation marquée par l’intensité du phénomène du kidnapping.

Haïti ne dépense pour sa police que 1250 gourdes par habitant et par an ou un peu plus de 10 dollars par tête d’habitant. Ce qui confirme que le pays n’a pas du tout la capacité financière ni matérielle pour faire face au niveau élevé d’insécurité auquel il est confronté. 

La Police nationale est donc incapable de rétribuer correctement ses agents de manière satisfaisante ni de s’équiper correctement encore moins de faire fonctionner un service d’intelligence qui l’aurait aidé à anticiper les opérations des groupes armés.

En conséquence, il est difficile aux policiers de vivre de manière décente avec leurs salaires qui ne leur permettent pas d'accéder à un logement décent. Aussi, sont-ils obligés de vivre dans des logements inconfortables dans des quartiers populeux où ils s’exposent à être victimes d’attaques et d’assassinats de la part des bandits.

 

3.3 Les autres problèmes de la Police nationale d’Haïti

Un problème qui est souvent évoqué est d’ordre politique. Il est bruit que les actions de la Police nationale d’Haïti sont influencées par les rivalités qui opposent les gouvernements en place et les groupes d’opposition. On a non seulement assisté sous Jovenel Moise à des manifestations de policiers qui réclamaient de meilleures conditions de traitement (s’entend de salaires, d’avantages sociaux et un minimum de confort dans les bureaux et dans les commissariats et sous-commissariats de police), mais également d’autres manifestations plus hardies lorsque des policiers n’avaient pas hésité entre 2020 et 2021 à faire des sorties en groupes, armes à la main pour incendier des biens et des véhicules de l’État et même pour empêcher la tenue du carnaval national en 2020. C’étaient les policiers qui constituaient un groupe particulièrement violent dans ses actions et qui avaient impunément semé plusieurs fois la terreur dans les rues de la capitale : le groupe dit Fantom 509.

Également, des problèmes d’ordre matériel, les agents ayant souvent souligné l’inconfort des commissariats et des sous-commissariats de police généralement trop exigus et dont ils se sont toujours plaints de l’insalubrité des dortoirs et des toilettes.

Ce qui affecte aussi les capacités de la police haïtienne, c’est la question des multiples opérations quotidiennes qu’elle est obligée de mener à la fois pour contrer les actes de banditisme en hausse des groupes armés dans la capitale et pour gérer les nombreuses manifestations auxquelles font face de temps en temps les autorités gouvernementales. Tout cela épuise ses maigres ressources ainsi que son moral et réduit considérablement ses capacités d’intervention sur les théâtres d’opérations de plus en plus nombreux avec la prolifération des gangs armés et leurs activités de plus en plus violentes.

 

4 Quelles sont les capacités réelles des forces de défense d’Haïti ? 

Les données que nous venons de présenter révèlent de manière nette les faiblesses des actuelles forces de défense haïtiennes (Police nationale et armée).

Les capacités des forces de défense haïtiennes sont limitées par un manque de formation. Aussi, on envoie périodiquement des militaires ou des policiers à l’étranger se former dans plusieurs pays, allant du Canada au Chili en passant par le Mexique, l’Équateur et la Guyane. Il faudra aussi des formations plus pointues pour le maniement des équipements commandés par l’État haïtien pour faire face à l’urgence de la montée du banditisme. 

Par ailleurs, le faible effectif et le maigre budget des forces de sécurité haïtiennes ne sont pas à la hauteur de la mission qui leur incombe. 14 161 agents enregistrés en octobre 2022 pour la PNH et moins de 1000 pour l’armée d’Haïti en décembre 2022 et un budget total de 16,3 milliards de gourdes ou 135 gourdes par habitant ne leur permettront jamais de résoudre le problème de l’insécurité.

Avec un budget global équivalent à 120 millions de dollars ou 10 dollars par habitant ou encore 0,3% de son PIB, Haïti se situe dans le groupe des pays à revenu faible ou intermédiaire faible consacrant les plus faibles dépenses pour la sécurité de leurs citoyens.

Le budget qui était attribué à l’ensemble des forces de sécurité haïtiennes est nettement plus bas que celui de la République dominicaine qui consacrait en 414 millions de dollars pour son budget de défense en 2018, soit presque quatre fois plus que nous. Ce qui correspond à 0,7% de son produit intérieur brut et à un montant de 40 dollars américains par tête d’habitant pour ses forces armées.

Par comparaison, le volume de 40 dollars américains par tête d’habitant pour la République dominicaine correspondait à peu près au montant qui était consenti en moyenne par les pays africains.

À l’opposé, les pays à revenu intermédiaire élevé dépensaient entre 50 et 150 par tête d’habitant pour leurs forces armées et les pays à revenu élevé allouaient à leur défense nationale un montant variant entre 500 à 2000 dollars américains par tête d’habitant.

Pour qu’Haïti atteigne le niveau de 40 dollars par tête d’habitant comme celui de la République dominicaine ou celui des pays à revenu faible ou intermédiaire faible, il faudrait multiplier le budget de défense par 4 dans les années à venir. Ce qui semble être une chimère dans un pays qui s’appauvrit sans cesse.

 

Conclusion

L’analyse qui a été effectuée dans les lignes précédentes confirme la faiblesse criante des forces de sécurité haïtiennes qui objectivement ne peuvent en aucun cas faire face à la situation créée par le développement du banditisme au cours des cinq dernières années qui fait que 70% de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince échappe aujourd’hui au contrôle de l’État. Le plus inquiétant de tous les problèmes est la lenteur à laquelle progresse l’Armée d’Haïti dont l’effectif reste dérisoire au bout de cinq années de fonctionnement malgré l’urgence de l’heure. Ce qu’il faut retenir, c’est à la fois l’indigence des effectifs des forces de sécurité et la faiblesse des moyens financiers qui leur sont attribués. Pour ce qui concerne les effectifs, on sait qu’en situation de troubles aigus, il faudrait qu’ils soient au moins le triple ou le quadruple des chiffres actuels. Côté budget, la situation s’avère nettement plus grave parce qu’il est difficile de croire que les forces de sécurité haïtiennes pourront disposer des moyens financiers pour s’équiper de manière conséquente en véhicules de combat, en hélicoptères, drones et autres moyens militaires qui pourraient leur permettre de s’élever  à la hauteur des défis auxquels elles sont confrontées et de bénéficier de la supériorité tactique pour maitriser les théâtres d’opérations .

 

Jean SAINT-VIL

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