La flamme bleue de l’insolence, une brèche pour l’intelligence !

Jadis, à Saint-Domingue et ailleurs, au temps de la déshumanisation assumée, le marronnage avait un sens : c’était un acte d’intelligence, de liberté et d’humanité. Plus tard, en Haïti, après l’indépendance, quand il fallait se regrouper et armer l’intelligence de courage pour assurer la cohésion sociale, le marronnage a perduré et est devenu un acte de déshérence, d’insignifiance et d’indigence. En effet, rythmé par des catastrophes naturelles récurrentes, modulé par des défaillances humaines invariantes, précarisé par de puissantes forces médiocres, qui s’équilibrent et se neutralisent incessamment, verrouillé sur la même strate séculaire du succès précaire, enfumé par le rayonnement indigent de ses élites, Haïti n’est qu’errance. Je viens démontrer dans cette tribune que le marronnage est bien la faille structurant cette errance.

Contexte :

Suite à ma dernière publication sur le marronnage, j’ai eu des échanges de vive voix avec quelques lecteurs qui me reprochent de condamner la mémoire d’une lutte qui nous a valu l’indépendance. Et ce reproche, au demeurant totalement infondé, me permet de revenir sur le sujet pour montrer combien, profondément enraciné dans notre MOI souterrain, le marronnage rend la cogitation improbable, car il nous empêche d’avoir la disponibilité, en termes de temps et d’attention pour une communication authentique et des échanges qui débouchent sur l’apprentissage. Or celui-ci est le chainon manquant qui permet de relier toute acquisition du savoir à un changement de comportement.

 

Vers une modélisation de l’intelligence

Rappelez-vous que le flux de la connaissance selon Idriss Aberkane est irrigué par deux variables l’Attention et le Temps. Une équation qui selon l’axiomatique TIPÉDANTE est incomplète, car c’est l’imagination qui va basculer l’attention dans une intranquille activité de subversion qui produira l’apprentissage. D’où le système d’équation TIPÉDANTE que nous proposons comme le flux de l’intelligence collective :

Flux de l’Intelligence Collective = {Transmission= Cognition * Temps, Cognition= Apprentissage * Communication * Temps, Apprentissage= Attention * Imagination * Temps}.

Voyez combien le temps prend de la place dans le flux de l’intelligence, or le modèle de la réussite promu par la société de consommation refuse à l’être humain de disposer du temps pour apprendre. On lui dit comment penser. Et certains se croient même interdits du besoin de penser quand ils deviennent des décideurs. Ne postule-t-on pas qu’un manager s’occupant de stratégie n’a pas de temps pour se plonger dans le chaudron de son organisation ? Or ce manager stratégique passe 80 % de son temps en réunion futile, dîners mondains et transport, les 20 % restant sont consacrés à la signature ou à donner des entrevues. C’est encore pire dans un écosystème où c’est par marronnage qu’on réussit.

Sans apprentissage, le savoir acquis n’est qu’une futilité contemplative, posture de séduction, même s’il apporte moult bénéfices (diplômes, titres, promotion) à celui qui se contente de l’utiliser comme outil de snobisme, de rente et de réussite personnelle. Et pour qu’il y ait apprentissage, il faut qu’il y ait construction de sens. Et dans le cadre de la recherche d’intelligence collective pour l’innovation sociale, cette construction de sens n’a valeur que si elle est coconstruite ; c’est-à-dire construite avec un autre (et des autres) avec qui on communique authentiquement pour mettre en confrontation sa propre expérience au regard de celle de l’autre. Expériences partagées de cogitation ou de co-agitation consciente qui ouvrent la voie à la cognition. Et c’est justement tout ce qu’interdit le marronnage qui a besoin de dissimulation, d’opacité et de ruse pour triompher.

C’est là que la perduration du marronnage pose problème C’est là que la perduration du marronnage pose problème, et je me propose de montrer mathématiquement comment ce marronnage aliénant et déviant nourrit l’errance collective haïtienne, en cassant le cycle de l’intelligence collective qui exige une communication authentique et une transparence exemplaire.. Car, dans la perception du marron, l’autre est une menace permanente. D’où la conception haïtienne de la réussite comme stratégie à somme nulle ; stratégie qui oblige à refuser à l’autre toute dignité, toute humanité. Le marron n’a pas conscience de l’altérité, l’autre n’est qu’un objet juste bon à être instrumentalisé, couillonné. Si l’autre brille, il ne peut qu’éclairer l’opacité et l’enfumage dont j’ai besoin pour ma réussite. Ban m fè nwa mwen ! Donc je dois faire de mon mieux pour l’empêcher de briller. Et c’est là toute l’indigence de la conception de la réussite haïtienne, on ne réussit pas parce qu’on a fait quelque chose de bienveillant, de grand et d’intelligent, mais parce qu’on a empêché à un autre d’affirmer sa dignité et son authenticité. Voilà pourquoi certains gestionnaires de projet en Haïti et certains décideurs politiques, recteurs d’université, ministres, directeurs d’institutions publiques, chefs d’entreprise aiment tant vanter qu’ils peuvent affamer ceux et celles qui s’opposent à leur management d’insignifiance. Pour cause, leur management d’improvisation n’a besoin que d’allégeance et non d’intelligence.

 

Le marronnage comme attracteur de l’errance

Il me semble que certaines personnes ont du mal à approprier le marronnage non plus comme une simple question de fuite dans les mornes, mais comme relevant d’une posture culturelle majoritairement assumée en Haïti. Et tout le drame est là, car le marron culturel, à la différence du marron originel, n’a pas toujours conscience qu’il pratique le marronnage. Car, le marronnage est si profondément ancré dans le subconscient (et l’inconscient) collectif qu’il prend toute la place de la mémoire de travail. Ce qui laisse peu de place pour des interactions intelligentes, innovantes, bienveillantes. Voilà le marronnage indigent, voilà l’attracteur insignifiant qu’il nous faut apprendre à combattre.

 Il est indéniable que le marronnage originel, comme stratégie de lutte pour échapper à l’enfer et à la déshumanisation esclavagiste n’avait que des vertus, si l’on excepte les cas de faux-marrons qui étaient mis par les colons blancs sur la piste des vrais marrons pour débusquer leur cachette. Et comme ce qui se transmet entre les générations est toujours ce qui apporte un gain collectif, et puisque le marronnage a permis de survivre à l’enfer de la barbarie esclavagiste, il est resté dans le subconscient du collectif et se réactive dans les situations de panique collective. Et comme les précarités sociales engendrent une panique collective permanente, tout invite à marronner. Mais, comme rien ne se transmet dans la nuit intergénérationnelle de manière inchangée, et puisque les contextes changent aussi, nécessitant des innovations de comportement, chaque génération ajoute sa touche à ce patrimoine génétique de marron, l’actualisant comme un génome de la réussite.

Or, le marronnage n’est efficace que s’il s’accompagne de Malice, car, pour reprendre l’autre, « on n’est jamais marron pour soi, mais toujours pour un autre » qu’il faut tromper, instrumentaliser, couillonner pour ses succès. Le marron se doit donc d’adopter une posture de dissimulation permanente, voiler sa pensée, déformer son humanité en assumant de devenir ne parfaite Crapule à la recherche d’opacité, de complicité pour tromper l’autre qui devient un Couillon. Et quand dans une relation étalée sur plus de deux siècles, la réussite ne dépend que des liaisons malicieuses entre crapules et couillons, cela finit par structurer l’errance comme une variable anthropologique qui simule l’équation quantique : E= MC2.

L’errance haïtienne peut donc s’expliquer objectivement et rigoureusement par la perduration du marronnage après l’indépendance. Car rester éternellement marron est une source de déshumanisation collective. Cela conduit tout un collectif, non seulement à une perte de sens avec son environnement, mais à une érosion de sa dignité et à une défaillance de son humanité. C’est pour cela que c’est le système de valeurs à la base de la réussite dans un pays qui conditionne les comportements. Quand, au lendemain de l’indépendance, l’État s’est fait marron (voir les excellents ouvrages de Leslie Jean Robert Péan :  Aux origines de l’État marron en Haïti : 1804-1860, Haïti : L’état marron, 1870-1915), et quand l’école haïtienne ne fait qu’initier à la pratique du marronnage en apprenant à ceux et celles qu’elle forme à devenir pragmatiquement des gens qui réussissent leur petite vie en gardant leur neutralité, se faire dociles et silencieux, devenir esclaves volontaires soumis, dévoués aux puissants qui récompensent, il y a  tout un fossé pavé vers l’errance.

Les gens ne sont ce qu’ils sont que par les expériences qu’ils mettent en œuvre pour trouver la bonne posture par rapport à un contexte donné en puisant dans leurs valeurs les trames qui structurent leur prise de décision et leurs actions. Quand cette expérience humaine n’est jalonnée que de variables médiocres qui obligent à des stratégies permanentes de dissimulation, de contournement, de malice, de crapulerie et de couillonnerie, elle ne peut plus guider vers l’intelligence. Et comme tout ce qui tue l’intelligence n’est qu’errance, on comprend mieux pourquoi le marronnage culturel est le fossoyeur de l’intelligence collective haïtienne et l’attracteur indigent de notre errance.

 

La flamme bleue de l’insolence

Face à cette errance, seul le cœur irradiant de l’intelligence, toujours débordant d’imagination par l’intranquille scintillement de sa flamme bleue insolente, s’affirme plus que jamais comme la noblesse à promouvoir pour extraire le collectif haïtien de sa torpeur, de son inertie. Car, comme le veilleur sur le rempart, il ne chôme pas, ne craint pas l’obscurité et les turbulences ; mieux même, il les provoque, la lumière n’est faite que pour triompher des ténèbres. Mais forcément, cela dérange les portefaix de l’obscurité qui n’ont que leur enfumage à répandre. Car qui d’autres peuvent avoir peur de la lumière, sinon les fumiers de l’obscurité et les médiocres à succès qui bloquent les nouveaux possibles humains ?

Ainsi modulé par les mêmes défaillances humaines, précarisé par les mêmes forces insignifiantes et médiocres qui s’équilibrent et se neutralisent impuissamment, verrouillé sur la même strate déshumanisante de la réussite mettant dans la lumière les mêmes insignifiants anoblis, qui se bousculent pour se projeter dans les rêves blancs, l’écosystème haïtien suit séculairement et logiquement un cycle erratique continu. Mais, après 5 siècles de déshumanisation et d’enfumage, n’est-il pas temps que ceux qui sont dépositaires du vrai savoir et qui sont intronisés dans la splendeur culturelle et académique apprennent à sursauter de dignité, à s’embraser de colères intelligentes pour enfin oser le saut vers l’innovation éthique ?

Il me semble que, vu l’abondance de l’enfumage qui provient du foisonnant fumier d’indigence en activation, seuls l’entêtement et le sens du sacrifice de ceux qui sont capables de renoncer à leur sauvetage personnel, pour faire briller la petite flamme bleue de l’intelligence qu’irradie toujours l’intelligence, peuvent montrer la brèche vers la ligne de fuite pour ce grand saut hors de l’errance. Je persiste et signe que là où il y a de l’intelligence, la moindre provocation est contextualisée en pédagogie de l’insolence, dans la continuité de ce que Agnès Muir-Poulle appelle « l’impertinence constructive ». Une stratégie de communication contextualisée par l’axiomatique TIPÉDANTE comme une esthétique de la provocation pour faire émerger la cognition par l’insolence qui est l’éternelle flamme bleue irradiante de l’intelligence. Sa principale vertu est son originalité : elle s’approprie les bases de la logique floue et de la théorie des systèmes pour mettre en place une anthropologie empirique de déconstruction de la renommée et de la réussite. Pour ce faire, elle magnifie, avec constance, cohérence et pertinence, la flamme poÉthique d’une irradiante dignité pour se rapprocher d’une vérité qui reste improbable dans un écosystème où la culture du marronnage et le prisme de la malice forment les deux branches du génome de la réussite indigente. Le postulat de base de cette axiomatique s’énonce comme une invitation à la turbulence neuronale : rien n’est donné, tout est provoqué.

Si j’insiste autant sur la thématique de la déroute de l’intelligence, c’est parce que chacune de mes confrontations avec cette armée d’imposteurs, peuplée de docteurs en éducation, d’universitaires incompétents, propulsés au sommet du phare d’enfumage de la réussite nationale, m’apporte des preuves accablantes de l’incompétence humaine de ceux qui ont acquis leur renommée dans le cadre de cette popularisation des titres académiques ronflants promus par l’Occident pour mieux déshumaniser le SUD. Regardez bien le profil académique FLE-URI de ces docteurs en éducation et vous verrez combien les postures de ces automates, formatés comme des Lettrés de l’Errance, docteurs en FLE pour la plupart, sont courbées par l’indignité et déformées par la flexibilité qui leur permettent de se niveler à hauteur des lignes de basses eaux de la culture, où l’assistance internationale tient ses ressources déshumanisantes.

Propulsés dans la lumière par les agents français qui ont colonisé l’imaginaire haïtien, ils assument le Français comme une Langue de l’Errance promue pour des étonnants voyageurs qui s’amusent à dire les contes de la folie ordinaire. Alors que comme toute autre langue humaine, cette langue offre une richesse pour contextualiser son environnement et penser la langue comme un outil de communication pour maintenir un lien, par-delà les communautés nationales, entre des peuples qui sont des collectifs de vivants et d’humains avant que d’être des citoyens d’un pays.

C’est la provocation qui m’a permis d’accéder à ce modèle de données contextuelles grâce auquel s’explicitent objectivement et rigoureusement les axiomes de l’indigence prouvant combien l’intelligence est improbable dans l’écosystème haïtien. Un écosystème dans lequel ceux qui ont le savoir ne comprennent pas que la culture n’est pas un outil de luxe, de snobisme et de rente, mais un moyen de problématisation, de contextualisation et de provocation. Pour ceux qui croient encore que la provocation est une perte de temps en attaque personnelle, je rappelle ces mots de Bertholt Brecht : « La provocation est une façon de remettre la réalité sur ses pieds. » Surtout dans les contextes où l’imposture, le marronnage et la malice empêchent toute disponibilité pour une communication spontanée et authentique.

En assumant la provocation, je veux prouver le lien entre le marronnage culturel pratiqué par le lettré haïtien et l’errance collective. Alors qu’en haut lieu universitaire, médiatique et politique, on conteste la valeur pédagogique de la provocation, celle-ci ne fait pourtant qu’emprunter ses marques à l’épistémologie bachelardienne qui a postulé que la connaissance ne s’acquiert que si l’on ose se confronter aux obstacles contextuels de son milieu. Car on ne connaît que contre une connaissance mal faite qui doit être détruite. Or le marron a peur que ses faiblesses soient dévoilées, donc il va se taire et observer dans l’ombre pour mémoriser les gestes qui apportent du succès. Voilà pourquoi, Il faut bien que la quête de la vérité et de l’authenticité pousse, comme le rappelle avec une douce éloquence Marie-Pierre Lassus, à aller « “au fond des choses” pour atteindre “le fond du sans-fond” où réside “le cogito souterrain”, cet “infra-moi” que Bachelard a découvert dans la rêverie ». (https://books.openedition.org/septentrion/69343?lang=fr#text ).

Voilà pourquoi ceux qui ne peuvent et ne savent que rester à la surface des choses, pour des raisons évidentes d’enfumage, s’accommodent très mal de toute démarche qui provoque la surface pour farfouiller dans les profondeurs et faire émerger ce « moi médiocre », malicieux, opportuniste et indigent, qui, tout rayonnant d’indignité, a immensément peur de la vérité et est profondément incapable d’authenticité. Et c’est justement la provocation qui m’a permis de découvrir que la seule compétence de ce « moi : médiocre, opportuniste et indigent » consiste à reprendre ce qui est décrété en haut lieu pourvu de ressources pour pouvoir s’en gaver et avoir le profil opulent du médiocre à succès qui, incapable de supporter toute contestation, toute critique, se plaît à traiter d’aigris ceux qui éclairent les ombres de son enfumage.

Sans pédanterie, je crois qu’on peut rattacher la fantaisie à produire intranquillement (ce qui nuit à l’enfumage des docteurs en FLE qui pullulent dans le secteur de l’éducation) à une débauche de créativité ; laquelle est selon Albert Einstein la démarche de l’intelligence qui s’amuse. Et fort hélas, il n’est pas donné à tous d’avoir de la fantaisie et de l’imagination à revendre. Car comme l’a écrit Philippe Sollers, « La fantaisie et la liberté d’imagination ne s’acquièrent pas spontanément. Elles demandent du temps, de l’obstination, de la sévérité, de la rigueur, des mathématiques, de la raison et une forte capacité d’abstraction. »

Faut-il encore prouver pourquoi Haïti pue l’indigence, malgré le foisonnement de son fumier de docteurs et d’universitaires !

 

Erno Renoncourt, 12/02/2023

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