Quel changement peut apporter pour Haïti une mission de maintien de la paix demandée avec insistance par le gouvernement d’Ariel Henry ?

Depuis la première semaine d’octobre de l’année 2022, le gouvernement haïtien n’a cessé de demander l’aide des Nations en vue d’un appui militaire robuste pour l’aider à combattre la montée en puissance des gangs qui contrôlent pratiquement 70% de l’aire métropolitaine ainsi que plus 60% du reste de l’espace national. Une situation plus grave que ne pensent beaucoup d’Haïtiens qui s’y opposent farouchement pour des raisons de nationalisme ou de critique systématique de toutes les positions du pouvoir en place ou encore à cause de l’introduction du choléra dans le pays par des soldats de la mission de la MINUSTHA. Malgré tout, la demande du gouvernement a été relancée à plusieurs reprises auprès des Nations unies et de plusieurs autres instances internationales, notamment la CELAC (Communauté économique des États d’Amérique latine et de la Caraïbe) et l’Organisation des États américains. La semaine dernière, à l’occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier, qui s’était tenu à Paris, le Premier ministre a avoué avoir demandé personnellement l’aide du Brésil et du Kenya pour l’envoi de troupes en Haïti où  la situation échappe presque totalement au contrôle des forces de sécurité qui ne possèdent ni l’effectif ni le savoir-faire pour faire face aux actions de plus en plus audacieuses des groupes armés.

Le risque d’une guerre civile se profile de plus en plus dans le pays avec la possibilité d’aboutir à un génocide, d’autant qu’on sait qu’on ne peut pas compter sur une présence des grandes armées de proximité que sont les forces armées américaine et canadienne qui n’ont promis que des petits montants d’argent qui ne pourront aucunement permettre d’équiper convenablement les forces de police.

Même dans l’hypothèse où le pays recevrait quelques troupes à la faveur du départ prochain de la mission militaire qui était déployée au Mali, la MINUSMA (13 000 soldats et 1900 policiers) et de la contribution de quelques autres pays, il faut se poser la question de savoir  quel changement peut apporter pour Haïti une opération de maintien de la paix.

Il conviendra d’abord d’analyser le contenu des opérations de maintien de la paix avant de faire de pronostics sur les chances de réussite d’une mission qui succèderait à l’ancienne MINUSTAH qui était présente en Haïti entre 2004 et 2018.

  1. Quels sont les aspects juridiques de la création et du fonctionnement des opérations de maintien de la paix ?

 

Étant donné la délicatesse de leurs tâches dans des milieux particulièrement sensibles où sévissent des conflits souvent sanglants, les opérations de maintien de la paix dont les effectifs s'élevaient à 76 000 agents sur le terrain début 2023, dits Casques bleus, sont soumises à des principes qui ont été convenus entre plusieurs acteurs : les Nations unies qui décident de les lancer et qui les financent, les gouvernements qui fournissent les contingents militaires et de police et les gouvernements des pays hôtes. 

 

    1. Les conditions de la création des opérations de maintien de la paix

Pour qu’il y ait une opération de maintien de la paix, il faut qu’il existe dans un pays une grande menace sérieuse pour la sécurité dans ce pays et dont les forces de l’ordre sont manifestement incapables de maitriser la situation. La raison peut être aussi la nécessité d’imposer et d’entretenir un cessez-le-feu dans une zone d’affrontement entre des minorités ethniques comme lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine qui avait duré entre 1992 et 1995 et où furent tuées 100 000 personnes, avec plus 2 millions de réfugiés.

 

Les opérations de maintien de la paix peuvent être impliquées aussi dans des situations de guerres civiles, de terrorisme, de groupes armés, etc.

    1. Les missions des opérations de maintien de la paix

Les missions des opérations de maintien de la paix peuvent se résumer comme suit :

La protection des civils ;

Le maintien de la sécurité ;

L’appui au désarmement, à la démobilisation et à la réinsertion des anciens combattants ;

Le soutien à l’organisation d’élections, comme en Sierra Leone entre 22 octobre 1999 et le 31 décembre 2005 ;

La facilitation du processus politique ;

La promotion et la protection des droits de l’homme ;

Le rétablissement de la primauté du droit.

    1. Les principes qui définissent l’activité des opérations de maintien de la paix

Trois principes essentiels définissent l’activité des opérations de maintien de la paix : le consentement des parties concernées, l’impartialité sur le terrain et le non-recours à la force sauf en cas de légitime de défense ou de défense du mandat.

1.3.1 Le consentement des parties concernées

L’accord des principales parties permet aux opérations de maintien de la paix des Nations unies d’avoir la liberté d’action politique et physique dont elles ont besoin pour accomplir les fonctions prévues par leur mandat. Sinon, une opération de maintien de la paix des Nations unies court le risque de se voir impliquée dans le conflit et de s’éloigner de sa vocation première qui est de maintenir la paix. C’est ce qui pourrait arriver en cas d’arrivée d’une mission qui serait venue avec le mandat de combattre les groupes armés en Haïti et ce fut en partie le cas lors de la mission de la MINUSTHA qui avait procédé à plusieurs opérations robustes contre les gangs de Bel-Air, de Solino et de Cité Soleil dont les chefs avaient été éliminés de la scène des crimes et des kidnappings.

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1.3.2. L’impartialité

Ce principe signifie que « le personnel œuvrant au titre de la mission de la paix doit rester impartial dans ses relations avec les parties en conflit. Toutefois, ceci ne signifie pas qu’il doit rester neutre dans l’application du mandat de la mission ».

Autrement dit, il « faut qu’une opération de maintien de la paix évite scrupuleusement toute activité qui puisse compromettre son image d’impartialité ». Mais, elle ne « doit pas transiger dans l’application stricte du principe d’impartialité par crainte de malentendus ou de rétorsions ».

1.3.3 Le non-recours à la force sauf en cas de légitime défense ou de défense du mandat

Compte tenu de ce qui est déjà dit, on sait que les opérations de maintien de la paix des Nations unies ne sont pas un outil d’imposition de la paix. Cependant, les forces qu’elle envoie sur le théâtre des opérations peuvent utiliser la force au niveau tactique, avec l’autorisation du Conseil de sécurité, pour se défendre ou défendre leur mandat quand elles se trouvent dans un milieu hostile ou quand elles sont attaquées ou menacées  ou encore « pour prévenir toute tentative de troubler le processus politique, pour protéger les civils en cas de menace imminente d’atteinte à l’intégrité physique des personnes ou pour aider les autorités nationales à maintenir l’ordre public »

« Le recours à la force n’est autorisé qu’en dernier ressort, de manière calibrée et de façon précise, proportionnelle et appropriée, dans le respect du principe du recours au minimum de force nécessaire pour obtenir l’effet désiré ».

2. Que faut-il attendre de l’arrivée éventuelle d’une mission de la paix en Haïti ?

2.1 La tendance actuelle dans les coulisses des Nations unies à propos des missions de la paix

Avant de parler de l’arrivée éventuelle d’une mission de la paix en Haïti, il convient de parler de la tendance actuelle qui règne dans les coulisses des Nations unies à New York concernant ce type d’opération. D’autre part, ces missions sont de plus en plus contestées par les populations des pays hôtes qui trouvent à raison qu’elles ne répondent pas à leur attente de rétablir la paix. Tout simplement, parce que ces missions ne possèdent pas généralement la puissance militaire pour contrer les groupes armés et qu’elles n’ont pas la vocation de faire la guerre dans les pays de destination.

En effet, au vu de l’échec des presque toutes les missions depuis au cours des trente dernières années, beaucoup de diplomates au sein de cette organisation pensent qu’il faudrait simplement en finir avec ce type de pratique qui coûte actuellement six milliards de dollars par an. On sait qu’il existe actuellement une douzaine dans le monde, dont quatre d’entre elles ayant un effectif de plus de 10 000 soldats, policiers et civils qui les accompagnent.

Les spécialistes pensent que les missions de maintien de la paix devraient être désormais menées dans un cadre régional. Par exemple, les confier à l’Union africaine dans le continent noir ou à l’Organisation des États américains dans le continent américain.

Il y en a qui proposent de transférer ces missions à des groupes de sécurité spécialisés. Il en existe de ce genre dans quelques pays comme les États-Unis et aussi en Afrique du Sud et aussi the last but not the least, en Russie. Mais, ce ne sont pas seulement des mercenaires qui pourront arriver à mettre fin aux situations ayant motivé l’appel des missions de la paix.

2.2. Une question aussi à éclaircir : pourquoi peu de pays ne s’intéressent pas à l’envoi d’une mission de maintien de la paix en Haïti actuellement ?

Malgré les demandes réitérées du gouvernement d’Ariel Henry, on a constaté que les pays qui traditionnellement qui se manifestaient avec enthousiasme pour prêter main-forte à Haïti quand il se trouvait en difficulté, font la sourde oreille à ses appels à l’exception de la Jamaïque, des Bahamas qui ont promis depuis d’envoyer des troupes, qui ne seraient qu’une poussière par rapport aux besoins d’Haïti. Sans doute, il existe une fatigue de la Communauté internationale même si, à plusieurs reprises, les États-Unis ont sollicité l’appui du Canada pour prendre le leadership de ce qui serait une mission de la paix chez nous. On sait aussi que le Canada joue un jeu double en se rabattant sur les pays de la CARICOM qui ne seraient qu’une force d’appoint.

Le Salvador a promis son aide, mais ce ne sera qu’un bureau d’investigation, sans la présence de soldats ou de policiers.

Objectivement, Haïti ne pourra compter que sur ses faibles propres forces de sécurité qui ne peuvent que bénéficier de montants de la part des États-Unis et du Canada pour s’équiper en armes plus performantes.

On sait aussi que les autorités de la Police nationale ont déclaré à plusieurs reprises que la situation actuelle ne correspond pas à la  capacité de leurs forces ni à leur formation.

Il ne faut pas non plus compter sur la fourniture gratuite d’équipements militaires de la part des « pays amis » qui connaissent des précédents concernant la mauvaise gestion des armes possédées par la Police nationale, qui s’étaient retrouvées, il y a quelques années en République dominicaine et semble-t-il ailleurs.

Enfin, il y a la peur des gouvernements des pays fournisseurs de troupes qui ne veulent pas que les ressortissants soient tués en Haïti en raison de la grande puissance des groupes armés.

Conclusion

Après avoir passé en revue les données essentielles concernant la situation actuelle et surtout l’avenir de la politique des missions de la paix qui ont été émises par les spécialistes des Nations unies et par les gouvernements et les populations des pays d’accueil, nous pensons avoir contribué à dissiper les illusions nourries par plus d’un sur l’installation et l’efficacité de l’activité  éventuelle de forces armées étrangères pour rétablir la sécurité en Haïti. Il est clair qu’aucune force ne viendra s’impliquer de manière sérieuse pour tenter d’écraser les groupes armés qui constituent le vrai pouvoir actuellement dans le pays. Il reviendra aux Haïtiens de faire preuve de lucidité et de courage pour affronter tous seuls la situation dramatique dans laquelle ils sont plongés, sans doute pour longtemps, depuis le départ de la MINUSTHA dont tout le monde oublie qu’elle avait mis fin à l’Opération Bagdad contre laquelle la Police haïtienne ne pouvait rien après le second départ du pouvoir de Jean-Bertrand Aristide en 2004. N'était cette intervention, l'Opération Bagdad aurait pu nous mettre, il y a 19 ans, dans une situation analogue à celle que nous vivons actuellement.

 

                                            Jean Saint-Vil

 

jeanssaint_vil@yahoo.fr

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