Le vieux démon de l’impunité

Le 3 avril 2000, le directeur de Radio Haïti Inter, Jean Dominique, a été assassiné en compagnie d’un de ses employés, Jean Claude Louissaint. La violence du crime, quatre balles explosives dans le corps du journaliste, et la volonté de ne laisser aucun témoin en abattant aussi un gardien de la radio, annonçait la descente aux enfers d’un pays empalé sur le pieu acéré d’une criminalité désormais sans bornes.

Dans un de ses derniers éditoriaux, qui sonne comme un testament, le célèbre journaliste, lançait un terrible avertissement : « les assassins sont dans la ville ». De nos jours, ils « occupent » pratiquement la ville. Encouragés dans leurs basses œuvres par une impunité rampante, les fauteurs de crimes dominent toutes les strates de la société. Ils  poussent en dehors du pays de milliers de citoyens qui avaient fait le choix de vivre, travailler, investir dans ce territoire déjà abimé par les catastrophes naturelles et les inconséquences des politiciens.

Jean Dominique a eu le temps de témoigner des infiltrations du crime organisé dans les hautes sphères de la politique. La « privatisation » de la violence étatique organisée depuis le coup d’État de septembre 1991 devait s’étendre aux  tristes années 2000.

Mais on pouvait encore survivre bon gré mal gré, dans cette capitale carnassière redevenue «  Port-aux-Crimes ».  Chaque jour amenait son lot de sacrifiés. Nous n’avions pas encore battu les records actuels d’enlèvement qui sont devenus de véritables razzias écumant nos villes et nos montagnes.

Le pays va mal, constatent des associations du secteur privé et syndical. Haïti a connu une longue histoire tourmentée où la destruction des vies et des biens a trop souvent fait partie de nos conflits politiques. L’actuel gouvernement de fait a d’ailleurs pris le pouvoir sur les ruines de nos institutions et le départ forcé pour l’au-delà d’un chef d’État horriblement sacrifié.

L’actuelle impuissance des dirigeants est condamnable, mais la grande faiblesse de l’appareil d’État, saccagé par nos désordres politico-mafieux, est un fait que nous ne pouvons ignorer dans nos analyses et projections pour l’avenir.

Nous avons relevé depuis quelque temps déjà des efforts de la Police nationale.   Toutefois, les attentats comme celui qui a frappé un ancien député, lors d’une manifestation, le 29 mars dernier, dénotent que chacun vit à tombeau ouvert. Nous connaissons l’état lamentable de nos tribunaux incapables de rendre une saine justice. Une situation qui encourage l’impunité et qui explique que 22 ans plus tard, le dossier de l’assassinat de Jean Dominique pourrit dans des tiroirs mal sécurisés dans une quelconque greffe de la République.

En outre, le mur de violence qui a coupé la capitale de la presqu’île de la Sud et qui sépare de nombreuses familles,  qui vivent pourtant dans le même pays,  semble se dresser entre les citoyens dans une insolente « éternité » et défier le monde entier.

La guerre des gangs a gagné le nord de la ville et le lourd roulement des mitrailleuses a fait taire les tambours de nos plaines. Silence, on tue ! Aux aurores comme en plein midi, sans se soucier du ballet du soleil dans un ciel borgne.  Ceux qui se hasardent au-dehors le jour se précipitent avant l’aurore dans leurs maisons transformées en fragiles abris. Car il s’agit bien d’une guerre de basse intensité avec ses lourds dommages collatéraux.

Mais la nation ne veut pas mourir. La journée du dimanche 3 avril a été l’occasion pour tous les médias de se relayer autour d’un seul cri : À bas l’insécurité. Et aussi de se souvenir pour l’occasion, de Jean Dominique, homme de vigie.

Roody Edmé

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